Tribunal de Justice, Paris (75) – « C’est un après-midi un peu particulier », introduit la présidente « puisque c’est une audience spécialisée dans les contentieux de police ». À la barre donc, des policiers – que des policiers – mis en cause pour divers délits. En aparté, certains avocats des parties civiles, qui découvrent le dispositif, s’étonnent de cette justice « particulière pour les policiers ». « C’est d’autant plus incompréhensible que les affaires n’ont pas forcément de lien avec leur profession », pointe le même. S’avance justement un gardien de la paix accusé « d’abus de confiance », « d’aide au séjour irrégulier d’un étranger », de « soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes ». L’homme, en poste, était marchand de sommeil, sous-louant successivement un appartement du parc locatif privé et un HLM devenu insalubre à 12 personnes en situation irrégulière. Logement pour lequel il ne payait plus le loyer, ce qui a précipité la chute de son petit commerce sordide.
Monsieur F. est adjoint de sécurité depuis 2011. Il vient tout juste de réussir le concours de gardien de la paix en 2015, quand, avec sa famille, ils obtiennent un appartement à loyer modéré. À peine deux ans plus tard, ils arrêtent de payer. Paris Habitat, son bailleur, réclame les 750 euros dus mensuellement pour ce quatre pièces et entame une procédure judiciaire. Mais la préfecture rechigne à ordonner le concours de la force publique pour expulser l’un de ses fonctionnaires. C’est seulement quatre ans plus tard, le 12 août 2021, que les bleus débarquent à l’appartement.
Il profite de la misère
Les policiers découvrent un appartement insalubre, « dévasté », raconte maître Levildier, l’avocat de Paris Habitat. Il décrit les murs couverts de moisis, en raison d’une fuite d’eau jamais réparée, les sols gondolés, une salle de bain presque inutilisable. Après son départ, le bailleur a réalisé près de 12.000 euros de travaux. Monsieur F. est sur place avec ses deux enfants. Il tente de faire croire qu’il habite là. Il ouvre un placard et range ses affaires, dit-il, dans un sac. C’est du bluff. Il a en réalité déménagé depuis longtemps à Cergy (95). Les vêtements appartiennent aux sous-locataires.
Ces derniers, tous en situation irrégulière, étaient recrutés par des rabatteurs : l’une des victimes raconte par exemple en audition avoir découvert le plan, par un homme « dans la rue à gare du Nord ». Chaque chambre était sous-louée 400 euros par mois, parfois 375 pour ceux qui avaient pu « négocier ». Au moins huit personnes ont habité dans le HLM. Après l’expulsion, il va poursuivre son business dans son appartement de Cergy, où vont loger cinq personnes. Aucune de ces 12 victimes (l’un des sous-locataires à vécu dans les deux appartements), n’est présente ou représentée au tribunal ce jeudi 17 novembre. Ils ne seront jamais indemnisés.
Il plaide le complot
« Je ne voulais rien faire de méchant. J’ai juste voulu aider. » À la barre, monsieur F. nie l’évidence. « Je n’ai jamais demandé d’argent », jure-t-il. En audition, ses anciens sous-locataires racontent pourtant qu’il venait chaque mois, récolter ses loyers en cash. Parfois, « il avait son uniforme et son arme », détaille le substitut du procureur. « Une manière d’asseoir une certaine autorité », et au passage leur passer l’envie de porter plainte.
« Si tout ça est faux, comment vous expliquez ces témoignages », l’interroge la présidente du tribunal. Le gardien de la paix évoque « un complot de la préfecture ». « Et le FBI ou le Mossad », s’agace la magistrate :
« - Et votre femme, elle fait partie du complot ?
- Elle, elle m’en veut. Elle est partie sans raison.
- Pas sans raison. Il y a eu des violences conjugales. Vous avez été condamné. »
Le tribunal n’achète pas la thèse du complot. Monsieur F. est condamné à neuf mois de prison assortie d’un sursis probatoire et il ne peut plus exercer le métier de policier pendant cinq ans. Affaire suivante.
Coup de boule
Monsieur M. s’avance à la barre. Le gaillard aux larges épaules est accusé d’avoir, le 9 juin 2021, mis deux coups au visage de Thomas (1), alors qu’il était en cellule pour conduite sous l’emprise de stupéfiant et de lui avoir collé un coup de tête à sa sortie du commissariat. Le gardien de la paix nie les mandales. Il y a bien un témoin mais c’est un autre gardé à vue. Pas crédible pour le policier :
« Ils ont pu se mettre d’accord en cellule… »
Le gardien de la paix est obligé de reconnaître le coup de tête, confirmé en audition par plusieurs fonctionnaires de police présents. Mais il a une version bien à lui des faits :
« Ce n’est pas un coup de tête. Je l’ai repoussé avec le front. »
Un « geste réflexe » qu’il dit regretter. Lui, qui s’est engagé pour « se sentir utile » et « contribuer à la sécurité du pays ». Ses collègues décrivent un policier modèle, « le plus calme que j’ai jamais vu ». Il a pourtant déjà été condamné, comme son collègue, pour des violences conjugales. Il écope cette fois de 150 jours-amende à six euros (s’il ne paye pas les 900 euros d’amende, il écope de 150 jours de prison). La condamnation sera inscrite à son casier judiciaire. Maître Cayol (2), l’avocate de Thomas, indique à StreetPress que son client n’a pas l’intention d’interjeter appel de la décision.
(1) Le prénom a été modifié.
(2) Maître Cayol le principe des audiences spécialisées dans les contentieux de police ne la choque pas. « L’immense majorité des chambres correctionnelles étant spécialisées »
Image de Une, photo du tribunal de Paris par Yann Castanier
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