Le 16 août, un retenu du Centre de rétention de Oissel (76), près de Rouen effectue un test PCR dans le cadre d’une procédure d’éloignement, comme c’est l’usage. Un autre retenu, qui présente des symptômes, réalise lui aussi un test. Les résultats tombent le lendemain : positifs tous les deux. D’autres tests sont menés et un confinement de 17 jours est mis en place. Insuffisant pour empêcher la propagation du virus.
Au moment des premiers résultats, 41 personnes menacées d’expulsion étaient retenues dans le centre. Le 3 septembre, soit moins de 3 semaines après les premiers cas, 16 retenus étaient testés positifs au total, selon le Service d’aide aux étrangers retenus de Oissel de l’association France Terre d’Asile. Certains étaient pourtant négatifs lors de précédents tests, rapporte l’association.
Parmi les personnes contaminées, « 10 retenus ont été libérés par la préfecture, 4 ont été transférés au CRA dédié aux cas de Covid de Plaisir (78) et deux sont en attente de leur transfert vers ce même CRA. » précise par mail Adrien Chhim, chef de service du Service d’aide aux étrangers retenus de France Terre d’Asile. Face à la situation, il explique que l’association a dû réduire son « activité en présentiel au strict nécessaire, tout en maintenant une intervention en distanciel permanente ».
Dans deux mails du 20 et 25 août, le chef du centre de rétention rappelle des mesures sanitaires ont été mises en place. / Crédits : StreetPress
Selon un mail du 20 août du chef du centre de détention à l’intention de la justice, les mesures nécessaires ont été prises. Les retenus se seraient vu proposer des tests PCR, le respect des mesures barrières serait maintenu, et les retenus auraient à leur disposition des masques et du gel.* Mais selon Chantal Touret, membre du réseau des visiteurs et de l’observatoire citoyen du CRA, ce n’est pas tout à fait la réalité. Le 21 août, les retenus étaient encore plusieurs par chambre selon elle. Selon nos informations, le premier septembre, alors que quatre personnes venaient d’être testées positives, elles auraient mangé le repas du midi avec les autres. « En même temps, comment mettre quatre personnes à l’écart alors qu’il y a que deux lieux pour les isoler ? » s’indigne la militante avant de poursuivre :
« Et puis c’est compliqué de leur faire comprendre qu’on les met à l’isolement pour protéger leur santé et celle des autres, parce que normalement la pièce d’isolement c’est pour les gens qui posent des problèmes dans la collectivité. »
Toujours selon cette dernière, les retenus ne porteraient pas de masque à l’intérieur du centre. « Il faut qu’ils aillent le chercher le matin à l’infirmerie pendant la distribution des médicaments », explique-t-elle. Comme l’écrit le chef du centre de détention dans son mail, les retenus seraient en effet réticents à l’idée de se faire tester, mais selon elle, c’est parce qu’ils craignent que cela serve à les expulser : « Il y en a beaucoup qui refusent les tests, car ils ont peur qu’on les utilisent pour les éloignements. Ils n’ont pas confiance. » (Depuis le début de la crise sanitaire, un test PCR est exigé pour leur embarquement en vue de leur expulsion.)
La justice prolonge la rétention
Dans un échange SMS du 21 août consulté par StreetPress, un retenu fait part de son inquiétude depuis qu’il vit avec le virus : « Encore 2 cas Covid aujourd’hui. La plupart sont testés. 4 ou 5 non testés. La police dit que le centre va fermer puis ils disent que non. On ne sait plus où on en est. » « Déjà en temps habituel c’est tendu, alors là… », souffle Chantal Touret. Avec le centre confiné, les visites se font désormais à travers une paroi vitrée. « Bien sûr on comprend ces mesures, mais en même temps c’est difficile à vivre, même pour ceux à l’extérieur, pour les familles… » ajoute-t-elle. Son association continue de demander la fermeture du centre et la remise en liberté des retenus, comme déclaré dans un communiqué du 20 août. « Il y a une absurdité de l’enfermement dans les centres de rétention actuellement. Les retenus ont une mesure d’éloignement, mais avec le Covid il n’y a pas de vol pour l’étranger. Donc ils restent enfermés pendant 90 jours, qui est la durée maximum, et ensuite ils sont relâchés… Et ça fait 18 mois que ça dure » précise-t-elle, d’un ton remonté.
Dans un communiqué du 20 août, le réseau des visiteurs et de l'observatoire citoyen du CRA demandait : « à cesser tout placement en rétention de nouvelles personnes au CRA de Oissel et « la mise en liberté des personnes retenues ». / Crédits : StreetPress
Un retenu a d’ailleurs saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rouen pour qu’il soit mis fin à sa rétention administrative en invoquant la situation sanitaire. Sa demande a été refusée. Un autre retenu qui a lui aussi demandé sa remise en liberté, a même vu sa rétention prolongée de 30 jours.
Un retenu demande la fin de sa mise en rétention en invoquant la situation sanitaire et notamment le fait que les gestes barrières et la distanciation physique ne seraient pas respectées. / Crédits : StreetPress
Le retenu s'est finalement vu refuser sa mise en liberté, et sa prolongation de 30 jours de rétention au sein du CRA a été confirmée. / Crédits : StreetPress
En mars 2020 déjà, le Conseil d’État – la plus haute juridiction administrative – avait déjà rejeté la requête des associations de soutien aux immigrés, le Gisti et la Cimade, qui exigeaient la fermeture temporaire des CRA avec la pandémie de Covid-19. Le Conseil d’État avait estimé que des possibilités d’éloignement demeuraient et que les conditions de rétention étaient compatibles avec les prescriptions sanitaires.
Vincent Souty, avocat au barreau de Rouen et membre du syndicat des avocats de France est en colère face à la situation : « On ne peut pas faire grand-chose juridiquement. Mais la création et le maintien de ce cluster est inutile, il coûte cher et met en jeu la vie des gens. »
Sollicité, le directeur du CRA nous a redirigé vers la préfecture, contactée par mail, cette dernière n’a pas donné suite. Contactée, l’ARS Normandie n’a pas non plus répondu à nos sollicitations.
Image de Une : Capture d’écran Google street view
Ce mercredi 8 septembre, la préfecture de la Seine-Maritime a répondu à nos questions par mail : « Le Centre de Rétention Administrative (CRA) d’Oissel observe une “quarantaine” depuis le 17 août 2021 sur les prescriptions de l’ARS Normandie, à la suite de la découverte de cas COVID. Plus aucun retenu n’a depuis lors été admis au CRA de Oissel. (…) Après chaque campagne de dépistage effectuée au centre, tous les retenus déclarés positifs ont été placés en isolement thérapeutique en attente d’un transfert vers le Centre de rétention administrative de PLAISIR (CRA permettant l’accueil de retenus déclarés positifs) ou ont fait l’objet d’une assignation à résidence (…) ou dans un hôtel dédié à l’accueil des cas COVID, si les retenus sont sans domicile fixe. Un nouveau dépistage a à nouveau été proposé le 7 septembre à l’ensemble des retenus, la réouverture du CRA à des retenus extérieurs sera envisagée dès que les conditions sanitaires auront été validées par l’ARS (…) Des masques et du gel hydroalcoolique sont mis à disposition des retenus et des fonctionnaires du CRA. Des matériels complémentaires ont été fournis afin de limiter les risques de contamination (gants, chasubles, produits désinfectants…). Un rappel strict des mesures barrières par les membres de la direction du centre est fait quotidiennement à l’ensemble des effectifs du CRA et des retenus. Aucun cas positif n’a été identifié parmi les personnels policiers et les intervenants extérieurs. Dès la fin de cette crise sanitaire, les locaux du CRA seront désinfectés dans leur totalité. »
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