L’ambiance est électrique dans les couloirs du ministère de l’Intérieur. Depuis une semaine, la question du maintien de l’ordre est au cœur du débat public et les images de violences policières saturent les réseaux sociaux. Vendredi, plusieurs médias publient un enregistrement accablant pour la police. Samedi, ce sont les images de Sainte-Soline où plusieurs milliers de personnes défilent contre un projet de « méga-bassines » qui circulent. Il faut éteindre l’incendie médiatique. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, et Laurent Nuñez, le préfet de police de Paris, montent au créneau. Ils enchaînent en quelques jours plusieurs plateaux télé et conférences de presse. Mais la communication est erratique et les petits mensonges se succèdent au fil des annonces. Plusieurs sources au sein de la police permettent à StreetPress de debunker les fakes news du ministre et du préfet.
1- La section des policiers mis en cause par l’audio est sur la manif
Vendredi 24 mars en fin d’après-midi, Le Monde, suivis de Loopsider, Mediapart et de L’Obs publient un enregistrement qui jette un regard cru sur les méthodes des fonctionnaires des Brigades de répression de l’action violente motorisée, les Brav-M. Lundi 20 mars, dans la soirée, sept personnes sont mises en garde à vue par la brigade. L’un des manifestants enregistre les conversations à l’aide de son téléphone. Les 23 minutes de bande-son sont terribles : menaces, coups, racisme…
Dans un enregistrement sonore d’une vingtaine de minutes que Loopsider s’est procuré, plusieurs policiers des Brav-M menacent et intimident sept jeunes gens interpellés lundi soir après une manifestation contre la réforme des retraites. Voici une partie de ce document édifiant. pic.twitter.com/dvWDZbGQSb
— Loopsider (@Loopsidernews) March 24, 2023
Laurent Nuñez, le préfet de police de Paris, se dit « très choqué » et annonce la saisine de l’IGPN, la police des polices. Il promet par ailleurs que la section ne sera pas engagée dans le dispositif de maintien de l’ordre mis en place pour encadrer la manifestation du 28 mars. Sur France 5, le ministre de l’Intérieur en remet une couche : ils ne seront pas sur le terrain, jure-t-il. Précisant aux journalistes que les policiers mis en cause n’ont pas été « formellement identifié ». Mais la section à laquelle ils appartiennent est quand à elle connue et ne serait donc pas engagée (1).
"J'ai sanctionné beaucoup de fonctionnaires de police et de gendarmerie depuis 3 ans ! Mais quand les policiers et gendarmes sont autant blessés c'est parce qu'ils prennent beaucoup de coups !"
Maintien de l’ordre : des dérapages sanctionnés ?GDarmanin</a> dans <a href="https://twitter.com/hashtag/C%C3%A0Vous?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#CàVous</a> <a href="https://t.co/1aTrc8txdX">pic.twitter.com/1aTrc8txdX</a></p>— C à vous (
cavousf5) March 27, 2023
Vraiment ? Selon nos informations, la 21e CI – la section en question – apparaissait bien ce matin sur la liste recensant les effectifs mobilisés. Contrairement à ce qu’ont affirmé le ministre de l’Intérieur et le préfet de police, elle est intégrée au dispositif puisqu’il était prévu qu’elle se positionne en début d’après-midi, à l’angle des rues Bretagne et Picardie, à quelques centaines de mètres à peine de la place de la République, point de départ de la manifestation du jour. Contactée dans la matinée, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu à nos questions sur ce sujet. Pour en avoir le cœur net, StreetPress s’est donc rendu à 13 heures à leur point de rendez-vous. C’est finalement avec une quinzaine de minutes de retard que la vingtaine de motards de la police, blousons siglés « compagnie d’intervention », débarque. Ils sont bien là.
Alors que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait indiqué que la 21e CI, composée de Brav-M, ne serait pas présente à la manifestation du 28 mars 2023, StreetPress a pourtant repéré les policiers de cette section dans le dispositif. / Crédits : Nnoman Cadoret
Les Brav-M de la 21e CI se sont postés rue de Picardie, dans le troisième arrondissement. / Crédits : Nnoman Cadoret
2- Pas de signalement automatique des violences filmées
Les fonctionnaires qui commettent des violences seront suspendus ou au moins sanctionnés, promet – toujours sur le plateau de France 5 – le ministre de l’Intérieur. De son côté Laurent Nuñez assure au micro de BFM que « tout ce que nous voyons, toutes les vidéos [qui circulent sur les réseaux sociaux], on les analyse, évidemment ». Il insiste :
« Sur chaque vidéo, nous regardons si la déontologie est respectée et il peut y avoir des saisines de l’IGPN. »
Voilà pour la théorie. Dans les faits, aucun service n’est chargé de faire ce travail. « Il existe une cellule chargée de la veille des réseaux sociaux. Il suffirait qu’on lui demande de faire un mail au préfet pour chaque vidéo montrant un dérapage possible qui lui saisit l’IGPN ou signale au parquet. Mais ce n’est pas le cas », soupire un fonctionnaire de police qui connaît bien le sujet. Interrogée par StreetPress, la préfecture explique que « dès lors qu’un fait présumé de violence illégitime est porté à son attention, le préfet de police demande la rédaction systématique d’un rapport de contextualisation et de compréhension » (2), reconnaissant en creux qu’il n’existe pas de dispositif dédié.
3- Moins d’hommes qu’annoncés sur le terrain
À la veille de cette dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, Gérald Darmanin promet « un dispositif de sécurité inédit, composé de 13.000 policiers et gendarmes dont 5.500 à Paris ». Mais selon plusieurs sources policières, le compte n’y est pas. 116 sections au total sont engagées. C’est quatre de moins que le 23 mars, journée pour laquelle la préfecture de police avait annoncé la mobilisation de 5.000 hommes. Un policier ironise. Pour arriver à 5.500, il faut compter « la circulation, les conducteurs d’engins, l’état-major et ceux qui nettoient les chiottes… »
(1) Edit le 28/03 à 15h40. Phrase ajoutée pour plus de clarté.
(2) Nous avons envoyé par mail, la question suivante :
« M. Nuñez avait indiqué que chaque vidéo montrant des possibles violences policières donnerait lieu à une ouverture d’enquête. Quel dispositif a été mis en place pour rendre effective cette promesse ? »
Voici la réponse complète :
« Dès lors qu’un fait présumé de violence illégitime est porté à son attention le préfet de police demande la rédaction systématique d’un rapport de contextualisation et de compréhension. Le préfet de police peut ensuite sur cette base, demander l’ouverture d’une enquête administrative. Des enquêtes judiciaires peuvent également être diligentées à la demande du parquet ou sur saisine d’un service d’enquête ou de l’IGPN par le préfet de police. »
Également interrogée sur la présence de la 21e CI et sur le nombre de sections déployées, la préfecture de police n’a pas répondu.
Les photos dans l’article sont signées Nnoman Cadoret.
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