« Un étudiant m’a dit que je ne devais pas me plaindre, car les vraies victimes étaient les Palestiniens. » Léa (1) est de confession juive. Depuis l’attaque du Hamas sur des centaines de civils israéliens, la jeune femme est inquiète, car sa famille vit en Israël. Mais à Sciences Po Paris où elle étudie, elle n’ose plus le dire. Chaque jour, l’étudiante de 23 ans reçoit une dizaine de messages d’autres élèves, se voyant reprocher la « politique colonialiste » menée par l’État hébreu. Alors Léa n’affiche plus sa religion, ni son étoile de David autour du cou. Désormais, elle se rend en cours « la boule au ventre », « tétanisée » à l’idée de devoir « se justifier d’être juive ».
« Tous les jours, mes proches me disent de cacher tout signe qui peut s’apparenter au judaïsme », témoigne également Hannah, 19 ans, étudiante à l’Institut catholique de Paris. Il y a quelques jours, elle a entendu un élève lui dire qu’« Hitler n’a pas fini son travail » ; un autre qu’« il était temps que les Palestiniens détruisent ce pays de colonisateurs ».
« Quand il y a un regain de tensions entre Israël et la Palestine, on constate une importation du conflit dans les établissements », explique Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) :
« La spécificité actuellement, c’est que des étudiants présentent un acte terroriste comme un mouvement de libération. »
Une enquête Ifop, commandée par l’UEJF et publiée fin septembre (2), avant l’actualité au Moyen-Orient, témoignait déjà de chiffres inquiétants : 91 % des étudiants juifs auraient déjà été victimes d’antisémitisme. Remarques stigmatisantes, blagues douteuses sur la Shoah, injures, agressions physiques, le sondage fait état de multiples cas. Derrière ces débats autour du Hamas, de la guerre israélo-palestinienne et du sionisme, des étudiants juifs craignent et racontent une montée de l’antisémitisme dans les universités.
Essentialisation
À Paris-Cité, Aurélie (1), dont la famille vit en Israël, a pris peur à la suite d’un post qu’elle a partagé sur Instagram sur des soldats israéliens retenus en otage. La jeune femme a reçu plusieurs messages antisionistes de la part de ses camarades, qui cautionnent les actes du Hamas. « Condamner les actes du Hamas n’a aucun sens » ; « Les civils ne sont pas pris en otage », parce qu’ « ils choisissent de vivre dans un État qui est violent, et qui existe par le sang et la souffrance du peuple palestinien », peut-on notamment y lire. [Le 21 octobre, le gouvernement israélien dénombrait plus de 200 personnes prises en otage par le Hamas.] Aurélie, effrayée à l’idée que ces débats s’enveniment dans les couloirs de l’université, a envoyé un mail à la direction dans la foulée. Leur réponse l’a « découragée » :
« Nous sommes désolés du sentiment d’insécurité que vous exprimez, mais l’université n’a aucun droit de regard […] sur les réseaux sociaux utilisés par les étudiants. »
Élodie (1), elle, est étudiante à Nanterre (92). Alors que des camarades distribuent des tracts en soutien au peuple palestinien le 9 octobre, soit deux jours après l’attaque du Hamas, la jeune femme de 20 ans y voit de la sympathie pour ce groupuscule terroriste. « Je leur ai dit qu’en tant que juive, c’était difficile pour moi d’observer des étudiants minimiser les morts israéliennes. » Là, l’un d’entre eux lui aurait répondu violemment que « les juifs se victimisent toujours », une essentialisation difficile à comprendre – faisait-il référence à l’État israélien, à sa population ou à n’importe quelle personne de confession juive, Elodie incluse ? – et insupportable pour elle. « Il a ajouté qu’Israël, mon pays, était meurtrier. Cela m’a bouleversée : je suis Française, pourquoi je devrais être tenue responsable de ce qui se passe là-bas ? », relate-t-elle, incapable depuis de retourner en cours.
Guillaume (1), qui étudie à Sciences Po Paris, traduit :
« Beaucoup d’élèves ont peur, car sous couvert d’antisionisme, certains dissimulent leur haine des juifs. »
Dans son école, lui a assisté à une violente altercation entre des militants pro-palestiniens et des étudiants juifs. En cause : la volonté des premiers de coller des affiches pour défendre les civils palestiniens sur le visage d’Omri Ram, un étudiant israélien tué durant l’attaque du Hamas. « Les étudiants juifs ont cherché à s’interposer. L’un d’entre eux s’est pris un coup, la sécurité a dû les séparer », retrace-t-il.
Toujours à Sciences Po, des groupes WhatsApp sont devenus le terrain de grands débats sur la politique sioniste et la décolonisation. Dans une discussion intitulée « Justice for Palestine Scpo », un participant assure : « Aucune guerre n’a été propre, et l’Organisation des nations unies (ONU) dit bien que tous les moyens sont permis pour un peuple qui cherche à sortir de l’oppression ». Une référence probable au fait que l’ONU défende le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais l’organisation n’a jamais soutenu le massacre de civils pour y parvenir. Un second étudiant abonde : « Il est vrai que la décolonisation et ce qui va avec, dont la guerre, est forcément éthique ». Des positions sur lesquelles une troisième élève tique, arguant « être quasiment sûre qu’aucun d’entre nous n’a défendu les violents pogroms contre les juifs ». « Tu nous connais mal », répond son camarade avec un smiley sourire et tête à l’envers. Le terme « pogrom » renvoie aux attaques antisémites extrêmement violentes – meurtres, viols, agressions physiques – commises en Russie au XIXème siècle.
« Niquez vos mères les feujs »
Parfois, les actes antisémites se veulent plus explicites. « Niquez vos mères les feujs de mes deux », a par exemple reçu l’UEJF de l’Institut catholique de Paris. À Paris-Panthéon-Assas, un chargé de TD a fait un salut nazi dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, le 13 octobre. « On était extrêmement choqués, d’autant que lui pouffait de rire », se souvient Claire (1), présente à ce moment-là. Rapidement, elle et trois autres étudiants décident d’alerter la direction. Mais l’un des vice-présidents aurait cherché à minimiser l’acte, prétextant que les professeurs, « fatigués et déprimés », pouvaient parfois « dépasser certaines limites », rapportent Claire et Léonard (1), également présents. « Il a aussi suggéré que cela avait peut-être une visée pédagogique pour illustrer un cours sur la liberté d’expression », poursuit Léonard, avant d’ajouter :
« J’étais extrêmement en colère, et je lui ai dit que c’était scandaleux de tenir ce genre de propos. »
Contacté par StreetPress, le chargé de TD assume son geste, expliquant l’avoir fait dans « un esprit de parodie ». « J’ai effectué ce salut nazi alors que je demandais aux étudiants s’ils étaient d’accord avec Trump qui voulait rendre illégal l’acte de brûler le drapeau américain. Le paradoxe, c’est que je voulais dénoncer, de manière détournée, les tendances autoritaires de l’ancien président américain. » S’il reconnaît tout de même avoir été « un peu trop loin », l’enseignant trouve « absurde » l’accusation d’antisémitisme, affirmant être lui-même d’origine juive. « Toute cette histoire montre qu’il ne faut pas accuser trop vite », résume-t-il, s’inquiétant du climat de « cancel culture à l’américaine » au sein des universités françaises.
Paris-Panthéon-Assas a aussi été épinglée pour les déclarations d’un maître de conférences en droit constitutionnel, le 9 octobre. En plein cours, celui-ci aurait dit à des étudiants :
« Vous êtes en retard, je vais faire comme la rave. »
Une référence au massacre par le Hamas d’au moins 260 personnes dans un festival techno en Israël, le 7 octobre dernier. Marie (1) était présente à ce cours. De confession juive, l’étudiante de 20 ans a été « estomaquée » par ces paroles. « En sortant de l’amphi, je tremblais de rage, et j’ai dû m’asseoir pour reprendre mes esprits. » Selon elle, ces épisodes se multiplient depuis les attaques. « On reçoit des tonnes de remarques de ce type, souvent sur le ton de l’humour. Mais on ne dit rien, car on sait qu’on a une mauvaise image à cause de la riposte d’Israël », assure-t-elle, alors qu’elle-même dénonce les crimes commis par Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien.
Le professeur en droit constitutionnel de Paris-Panthéon-Assas a été suspendu le 10 octobre par la direction, en raison de ses « propos indécents, dont certains à connotation antisémite », expose le communiqué de l’université. Le vice-président mis en cause dans l’affaire du salut nazi, lui, n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
(1) Les prénoms ont été changés.
(2) Le sondage porte sur un échantillon de 237 étudiants de confession ou de culture juive.
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