Tribunal de justice de Paris (75) – La bâtisse majestueuse se dresse vers le ciel. 38 étages baignés de soleil et trois sous-sols sous lumières artificielles. C’est dans ces souterrains blafards que se cache le dépôt. Une enfilade de cellules par lesquelles transitent jour et nuit des centaines de personnes enfermées en sortie de garde à vue, ou avant de partir vers une prison. 200 fonctionnaires de police se relaient pour assurer la surveillance des lieux. C’est dans ces sous-sols, pourtant truffés de caméras, qu’un petit groupe de gardiens de la paix en poste de nuit aurait pris l’habitude de se défouler sur les justiciables.
C’est un « incident » survenu le 6 février qui va permettre à la hiérarchie d’entrouvrir la boîte de Pandore. « Un collègue avait une marque sur le front. Il explique qu’il s’est fait frapper par un déféré, mais qu’il ne veut pas porter plainte », croit savoir une policière, jointe par StreetPress. Son supérieur qui sent l’embrouille, demande un rapport. Et « comme ce n’était pas bien clair, les autres agents ont été cuisinés un chouïa », complète un autre fonctionnaire par message. Les gradés décident de jeter un œil aux images de vidéo-surveillance.
Des violences répétées
Ce que montrent les caméras dépasse le simple « incident ». L’information remonte la chaîne hiérarchique jusqu’à la préfecture de police de Paris, qui a la main sur le dépôt du tribunal de justice. Laurent Nuñez, le préfet de police de Paris, alerte le parquet qui aurait ouvert une enquête (1). En parallèle, il décide de l’ouverture d’une enquête interne (2). Mais l’affaire pourrait prendre une toute autre ampleur, car au cours de son audition, l’un des fonctionnaires du service aurait évoqué des comportements violents récurrents. Il désigne une poignée de fonctionnaires, arrivés en poste au dépôt de nuit il y a un an environ. La petite troupe aurait tendance à provoquer les détenus pour ensuite les calmer à coup de mandales. « Quand un déféré ne leur revient pas ou leur parle mal, ils se font en quelque sorte justice », déroule une source :
« En général, ils évitent les caméras. Ils collent le gars dans l’ascenseur [qui n’est pas sous vidéo-surveillance] pour lui mettre des claques ou des coups de poing. »
Mais au fil des mois, la petite bande prend confiance. Au point de se lâcher parfois même quand ils sont filmés, ce qui aurait dû déclencher l’alerte. Au tribunal de justice de Paris, les images transmises par les caméras sont contrôlées en direct par des policiers dédiés à cette mission. Alors pourquoi aucune enquête n’a été ouverte ? « Les collègues ferment les yeux », soupire une policière. Pire encore, « certains filment les écrans de contrôle et envoient les images des tabassages aux collègues sur Snapchat ». Le réseau social permet de publier des vidéos qui s’effacent automatiquement après 24 heures.
Et en guise de preuve de nous envoyer l’une de ces séquences, qui circule dans le service sans être remontée à la hiérarchie. Sur les images, on aperçoit cinq fonctionnaires traîner par les bras un homme. Alors qu’il est au sol, l’une des fonctionnaires, munie de gants coqués, lui assène quatre coups de poing. « C’est toujours le même petit groupe », soupire la policière qui tient à préciser que la hiérarchie n’était pas au parfum :
« Ni le major ni le commandant divisionnaire ne cautionnent ce genre de choses. »
Un service connu des services
« C’était extrêmement prévisible », commente maître Arié Alimi. « Notamment en raison du contexte violent dans ce service ». Il est l’avocat d’Amar Benmohamed, un brigadier-chef lanceur d’alerte qui avait permis à StreetPress de révéler un système de maltraitance raciste dans ces mêmes cellules du tribunal de Paris. Des faits d’une ampleur inédite : plus d’un millier de personnes avaient subi de la part de policiers des humiliations et des insultes souvent racistes ou homophobes. Certains retenus ont également été privés de nourriture ou d’eau, et de soins médicaux… Des sanctions administratives légères ont été prononcées, la justice n’a pas poursuivi les auteurs présumés. Et l’avocat de tacler :
« En ne donnant aucune suite à cette affaire, la section AC2 du parquet [en charge des violences policières, NDLR.] ne pouvait qu’entraîner un sentiment d’impunité dans le service. Il faut y mettre fin. J’appelle toutes les victimes et notamment celle de la vidéo à porter plainte. »
A lire aussi : Un policier révèle des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris
(1) Une source nous indiquait que le parquet avait ouvert une enquête, ce qu’il n’a pas confirmé. Nous avons donc ajouté un conditionnel.
(2) Joint par StreePress, la préfecture de police déclare : « Des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale ayant été porté à sa connaissance le préfet de police, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, les a signalés au parquet de Paris. Depuis vendredi les faits signalés par rapport hiérarchique font l’objet d’une enquête administrative interne. »
Contactés, ni le parquet de Paris, ni la présidence du tribunal de justice de Paris n’ont répondu à nos questions.
Image de Une du tribunal de Paris par Yann Castanier
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