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    23/11/2023

    Habala doit quitter le territoire

    Il travaille sur un chantier des Jeux olympiques et reçoit une OQTF

    Par Lina Rhrissi

    Habala, Malien de 36 ans, est salarié en CDI dans une entreprise de BTP qui construit un centre d’entraînement pour les JO 2024, à Vincennes. Le 13 janvier 2023, le travailleur sans papiers a reçu une obligation de quitter le territoire français.

    « Je suis triste mais on n’a pas le choix, c’est la loi. Normalement, les gens qui travaillent, il faut leur donner des papiers. » Habala, 36 ans, ne parle pas très bien le français. Mais il sait faire comprendre le sentiment d’injustice qu’il ressent. Depuis deux ans, le Malien travaille de 8h à 17h, cinq jours par semaine, sur différents chantiers en Île-de-France. L’un d’eux est un chantier des Jeux olympiques 2024, le nouveau centre sportif de Vincennes (94), prévu pour accueillir des délégations internationales de badminton. Cela n’a pas empêché la préfecture du Val d’Oise de répondre à sa demande de régularisation par une obligation de quitter le territoire (OQTF), le 23 mai 2023. Contactée par StreetPress, la préfecture du Val d’Oise justifie cette mesure, entre autres, par le fait qu’Habala a déjà reçu deux OQTF non exécutées en 2016 et 2017 et parce qu’il est « célibataire, sans enfants et ne justifie d’aucune vie privée et familiale en France ».

    Le discret Habala, originaire de la région de Kayes, au Mali, est arrivé en France en 2015. Lorsque StreetPress le rencontre dans le bureau de son avocate, dans le 9ème arrondissement de Paris, le trentenaire raconte qu’il a traversé la Libye et l’Algérie puis a embarqué sur un zodiac jusqu’à l’Italie. Pendant ses premières années en région parisienne, il enchaîne les jobs au black dans le bâtiment, dormant parfois dans la rue. Le 6 juillet 2021, il décroche un contrat en CDD dans une entreprise de BTP francilienne transformé en CDI un an plus tard, le 13 juillet 2022. « On pose des parpaings, on fait des ravalements, on fait toute la maçonnerie et le béton », décrit l’ouvrier en bâtiment rémunéré 1.300 euros par mois. Habala a aussi trouvé une place dans une colocation avec deux autres personnes à Cergy (95) pour un loyer de 350 euros.

    Son employeur est de bonne volonté et lui fournit les documents nécessaires, dont le Cerfa attestant son activité professionnelle, pour qu’il puisse faire une demande de régularisation. Depuis la circulaire Valls de 2012, un étranger en situation irrégulière employé par une entreprise doit avoir ce document pour déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour en préfecture. C’est ensuite le préfet qui prend la décision de le régulariser ou non.

    OQTF surprise

    Lorsque Habala dépose son dossier en janvier 2023, maître Melissa Cardoso, spécialiste en droit des étrangers, est plutôt confiante. « Il est en France depuis huit ans, a un travail stable… Avec mon expérience, j’avais bon espoir que le dossier passe. Et là, surprise, Monsieur se prend un refus de titre de séjour doublé d’une OQTF ! » L’avocate a fait un recours devant le tribunal de Cergy-Pontoise (95) pour contester la décision.

    Pour maître Melissa Cardoso, cette menace d’expulsion est révélatrice du climat politique actuel sur les questions migratoires. « On est dans un contexte de répression et d’arbitraire des administrations à l’égard des étrangers, et de montée de l’extrême droite où la politique remplace le droit », estime l’avocate au barreau de Paris, avant d’ajouter :

    « Avec mes confrères et consœurs spécialistes en droit des étrangers, on a parfois l’impression de se battre dans le vent. »

    Dans sa réponse par mail, la préfecture du Val d’Oise justifie aussi l’OQTF d’Habala par la prétendue non conformité de son Cerfa qui serait au nom d’une entreprise de BTP différente que celle dans laquelle le Malien travaille depuis 2021. En quelques clics, StreetPress a pourtant pu vérifier que le gérant des deux structures en question est bien la même personne

    À LIRE AUSSI : Le blues des avocats en droit des étrangers

    Des JO 2024 construits à la sueur du front des sans-pap’

    La situation d’Habala révèle les conditions de travail dans lesquelles sont maintenus les travailleurs sans papiers qui construisent les infrastructures de cette compétition internationale sponsorisée par le gouvernement. Sur le chantier de Vincennes, où sont censés s’entraîner des joueurs de badminton indiens ou thaïlandais en 2024, Habala affirme que ses collègues sont pour la plupart maliens sans papiers, comme lui. « Le patron est gentil mais s’il t’embête, tu ne peux rien dire, tu dois être d’accord pour avoir les papiers », explique le salarié en CDI.

    À Paris, en bloquant leur chantier, des sans-papiers qui travaillent pour les futurs JO viennent pourtant de remporter une bataille. Le 17 octobre 2023, après une journée de grève médiatisée, les ouvriers du chantier de l’Arena, à La Chapelle, ont obtenu un accord pour négocier leur régularisation avec Bouygues, les entreprises sous-traitantes et la Ville de Paris. Dans Mediapart, un membre de la Coordination des sans-papiers de Paris qui a mené l’action a déclaré : « Il y a plein d’autres chantiers. On veut que tous les sans-papiers qui y travaillent soient régularisés ».

    Sur l’image de Une, les anneaux olympiques sur la place du Trocadéro à Paris photographiés par Anne Jea via Wikimedia Commons. Certains droits réservés.

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