« Comment ça se fait qu’ils soient autant ? » Ce quinquagénaire de passage dans le tribunal s’interroge face à la trentaine de personnes qui passent devant la juge des libertés et des détentions (JLD) ce vendredi 7 octobre. Apparemment peu concerné par l’actualité, il n’a pas l’air de savoir qu’il y a eu le démantèlement d’un camp d’usagers du crack dans le 19e arrondissement de Paris deux jours plus tôt. Le bruit courait depuis la veille pour ce campement, qui rassemblait jusqu’à 500 personnes le jour, et les usagers ont eu l’air d’avoir fui. Finalement, selon le Monde, seule une cinquantaine de personnes ont été délogées. Et 27 étrangers sans-papiers ont été interpellés. Ils ont été placés dans le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (77). Tous concernés par des mesures d’éloignement, ils risquent d’être expulsés du territoire français.
« Le but c’est de démanteler un camp, ce n’est pas de procéder à une expulsion », martèle maître Moroni, avocate de plusieurs retenus. De l’autre côté du couloir, la voix de sa consoeur, maître Weinberg, fait résonner les murs jaune pâle de la salle d’audience numéro deux du tribunal judiciaire du Mesnil-Amelot et critique cette impréparation de l’opération au camp. « On savait très bien qu’il y aurait un démantèlement. La préfecture et le commissariat auraient pu prévoir en amont. »
« Je suis fatiguée », souffle une greffière lors de l’audience. Dans ce bâtiment de justice aux allures impersonnelles, le sentiment partagé est le même : la journée sera longue.
Vérifier la procédure
Le nombre d’interpellés dépasse très largement les quotas habituels. « La JLD doit vérifier que la procédure a bien été respectée lors de l’interpellation, de la garde à vue et du placement en rétention », précise une intervenante de justice de la Cimade, venue assister aux audiences. C’est le tribunal administratif de Montreuil (93) qui statuera sur les mesures d’éloignement lundi, mardi et mercredi prochains.
Les avocats présents pour défendre les droits des retenus misent d’ailleurs sur ces exceptions de procédure pour exiger la libération immédiate des interpellés. « Ils étaient trop nombreux pour qu’on puisse respecter les droits de tout le monde », assène maître Weinberg. Du côté de la préfecture, on invoque un procès-verbal rédigé par les services de police qui évoque des « circonstances insurmontables » liées au démantèlement du camp, justifiant que certains droits n’aient pu être notifiés en bonne et due forme.
Un état de santé qui inquiète
Les intervenants juridiques de la Cimade, qui ont rencontré l’ensemble des interpellés hier pour établir les recours, relatent pourtant que certains retenus n’ont pu voir de médecins, d’avocats ou d’interprètes pendant leur garde à vue. D’autres se rendaient simplement dans un centre d’hébergement social en face du camp et ont été embarqués avec les autres.
Surtout, l’état de santé des retenus inquiète, en plus de leur addiction au crack. « On a au moins une personne confirmée qui a le VIH. Plus généralement, on a beaucoup de personnes malades ou avec des troubles psychiatriques qui se retrouvent en sevrage forcé », détaille la Cimade, qui rappelle que l’on doit normalement « examiner la vulnérabilité des personnes avant de les placer en Cra ».
Conforme à la loi
À la mi-journée, l’ambiance est plutôt défaitiste du côté de l’association : « Au final, tout le monde va être prolongé, la JLD fait valoir les arguments de la préfecture », soupire l’une des intervenantes.
« Vous allez devoir rester au CRA. L’interpellation s’est faite de manière conforme à la loi. » La décision de la présidente tombe comme un couperet contre un des sans-papiers. « Non, c’est pas possible », parvient-il à articuler avant d’être escorté par deux policiers. Son avocate, maître Julia Moroni, griffonne alors quelques mots sur un bout de papier, lui tend et implore :
« Il faut qu’il fasse appel. »
Pour les retenus, un retour au CRA est synonyme d’une probable expulsion et surtout d’un enfermement dans « des conditions de vie atroces », note la Cimade. Pour l’association, la situation peut être catastrophique avec l’arrivée de ces usagers sevrés au crack. « Ces gens, qui ont besoin de soins, sont enfermés sans considération de leurs droits et de leur état de santé. On craint une hausse de la violence au Cra. Avec tout le stress que cela engendre, les gens sont placés dans un contexte de grande vulnérabilité », pointe Louise Lecaudey, responsable régional rétention chez la Cimade, qui rappelle qu’il y a déjà eu des émeutes au Cra du Mesnil-Amelot il y a un mois et demi. L’asso réclame « la fermeture des Cra et la prise en charge médico-sociale des personnes toxicomanes. À 17h, il n’y avait eu qu’une seule libération sur une vingtaine de dossiers.
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