Lundi soir, trois slogans ont été tagués sur la façade du lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine. Dans la nuit, la police interpelle 6 lycéens qu’elle soupçonne d’être les auteurs des graffitis. Toumani, 16 ans, scolarisé dans cet établissement est l’un d’eux. Il conteste être l’auteur des “dégradations”. À StreetPress, il raconte ses 36 heures de garde à vue mouvementées.
« Aux environs d’une heure du matin, on marchait dans la rue avec 3 amis vers une épicerie, quand on aperçoit une voiture de police. On savait très bien qu’ils allaient venir nous voir. Comme on n’avait rien à se reprocher, on reste tranquilles. La voiture de police vient à notre hauteur. Les policiers sortent pour un contrôle d’identité. Assez vite, ils sont rejoints par la BAC de Vitry.
Ils commencent par nous fouiller. Derrière moi, l’un des policiers me dit : « C’est quoi ça dans ton sac ? ». Je me retourne pour lui répondre. D’un coup, l’un d’eux m’assène un coup de pied dans les parties intimes. Il me dit :
« Qui t’a autorisé à te retourner ? Qui t’en a donné l’ordre ? »
Finalement, comme on n’avait aucune substance illicite ni aucune arme sur nous, ils nous ont laissé partir. Sauf que quelques minutes plus tard, ils reviennent nous chercher et nous font monter dans un camion de la Police nationale. Entre temps, les policiers avaient arrêté deux autres jeunes de notre lycée.
Difficile de dormir
Vers deux heures du matin, on est arrivés au commissariat d’Ivry. On est mis en garde à vue. Les policiers nous annoncent qu’on est là pour dégradation volontaire aggravée de bien public. On a appris plus tard que c’était pour des tags. Pendant 2 heures, on est resté menottés, sur un banc. Le temps de nous faire signer des papiers et de saisir nos affaires. Comme j’avais pas mal d’argent sur moi, ils m’ont demandé si je savais combien. « Oui j’ai 153 euros, mais en billet vous allez trouver 150 euros ». Le policier me répond qu’il n’y a que 130 euros. Sur la fouille, je crois qu’il a marqué 120 euros. J’ai rétorqué que ce n’était pas normal et que j’en parlerai demain avec l’OPJ [officier de police judiciaire].
Vers 4 heures du matin, on a été placés en cellule. On était serrés à 4 dans la même pièce, il n’y avait pas de place. On avait un seul matelas et deux bancs tout petits pour dormir. Le lendemain matin, les avocats arrivent et on commence les auditions avec les policiers. D’emblée, ils me demandent ce qu’il s’est passé. Ils nous disent qu’un témoin nous a reconnus. Ils nous montrent la bombe de peinture et demandent si on reconnait l’objet. On répond que non. On était tous sur la même version. On explique qu’on a rien fait. Ils finissent par nous remettre en cellule.
Coup de tête
Vers midi, une personne qui était dans la même cellule [sans rapport avec cette affaire], ne reçoit pas sa nourriture. Il appelle le chef de poste. Pas de réponse. Alors, on a tapé sur les vitres pour le faire réagir. Il s’est énervé. Avec 5 policiers, ils sont rentrés dans notre cellule et ont commencé à nous bousculer. L’un d’eux a fait mine de vouloir frapper mon collègue. Pour se protéger, il a écarté ses mains. Le policier lui a alors mis un coup de tête.
Le soir, on a fait un facetime avec la procureure. Elle nous a expliqué la situation et nous a dit qu’il allait y avoir une confrontation avec le témoin. J’en ai profité pour lui parler du manque d’argent dans la fouille. J’avais essayé de le dire aux policiers mais ils ne réagissaient pas. Trente minutes après cette conversation, deux policiers viennent me voir dans ma cellule. Ils me disent « Pourquoi tu as parlé de l’argent ? L’argent est là. Si tu as un problème, tu en parles à nous. » Ils finissent par me dire que les 150 euros sont là. Ils les avaient remis dans la fouille.
Prolongation
En fin de journée, on est à nouveau présentés devant des policiers pour signer notre prolongation de garde à vue de 24 heures. Les policiers me disent : « Il faut que tu signes là et là ! » Mais je voulais lire d’abord. « Oh il fait chier celui là, il va lire ! ». Je commence à lire mais ils s’étaient trompés : c’était la feuille d’un de mes camarades. Ils m’ont finalement donné la bonne feuille. Ils insistaient : « Assieds-toi, lit vite ». Avant que je finisse, une policière m’arrache la feuille des mains :
« – Tu prends trop de temps, on va prendre ça comme un refus.
– Non, j’ai envie de tout lire. J’ai envie de savoir ce que je signe.
– Non, c’est un refus. »
Ils m’ont mis des menottes et m’ont emmené dehors.
La mobilisation continue
On est montés dans un camion qui nous a déposés au commissariat de Vitry. On y a juste dormi. Le lendemain matin, ils nous ramènent à Ivry. On est tous dans la même cellule, les 6. J’ai droit à une nouvelle audition, par rapport au coup que j’avais reçu lors de mon interpellation. Je porte plainte. On est ensuite remis en cellule. Au final, on est sortis vers 13h30, sans avoir été confrontés au témoin, alors que c’était la raison principale pour laquelle notre garde à vue avait été prolongée de 24 heures.
Devant le commissariat, il y avait le maire, beaucoup de lycéens que je connaissais et des parents d’élèves. J’ai retrouvé ma famille. Ma mère m’a dit qu’il ne fallait pas lâcher. Mon père m’a juste dit : « Tu pues, va te laver ». À 21h, j’étais au lit. Puis je me suis réveillé à 3 heures du matin pour aller bloquer mon lycée. Moi je me mobilise contre ParcourSup. C’est la pire chose qui peut arriver aux lycéens de banlieue. »
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER