Colombes (92) – Raoul (1) est assis dans un fauteuil de bureau en cuir noir. Son portable sonne. Il met le haut-parleur : « Je voudrais trois dernières fiches de paie, un contrat de travail et un dernier avis d’imposition. » Il affiche un sourire suffisant et raconte :
« Des clients comme lui, j’en ai cinq à six par mois. »
Raoul, 37 ans, est en arrêt de travail prolongé. Depuis huit ans, il fabrique des faux documents. Principalement pour le compte de clients racisés, victimes de discriminations au logement, assure-t-il. Pour 400 euros, les intéressés ont le droit à trois fiches de paie, un contrat de travail plus vrai que nature et un avis d’imposition avec de très bons revenus. Une prestation censée berner les propriétaires les plus méfiants. Les agences immobilières, rétives à l’idée de louer à des personnes noires ou d’origine maghrébine seraient « rassurées » par ces fiches de paie de cadre sup.
Avant de se lancer dans les faux papiers, Raoul était technicien de maintenance. Un job qui lui a permis de se constituer un solide réseau de patrons de PME qu’il a embarqué dans sa combine. Le faussaire assure travailler avec une trentaine d’entreprises de différents secteurs. Elles sont chargées, au besoin, de confirmer la validité des documents :
« Quand les agences immobilières et les bailleurs appellent les entreprises, leur rôle est de confirmer que mes clients sont bien salariés chez eux. »
En échange, le faussaire verse au patron une petite commission, dont il préfère taire le montant.
Il se souvient de ses débuts: « La première année, mon client s’est fait coincer car le bailleur a appelé l’entreprise pour vérifier et bam… » Il soupire : « C’est beaucoup plus sûr maintenant avec les entreprises. »
Un business rentable
« En étant juste assis devant mon PC, je me fais près de 2.400 euros par mois, soit 28.000 à l’année », fanfaronne le faussaire. Pour ne pas éveiller les soupçons, l’homme aux cheveux bruns ébouriffés dépose le pactole par tranche de 300 euros sur un compte bancaire sans banque. L’homme investit ensuite dans une autre combine : l’immobilier en Afrique. Mais à l’entendre, Raoul serait presque un philanthrope. Questionné sur son opportunisme, il voit rouge :
« Je ne profite pas du malheur des gens, au contraire, je les aide. »
Il poursuit :
« Moi aussi, on m’a déjà refusé des apparts quand j’étais jeune parce que je suis métisse. »
D’une arrière-grand-mère espagnole et de parents bretons, l’homme à la peau blanche raconte avoir été victime de racisme. Puis il descend en pression, explique qu’il a de « tout » dans ses clients avant de soutenir que 95% d’entre eux sont noirs et Arabes.
Discrimination au logement
Les intéressés font généralement appel à lui en dernier recours. C’est le cas d’Ibrahim, agent des installations sportives, 35 ans :
« Les agences immobilières me raccrochaient au nez après avoir entendu mon prénom.”
Marié depuis trois mois et après un semestre de recherches infructueuses, le couple était sans-abri. « On dormait chez des amis. » Grâce à leurs faux dossiers et leurs bons chiffres, les agences font fi du prénom d’Ibrahim et le duo a pu obtenir un trois-pièces dans le 78.
Présenter des revenus élevés ne suffit pas toujours à amadouer les propriétaires racistes. Salim, 30 ans, électricien dans le bâtiment, a lui aussi fait appel au faussaire. Au moment de prendre rendez-vous pour visiter un appart’, il indique son faux salaire. Le proprio est alléché par ce profil idéal et lui indique qu’il ne devrait pas y avoir de problème pour qu’il obtienne le logement, s’il le souhaite. Mais une fois sur place, c’est une autre affaire :
« Je ne savais pas que vous étiez Arabe. Au téléphone, on aurait dit un blanc. »
Après cela, le propriétaire lui annonce qu’il ne loue plus son bien. Salim a finalement trouvé, toujours grâce à ses faux papiers, un deux-pièces dans le 91. Les deux hommes savent qu’en utilisant ces faux papiers, ils se placent dans l’illégalité. Mais ils assurent l’avoir fait par nécessité. Ibrahim soupir :
« On sait que c’est interdit mais si on ne le fait pas, on se retrouve à la rue ! »
(1) Le prénom a été modifié.
Image d’illustration : un bâtiment parisien, via Pixabay
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