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    17/09/2019

    « Le blocage est toujours le même : la religion »

    Soumaya, le film censuré parce qu’il traite d’islamophobie

    Par Inès Belgacem

    Soumaya devait être projeté en avant-première au Grand Rex. Après une campagne de dénigrement menée par la fachosphère, le ciné s’est dégonflé. Depuis le film galère pour trouver des salles.

    « Moi j’appelle ça de la censure silencieuse. » Au téléphone, le cinéaste Ubaydah Abu-Usayd revient sur la genèse, et les galères, de son premier film, Soumaya, co-réalisé avec Waheed Khan. Le pitch : Soumaya est cadre depuis 14 ans dans une entreprise de transport ; du jour au lendemain, au moment des attentats de Paris, elle est perquisitionnée et perd son emploi. Dérives de l’état d’urgence, ambiance post-attentat, islamophobie, Soumaya – tiré d’une histoire vraie – aborde un certain nombre de sujets brûlants. Avec l’idée de les démystifier. « On nous dit toujours que ce sont des thématiques importantes. Mais certaines personnes ne veulent pas diffuser le film, sans jamais donner de réelles raisons. »

    Le Grand Rex déprogramme

    En mars dernier, c’est le Grand Rex qui annule leur avant-première, pourtant prévue depuis décembre 2018. « On avait payé l’acompte. Il nous manquait une dernière confirmation. » Mais sur les réseaux sociaux, la fachosphère – dont notamment Résistance républicaine et FdeSouche – s’empare du sujet. « Un coup de pression », selon les réalisateurs. Ils reçoivent dans la foulée un appel de la salle de ciné parisienne, qui leur annonce leur déprogrammation. « Nous ne passons pas ce genre de film », leur explique le Grand Rex. Par « genre », l’institution entendrait « film indépendant ». Mais après quelques recherches, les réals trouvent des précédents de diffusions de productions indé.

    « C’était pour d’autres raisons. J’étais extrêmement choquée que l’affaire ne fasse pas plus de bruit », se souvient, amer, Soraya Hachoumi, l’actrice principale. Les réalisateurs décident d’aller jusqu’aux tribunaux. Les avocats de la salle finissent par lâcher le morceau :

    « Le Grand Rex est un cinéma commercial et familial. Il n’a pas pour vocation de diffuser des films politiques ou confessionnels. »

    « Le blocage est toujours le même : la religion. Et c’est pareil pour les médias mainstream, que notre film n’a jamais intéressé », clarifie Ubaydah Abu-Usayd. Même s’il souffre de quelques défauts liés au manque de moyens, ce n’est pas, selon le réalisateur, le souci : « Ils ne l’ont pas vu… »

    Les liens qu’auraient des réalisateurs avec le Collectif Contre l’Islamophobie en France reviennent, aussi, régulièrement sur les réseaux sociaux. Ubaydah Abu-Usayd n’y voit aucun problème : « C’est un organisme qui a aidé beaucoup de familles musulmanes pendant l’état d’urgence. » Le CCIF leur a mis à disposition les dossiers des différentes personnes qu’ils suivent dans leurs démarches juridiques. C’est par l’intermédiaire du collectif que le réalisateur rencontre la maman voilée qui se cache derrière le personnage de Soumaya.

    Film artisanal

    « Le but n’est pas de parler de l’Islam, mais de donner le point de vue de la communauté musulmane », explique le réal. Soraya Hachoumi embraye : « On a beaucoup parlé des musulmans dans les médias, sans leur donner la parole. C’est terrible. Sans prosélytisme, le film leur donne la parole ».

    Pour cette mission, l’équipe du film commence par organiser un crowdfunding, qui se révèle insuffisant. C’est un mécène qui, croyant à la nécessité d’un tel projet, leur confie un gros chèque : 27.000 euros. C’est seulement le budget nécessaire pour un court-métrage. Waheed Khan et Ubaydah Abu-Usayd en ont fait un long. « Quand un film français tourne autour de 4 millions », renseigne ce dernier. « Je l’ai subi ce film », confie l’actrice principale qui, comme tous les acteurs, a été bénévole. « C’était beaucoup de temps, d’investissement, et c’était exceptionnel comme mode de fonctionnement. Les vêtements par exemple, ce sont tous les miens dans le film. » Les réals défendent eux leur cinéma indé et « artisanal », comme ils l’appellent.

    La diffusion est tout aussi artisanale. N’étant pas dans un circuit classique, l’équipe a entamé une petite tournée. Elle demande aussi, chaque soir, de partager le hashtag #Soumayadansmaville, pour les aider à répandre le plus possible le long-métrage. « Comme on a peu de relais, les réseaux sociaux nous servent de médias », assure le réalisateur. Lors de la première date, porte des Lilas à Paris, le 30 août dernier, une des spectatrices a pris la parole : « Il y a des centaines de films avec des musulmans. Mais je crois que c’est la première fois que je me retrouve. Pour une fois, je suis représentée. Merci. »

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