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    20/12/2018

    Des vices de procédures à tous les étages

    Un accord humanitaire entre la France et le Maroc pour mieux expulser des mineurs

    Par Tomas Statius

    Au printemps 2018, la préfecture de Paris annonce la signature d’un accord avec le Maroc pour accompagner les mineurs de la Goutte d’Or. Derrière ce beau projet se cache en réalité un dispositif visant à mieux les expulser.

    D’après des informations de StreetPress, depuis septembre, pas moins de neuf jeunes Marocains de la Goutte d’Or ont été expulsés par la France. Tous étaient majeurs, assurent les services du Consulat du Maroc, sollicités par les policiers français. Problème : quatre juraient du contraire. Dans sa poche, l’un d’entre eux, Rachid B., avait même un extrait d’acte de naissance pour prouver de sa bonne foi. Vous avez dit couac ?

    Objectif : expulsion

    Les mineurs isolés marocains de la Goutte d’Or, c’est le caillou dans la botte de la préfecture de police de Paris (PP). Depuis deux ans, le sujet ne cesse de faire son retour dans l’actualité. Petits larcins, violences, trafics de drogue… ces gamins perdus excèdent les riverains et inquiètent les pouvoirs publics, comme le racontait récemment Mediapart. Fin 2017, ces derniers dégainent un plan d’urgence piloté par la PP : travailleurs sociaux spécialisés intégrés au sein d’une structure dédiée, le centre d’accueil social protestant (CASP) ainsi qu’une attention particulière des services de la protection de l’enfance et de police. Sauf que les jeunes ne se laissent pas approcher si facilement, explique une travailleuse sociale parisienne :

    « Nos processus habituels de contact et d’approche ne répondent pas à leur profil. »

    Au printemps 2018, la préf’ trouve finalement LA solution : s’entendre avec les autorités marocaines, à l’instar de ce que la France fait avec d’autres pays, dont le Soudan, pour être plus efficace niveau éloignement. C’est en effet souvent là que le bât blesse : faute de documents d’identité valides, les autorités françaises peinent à faire exécuter les décisions d’expulsion prononcées par les préfets. Une première réunion, entre les autorités marocaines et françaises, est organisée le 11 juin 2018. Objectif ? Monter une mission d’identification, comme l’explique un compte-rendu officiel de la préfecture, dévoilé par l’association le Gisti :

    « Cette équipe aura pour mission d’auditionner les mineurs isolés marocains (…) permettant de lancer les investigations en vue de leur identification et de leur retour au Maroc. »

    Au cours de cette réunion, préfecture et ambassade décident de faire le maximum pour déterminer l’identité des jeunes marocains :

    « Les téléphones portables et les réseaux sociaux constituent des sources précieuses, voir essentielles. »

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    Dans les rues de Barbès / Crédits : Tomas Statius

    Coopération

    Le 18 juin, une première équipe de six fonctionnaires marocains, dont quatre policiers, débarque au commissariat de la Goutte d’Or, comme le racontait à l’époque Le Parisien. Plusieurs semaines durant, ils auditionnent des jeunes Marocains sur place, sans pour autant entamer des démarches pour les renvoyer au pays. « La police marocaine essaie de comprendre s’il y a une famille ou des propositions de retour », confie à l’époque cette même travailleuse sociale :

    « Si les gamins refusent, ils peuvent rester en France. »

    « Cette coopération résulte d’un accord politique entre les autorités françaises et marocaines, visant à mieux appréhender et gérer le phénomène », indique sobrement le ministère de l’Intérieur. Depuis, les policiers marocains ont été relayés par une cellule de quatre à six agents intégrés dans les services du Consulat à Paris. Certains sont employés par le ministère de l’Intérieur. D’autres par le ministère des Affaires Sociales, indique l’ambassade :

    « On essaie de fournir un travail en amont pour que leur retour se fasse dans de bonnes conditions. »

    Le Maroc se mord la queue

    Depuis début septembre, d’après des informations de StreetPress, au moins neuf Marocains de la Goutte d’Or ont été expulsés dans le cadre de cette coopération. Tous après être passés par la case rétention. Quatre d’entre eux affirmaient pourtant être mineurs et désireux de rester en France. Leur expulsion aurait dû être impossible, complète un travailleur social parisien :

    « Et du coup, il aurait dû y avoir un accompagnement. »

    Rachid B. fait partie de ceux-là. Le jeune homme venait d’Allemagne, d’après ses déclarations devant le juge, et comptait se rendre en Espagne. Il faisait une halte prolongée dans le quartier de la Goutte d’Or quand les pandores l’ont pincé. Arrêté le 12 octobre dans le 18ème, il est envoyé au centre de rétention de Vincennes, après avoir été placé en garde à vue. C’est au cours de cette courte période qu’il aurait vu un officiel marocain, selon des informations de StreetPress. Suite à ce mystérieux entretien, les autorités du Royaume établissent que Rachid est majeur. Ce qu’il conteste fermement devant le juge de la liberté et de la détention (JLD). Dès le 14 octobre, le jeune homme confie à son avocat une copie de son extrait d’acte de naissance datée du 28 septembre 2018. Selon ce document, Rachid serait né le 9 décembre 2001. Mineur, donc. « A la police, il était connu sous plusieurs fausses identités. A chaque fois en tant que majeur », se souvient son avocat Maître Lekeufack :

    « Quand Rachid lui a présenté le document, le juge a dit qu’il ne le croyait pas puisqu’il avait déjà menti. »

    Son pays d’origine autorise finalement son expulsion. Elle est prévue initialement pour le 27 octobre, un peu plus de deux semaines après son interpellation. Alors qu’il est enfermé au Centre de rétention de Vincennes, Rachid se fait envoyer un nouvel extrait d’acte de naissance, plus récent celui-ci. Le document, consulté par StreetPress, est en tout point similaire à celui présenté devant le JLD, le 14 octobre. Le magistrat finit par reconnaître sa minorité et prononce sa libération dans un jugement du 25 octobre 2018. Mais le parquet s’acharne. Il fait appel et obtient le maintien en rétention du jeune Marocain sans que sa situation soit réévaluée par les autorités marocaines. Son vol est donc toujours prévu. Le temps presse.

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    Dans la jungle de Barbès / Crédits : Tomas Statius

    No future

    La suite de son histoire se joue devant le tribunal administratif de Paris. Rue de Jouy, le jeune homme et son avocate, Maître Ouled, contestent la légalité de son expulsion.

    Le seul hic ? Impossible pour le jeune homme de présenter son extrait d’acte de naissance au tribunal. La direction du centre de rétention refuse qu’il apporte le précieux document à l’audience, comme elle l’a fait lors de son second passage devant le JLD. « La préfecture de Paris a volontairement fait obstruction à la production à l’audience de l’original de l’extrait d’acte de naissance de Monsieur Rachid B. », gronde ce dernier dans la décision citée précédemment :

    « Le document original étant retenu dans le coffre du centre de rétention malgré une demande téléphonique express du juge des libertés et de la détention. »

    Les magistrats administratifs ne se montrent pas aussi cléments que leurs cousins du Tribunal de grande instance. La requête de Rachid est rejetée, faute d’avoir pu amener ce document à l’audience. Deux jours plus tard, il est expédié vers le Maroc.

    « J’ai fait trois tests osseux »

    Le 14 décembre, c’est au tour de Kamel B. de se présenter devant le tribunal administratif de Paris. Lui aussi est marocain. Il est également libyen, d’après ses dires. Lui aussi est placé au centre de rétention. Lui aussi affirme être retenu alors qu’il est mineur. Le Maroc a pourtant certifié du contraire. Le jeune homme se présente à la barre la mine fatiguée, le visage rongé par l’acné et les épaules courbées, comme s’il pliait sous le poids de la charge. Un interprète l’aide à s’exprimer.

    L’affaire est un poil compliquée. Le jeune homme est connu de la police sous huit identités différentes en France. Faute de document d’identité, impossible de savoir laquelle est la bonne. Six fois sur huit, Kamel s’est présenté comme un mineur, né en 2002, ce qu’il soutient aujourd’hui. Les deux fois restantes comme majeur. La « prétendue minorité » du jeune homme est âprement discutée devant le tribunal. L’avocate de la préfecture :

    « Un entretien avec le Consulat a permis d’établir sa majorité. »

    Problème, Kamel affirme, lui aussi, n’avoir jamais vu aucun officiel marocain. Son avocat dégaine un mail de l’administration de Fleury-Mérogis. Son client aurait séjourné dans le quartier mineur de la plus grande prison d’Europe, il y a seulement quelques mois. Kamel serait donc, selon l’administration française, mineur. Interrogé par la Présidente, le jeune homme finit par lâcher :

    « Je suis mineur, j’ai fait trois tests osseux. »

    Pourtant, aucune trace de ces examens dans la procédure. Kamel n’en démord pas. Charge au tribunal de juger avec ce qu’il a… à savoir pas grand chose. « Tout ce qu’on demande, c’est que le doute leur bénéficie », peste le membre d’une association de soutien aux réfugiés :

    « Dans leur dossier, il manque beaucoup de choses. »

    « La gestion de l’administration marocaine n’est pas aussi rigoureuse que la nôtre, notamment en matière d’état civil », renchérit une travailleuse sociale qui plaide aussi pour des procédures moins expéditives :

    « Sur les extraits d’acte de naissance, parfois il n’y a pas de date. Que l’année. »

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    L'ancien square des mineurs à deux pas de La Chapelle / Crédits : Tomas Statius

    Comment l’identification se passe

    StreetPress a cherché à en savoir plus sur le fonctionnement de cette cellule d’identification marocaine, chargée de déterminer l’âge et l’identité des sans-papiers interpellés par les policiers français. « Ce sont des missions classiques. On fait de l’identification depuis longtemps », précise l’ambassade du Maroc, qui n’a cependant pas répondu à nos questions sur la situation de Kamel ou Rachid. Les effectifs du service ont été gonflés pour répondre à la situation des ados de la Goutte d’Or, explique-t-on uniquement du côté de l’ambassade.

    Interrogée sur le fonctionnement de cette cellule, l’ambassade en livre les détails. Deux cas de figure sont possibles. Soit le sans-papiers n’a pas de document d’identité valable et dans ce cas, c’est aux fonctionnaires marocains de déterminer son âge et son état civil grâce à un entretien, à la manière de ce qui se fait en France par exemple :

    « On utilise un questionnaire, tout ce qu’il y a de plus scientifique. Beaucoup de pays l’utilisent. C’est une méthode qui a fait ses preuves. »

    Pour compléter les informations recueillies, les agents peuvent faire appel aux services de l’état civil marocain, poursuit l’ambassade. Bien que cette vérification ne soit pas automatique :

    « Cela dépend des cas. »

    Deuxième cas de figure : la personne en situation irrégulière possède des documents d’identité. Les agents cherchent alors à déterminer sa provenance et s’il est vrai ou faux. Selon l’ambassade, la méthode serait infaillible. Rachid serait l’exception qui confirme la règle.

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