« Lycéens humiliés, parents mobilisés », tonne au micro, Yessa, une brune aux traits fins coiffée d’un béret noir. La petite foule reprend le slogan, en colère. L’air est froid ce mercredi 12 décembre à Mantes-la-Jolie. Ce qui n’a pas empêché près de 200 parents, lycéens, profs ou encore associatifs de se rendre à cette « marche de solidarité avec les lycéens interpellés » le 6 décembre dernier. À l’initiative de ce mouvement, le Collectif de Défense des Jeunes du Mantois. « La plupart d’entre nous ont vu les images des interpellations avant même de récupérer nos enfants. On ne pouvait pas laisser passer ça. On a voulu se réunir entre parents pour s’organiser », raconte Rachida, en marge du rassemblement. Elle fait référence à la vidéo, filmée par un policier, où l’on voit des dizaines de lycéens à genoux, les mains derrière la tête. Le tollé est immédiat. Gizem, jeune fille bavarde et excitée de 15 ans, s’insurge :
« Normal ! Franchement c’est une scène d’exécution ! On dirait la Syrie ! »
La petite blonde aux cheveux en bataille a l’œil droit encore enflé. Le bleu a, depuis quelques jours, laissé place à un coquard brun depuis quelques jours. La semaine dernière, elle a échappé à l’interpellation mais s’est pris un coude de CRS dans la mêlée. Victoria était là aussi. Elle non plus ne s’est pas fait attraper. « C’est inhumain ce que les policiers ont fait aux autres. Ils leur ont dit “on est dans un zoo” parce que les lycéens étaient arabes et noirs ! » Froide, stoïque, elle poursuit son récit :
« J’étais là, de l’autre côté du trottoir. J’ai vu des trucs racistes, des mères voilées – et j’insiste sur voilées – se faire bousculer et insulter par la police. C’est normal ça ? »
« Ils ne l’auraient pas fait ailleurs »
La manif stationne devant le lycée Saint-Exupéry, où ont eu lieu les interpellations. Dans le cortège, il y a des élèves des lycées environnants, comme Gizem, Victoria et leurs copines. Il y a aussi des mères solidaires, comme Nawel. Elle a un garçon de 17 ans en terminale. « Ça aurait pu être le mien », souffle-t-elle. Aujourd’hui, elle tourne partout pour apporter son aide où elle le peut. Comme la plupart des riverains présents, elle est intimement persuadée que ces dérapages n’auraient pas pu avoir lieu ailleurs :
« On est réduits au silence, renvoyés à notre statut d’habitants de Mantes, de banlieusards, de moins que rien. Elle est où l’égalité pour nous ? Pour nos enfants ? »
Rachida raconte inlassablement son histoire à tous ceux qui lui demandent. « C’est dur, je suis fatiguée, mais il le faut. » Son fils de 17 ans a fait partie des enfants sur la vidéo. Il a passé la nuit en garde à vue à Mantes, à quinze dans une cellule prévue pour cinq explique-t-elle :
« Mon fils était persuadé que la police ne pouvait pas lui faire de mal. Qu’il pouvait manifester librement. J’ai toujours habité en cité, je n’avais pas sa confiance. Quand je lui en ai parlé, il m’a dit “ne t’inquiète pas”. Le matin, il est sorti blême du commissariat. La première chose qu’il m’a dit c’est “je déteste la police, j’ai la haine”. »
Les quelques mamans concernées et présentes confient toutes leur sentiment d’impuissance. Parmi elle, il y a madame Amri, une grande femme fine, au regard doux mais déterminé. Elle a fait partie des premières mamans à témoigner, pour faire connaître la situation :
« Quand il est sorti de GAV, il m’a dit “tu vois, je n’aurais pas dû aller à l’école”. Il avait le regard triste, les lèvres bleues, d’énorme cernes. Je me suis sentie coupable. C’est vrai, c’est moi qui l’ai envoyé à l’école alors qu’il ne voulait pas. »
Elle, comme Rachida, Yessa et d’autres parents, se relaient depuis devant les lycées pour éviter les débordements. Pour se mettre entre les enfants et les CRS. Pour éteindre la fureur aussi. « Ils nous ont déclaré la guerre, ils ont fait du mal aux nôtres. Ils auront la guerre », ont assuré certains élèves à Rachida. « Que voulez-vous que je leur réponde, dans le fond on est tous si en colère… »
Rachida /
Pour que ça n’arrive plus jamais
« Solidarité avec les lycéens », « violence policière, parents en colère », « répression, humiliation, ça suffit ». Les slogans s’enchaînent. « On est là pour que ça ne se reproduise plus », assure Valentin Turpin. Sa fille, Camélia, 15 ans, s’est fait embarquer jusqu’au commissariat de Trappes le jour des interpellations. « Je n’avais rien fait, ça n’était pas juste », raconte le petite fille, pas plus haute qu’1m50, fine comme une danseuse.
« Ça ne peut plus se reproduire. Nous, parents, nous devons protéger nos enfants », crie une maman dans le micro, avant d’inviter la foule à s’agenouiller, mains derrière la tête, comme ce qui est arrivé à leurs enfants :
« Ca fait à peine 30 secondes. Vous commencez à sentir vos genoux endoloris par le bitume. Le froid. Vous sentez vos bras ? Ils sont restés 4 heures comme ça pour certains ! »
Les avocats, présents, ont indiqué que les premières plaintes ont été déposées le matin même. Et que d’autres suivront. Ils ont également demandé le dépaysement du dossier. Une demande en bonne voie selon eux.
"Vous voyez ce qu'ils ont fait à nos enfants?" /
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