La scène se déroule dans un couloir de l’école de police d’Oissel (76). Ce 2 octobre, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) intervient devant les futurs policiers. Un module qui doit les sensibiliser aux différentes discriminations et notamment l’antisémitisme. Alors qu’elle remonte le couloir adjacent à la salle, l’une des intervenantes de la Licra a le regard accroché par la couverture du livre transporté… La jeune femme s’enquiert auprès de l’élève en uniforme du titre de l’ouvrage. Sans se démonter, il explique qu’il s’agit de Mein Kampf, le manifeste politique rédigé par Adolf Hitler.
Le jeune homme se dit féru d’histoire. Il en aurait fait l’acquisition sur les conseils d’un prof de lycée qui l’aurait bien sûr alerté sur le contenu choquant du livre. S’il l’a sous le bras ce jour-là, ça n’est, dit-il, qu’un pur hasard. Il voulait le prêter à un camarade « défenseur de la communauté LGBT qui souhaitait se documenter sur la condition homosexuelle subie sous le nazisme ». Bref, rien à voir avec la présence de la Licra, dont il ne connaît d’ailleurs pas le champ d’intervention. L’intervenante de l’association antiraciste va se saisir du bouquin pour vérifier qu’il s’agit bien d’une édition annotée. C’est le cas. Elle décide d’arrêter la discussion pour pouvoir mener sa présentation devant l’ensemble du groupe. L’élève policier, assis au premier rang, ne fait pas de vague. « Il prend des notes, sans faire de remarques inappropriées », rembobine à StreetPress la responsable juridique de l’association.
« Ça n’était pas le cas ce jour-là, mais certains de nos intervenants ont une histoire familiale lourde avec la Shoah », commente notre interlocutrice au sein de la Licra. L’association va, quelques jours plus tard, signaler par mail l’incident à la direction de l’école de police :
« Le directeur adjoint nous a immédiatement rappelés. Il a promis qu’une enquête allait être menée. On a eu le sentiment que l’affaire était prise en compte. »
« Il a une bonne réputation de facho »
La direction va effectivement convoquer la classe pour demander à l’élève mis en cause de se faire connaître. « Il a hésité mais a fini par se dénoncer », rapporte à StreetPress un témoin. Contacté, le service d’information et de communication de la police nationale (Sicop) affirme qu’une « enquête interne » a été déclenchée :
« Celle-ci a révélé qu’il n’y avait aucune forme de prosélytisme de la part de l’élève, ni dans son comportement, ni dans ses propos, ni même sur ses réseaux sociaux qui ont été vérifiés. »
Bilan : « la version des deux élèves » passionnés d’histoire qui – hasard du calendrier – se promènent avec Mein Kampf le jour de la venue de la Licra est jugée « crédible et convergente, les intéressés ayant perçu leur maladresse ». Les deux gus s’en tirent avec « un rappel à la déontologie […] notifié avec une extrême fermeté ».
« Ils n’ont pas dû mener une enquête très poussée, parce qu’il a une bonne réputation de facho », soupire notre témoin :
« C’est vraiment scandaleux. Un élève qui oublie son calot [le petit chapeau des policiers] peut être sanctionné, mais venir avec Mein Kampf, ça passe ? »
Major avec les honneurs
Pire encore, quelques semaines plus tard l’élève au centre de l’affaire reçoit les honneurs. Le 17 novembre, c’est jour de remise des diplômes à Oissel. Le sous-préfet vient en personne remettre la carte de police au meilleur élève (1). C’est ce dernier qui va prononcer le serment au nom de ses camarades. Or, le major de promo n’est autre que l’élève mis en cause pour cet incident antisémite. Sous un crachin normand, il récite :
« Sur l’honneur, au nom de l’ensemble de la 269e promotion d’élèves gardiens de la paix, je prends solennellement l’engagement d’assumer fidèlement les devoirs et responsabilités du gardien de la paix, de fonder mon action sur la constitution, les lois et règlements, le code de déontologie de la police nationale […]. »
Le 17 novembre, c’est jour de remise des diplômes à Oissel. Le sous-préfet vient en personne remettre la carte de police au meilleur élève. / Crédits : Capture d'écran Instagram
« Ils auraient pu prendre le second au classement ou choisir quelqu’un d’autre. Mais non, ils lui ont fait cet honneur », s’étrangle un témoin. La scène a été immortalisée et partagée par le compte Instagram de l’école avec en guise de mots-clefs #fierté et #honneur…
Photo de Une issue du site internet de l’école de police d’Oissel.
(1) Edit le 27 novembre 2023 : Nous avions écrit que c’était le préfet qui avait remis la carte de police, il s’agissait en réalité du sous-préfet.
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