« Tout le monde se fout qu’il y ait des cas Covid ici. Je mange avec eux tous les jours », soupire Toufik (1). L’exilé tunisien est enfermé au centre de rétention administrative (CRA) de Coquelles, à quelques kilomètres de Calais. Depuis sa cellule qu’il partage avec trois autres retenus, il raconte un quotidien guidé par la peur du virus. Car, malgré une situation sanitaire explosive, l’administration refuse de fermer à nouveau la structure. Selon nos informations, le 3 novembre 2020, 26 retenus sur 50 et plusieurs policiers sont positifs au Covid. L’administration attendra pourtant jusqu’au 17 novembre pour déclarer officiellement le centre de rétention comme cluster, et geler les entrées et les sorties.
Depuis sa réouverture en juin, la capacité totale du CRA est limitée à 50 places, au lieu de 79 en temps normal. Mais le 14 novembre, l’administration décide d’augmenter sa capacité en ouvrant de manière anticipée une extension, dont l’inauguration était initialement prévue pour janvier 2021. En plein week-end, 15 nouveaux retenus de nationalité albanaise sont placés dans la nouvelle zone. « Rien n’était prêt. Il n’y avait pas de chauffage, pas d’eau chaude dans la moitié des douches. Personne n’avait prévu de leur donner à manger » soupire Sophie, qui intervient au CRA depuis plusieurs années.
Les protocoles sanitaires ne sont pas respectés
Inquiets des risques de contamination, dix-neuf retenus représentés par maître Vincent Thalinger déposent le 12 décembre 2020, un référé-liberté au Tribunal Administratif de Lille. Ils demandent la fermeture immédiate du CRA pour une durée minimale de 14 jours. Pour eux, l’administration porte atteinte « de manière grave et illégale à leurs libertés fondamentales » et leur impose « un traitement inhumain et dégradant » : suspension des droits de visite, placements pour certains à l’isolement. Mais surtout, les requérants jugent le protocole sanitaire largement insuffisant. Depuis le pic de novembre, le nombre de cas a diminué, mais l’épidémie ne semble pas pour autant « sous contrôle ». En décembre et en janvier, de nouveaux retenus sont testés positifs, faisant craindre aux exilés un nouveau cluster.
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Selon le protocole sanitaire mis en place, chaque nouvel arrivant doit se soumettre au test PCR et être placé en « zone tampon », le temps de recevoir les résultats. Si le test est négatif, le retenu est transféré dans une autre zone saine. La réalité est tout autre, dénonce Toufik : « Lorsque je suis arrivé, je n’ai pas été testé. On m’a mis avec les autres. J’ai fait le test bien plus tard, lorsque j’ai été déclaré cas contact ». Tout au long de sa rétention, il partage sa chambre avec trois autres personnes « sans aucune distanciation sociale », insiste-t-il. « Les agents de police nous transfèrent de zone en zone presque chaque jour sans expliquer pourquoi, et les personnes positives au Covid-19 sont mélangées dans les zones », abonde Hakim. Il a été transféré à Coquelles en octobre 2020 après six années en prison. Il est épuisé par sa rétention et inquiet pour sa santé :
« Nous n’avons pas d’accès libre au gel antibactérien, le ménage n’est pas fait régulièrement dans les zones, ni dans les douches, ni dans les chambres. Les salles de repos ne sont jamais nettoyées entre chaque passage. »
Isolés dans une pièce sans chauffage
L’épidémie est d’autant plus difficile à contenir que de nombreux retenus refusent de se soumettre au test Covid. Hakim est l’un d’eux. Une manière pour lui de protester contre son enfermement, mais surtout une tentative pour empêcher son expulsion qu’il estime être une « condamnation à mort ». Le réfugié nigérian explique :
« J’ai refusé car j’ai des problèmes respiratoires et je ne peux pas retourner au Nigeria. La prochaine fois qu’on me demandera de faire un test Covid, je mettrai fin à mes jours, puisque ça sera la même chose si je suis expulsé. »
Dans ce cas, le protocole prévoit un isolement de sept jours, comme pour ceux qui sont positifs. Pendant cette septaine, les retenus n’ont pas accès à la cour de promenade et leurs déplacements sont soumis au bon vouloir de la police. Hakim détaille l’expérience :
« En isolement, nous sommes enfermés dans cinq mètres carrés environ. Il n’y a pas de chauffage, il fait froid. Nous n’avons pas d’oreiller, seulement une couverture légère. On ne m’a pas toujours permis d’accéder aux toilettes, j’ai dû me débrouiller. »
Concrètement, pisser dans une bouteille sous le regard de la caméra de vidéo-surveillance qui filme nuit et jour. Hakim est, plus tard, déclaré cas contact. Il subit donc une nouvelle septaine, ou plutôt sans qu’il ne sache pourquoi, une huitaine. Quand il proteste pour ce jour d’enfermement supplémentaire, on lui aurait répondu que « ce n’était pas bien grave ». « Nos droits sont piétinés » s’emporte-t-il.
Pour avoir refusé le test Covid, Hakim – comme d’autres – a même été placé en garde à vue. Il sera ensuite jugé en comparution immédiate pour « obstruction à une mesure d’éloignement ». Les exilés contaminés ne sont pas mieux traités. Depuis le 16 novembre, le CRA de Plaisir dans les Yvelines accueille les malades venus de toute la France. « J’ai attrapé le Covid-19 à Coquelles le 24 novembre. On m’a transféré à Plaisir pour me faire soigner, j’étais menotté dans l’ambulance » raconte ainsi Chamseddine, dans le cadre du référé-liberté.
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Renvoyé avec le virus
Avec la pandémie et les nombreuses restrictions aériennes, le nombre d’expulsions a chuté. Certains restent pourtant enfermés 90 jours avant de finalement être libérés. C’est un Juge des Libertés et de la Détention (JLD) qui décide du maintien ou non en rétention, jusqu’à une éventuelle expulsion. À l’annonce du cluster au CRA, les audiences au Tribunal Administratif de Lille ont cessé. Elles ont finalement repris fin novembre. Mais les délais restent rallongés. « Mon audience a été reportée à trois reprises à la demande du centre de rétention car une personne a été testée positive dans ma zone » s’énerve ainsi Toufik.
Malgré la pandémie, les retenus n’échappent pas tous aux expulsions. À Coquelles, depuis septembre, les Albanais représentent 80% des mesures d’éloignement. Le 3 novembre, en plein cluster, une personne cas contact est éloignée vers l’Albanie alors même que les résultats du test n’étaient pas arrivés et qu’il subsistait des gros doutes sur son état de santé. Quatre personnes qui partageaient la même zone ont été testés positives par la suite. « Un homme a sans-doute été renvoyé en Albanie avec le virus » s’inquiète Sophie.
Contactée par StreetPress, la préfecture du Pas-de-Calais estime de son côté que tout roule :
« L’organisation du centre de rétention a été adaptée pour que puissent être appliqués les gestes barrières et les règles de distanciation sociale dans les espaces de vie et permettre ainsi le renforcement de la sécurité sanitaire. »
Et la justice semble lui donner raison. En effet, le référé déposé par 19 retenus le 12 décembre a été rejeté. Pour sa défense, le Préfet concluait au rejet de la requête en référé le 15 décembre, soutenait les « conclusions des requérants irrecevables », et niait l’existence d’une atteinte grave et illégale aux libertés fondamentales.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Photo principale de Pierre Gautheron prise à Calais en janvier 2016.
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