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    05/10/2021

    On l’a suivi dans sa tournée

    Vincent est flic… Et dealer

    Par Fanta Kébé

    Vincent est policier adjoint. Chaque jour, il patrouille en uniforme. Certains soirs, pour arrondir ses fins de mois, il deale dans les beaux quartiers de la capitale.

    Essonne (91) – Dans une cave peu éclairée dont il a les clés, Vincent (1) se prépare pour sa deuxième vie. Il est 23h15. Il enfile un sweat à capuche sombre, un jogging et des baskets Asics. Puis, il range soigneusement la marchandise dans un sac de sport North Face noir avant de monter en voiture. « J’ai de la coke, de l’héro et de la beuh. J’ai ce qu’il faut pour contenter tout le monde », vante le dealer. Sauf que Vincent, 24 ans, est policier adjoint à Paris, comme en attestent sa carte de réquisition que StreetPress a pu consulter et son uniforme. Il est affecté dans un service de police dont l’une des principales missions est de lutter contre le trafic, la détention et l’usage de stupéfiants. Pourtant, depuis deux ans, il vend de la drogue certains soirs auprès de clients plutôt aisés.

    Il est 23h50. Vincent commence sa tournée. Il part en direction de la capitale. Pendant le trajet, le policier se confie. « Je ne fais pas ça pour le plaisir. C’est pour subvenir aux besoins de ma famille », jure-t-il :

    « Je suis le seul à travailler et je ne touche que 1.300 euros par mois. J’ai un crédit, un loyer et des factures, je ne m’en sors pas. La police est bien mignonne mais elle n’offre aucune aide. Je n’ai pas le choix. »

    Une manière, peut-être, de se donner bonne conscience. Les policiers en difficulté financière peuvent par exemple compter sur la fondation Louis Lépine. Située dans le quartier du Marais, elle propose aux policiers des prêts sociaux à taux zéro ou faible, des logements sociaux, des vacances en famille et des billets pour des spectacles à des prix cassés. Questionné sur cette structure, le jeune policier se renfrogne et met fin à la discussion.

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    Des clients aisés

    Stationné dans une rue sombre du 16ème arrondissement, Vincent attend patiemment l’arrivée de ses clients. Deux minutes plus tard, les premiers arrivent. Un grand brun et un blond aux cheveux mi-longs. À ma vue, l’un des deux hommes fait les gros yeux. Méfiant, il s’adresse avec virulence au policier.

    « C’est qui putain ! Qu’est-ce que tu me fais là ? Je t’ai dit que je ne voulais personne d’autre que toi ! »

    Vincent le rassure en me faisant passer pour son apprentie. Le client descend en pression. Puis le dealer effectue sa transaction.

    « Tenez vos huit grammes de coke. Quatre chacun. Vous avez de quoi vous éclater à fond maintenant. »

    Les consommateurs, sourire aux lèvres, lui tendent 640 euros en petites coupures. Le policier recompte, plie les billets en deux avant de les mettre dans sa sacoche. Deux rues plus loin, trois autres clients arrivent en titubant. Un homme chauve tient deux jeunes filles tout juste majeures par la main. Arrivé à hauteur de la voiture, l’homme alcoolisé réclame sa commande à haute voix.

    Le policier, tendu, lui demande d’abord de faire moins de bruit. Il sort ensuite trois grammes de cocaïne et deux grammes d’héroïne de son sac. « Ça te fera 360 euros », demande le dealer. L’homme retire plusieurs billets de 50 euros de son portefeuille en cuir noir. Il donne le tout à Vincent et s’en va avec ses amies.

    Ami avec son fournisseur

    Pour le policier-dealer, le taf est terminé pour ce soir. Il rentre chez lui avec 1.000 euros en poche. Fier de lui, il ironise :

    « Ça mettra du beurre dans les épinards. »

    Pour se fournir, Vincent ne pioche pas dans les saisies. Il fait, comme n’importe quel petit dealer, appel à un grossiste. Il dit avoir fait sa connaissance lors d’une soirée en 2018, alors qu’il était déjà policier adjoint. « On est devenu amis avant d’être partenaire de business. J’ai réellement commencé en 2019. »

    Les prix pratiqués par Vincent sont au-dessus de ce qui se fait sur le marché de la drogue. Mais selon le policier, sa clientèle plutôt aisée s’en moque :

    « Ils préfèrent acheter à un mec comme moi qui passe partout, plutôt qu’à un noir ou un arabe, qui est probablement surveillé par les collègues. »

    (1) Le prénom a été modifié.
    Photo d’illustration en domaine public via le site Hippopx

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