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    15/10/2018

    « C'est le sentiment d'enfermement qui prédomine »

    Centre éducatif fermé pour mineurs : une alternative imparfaite à la prison

    Par Simon Henry

    À Bruay-la-Buissière, ils sont douze mineurs condamnés, placés en centre éducatif fermé. Un dispositif à mi-chemin entre l'accueil en milieu ouvert et la prison que le gouvernement va étendre. StreetPress s’est glissé derrière les murs de ce centre.

    Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais) – Côté pile, un majestueux donjon s’élève au-dessus des vestiges du château de la commune. Côté face, sur le flanc est de ce domaine de plusieurs hectares, le paysage oscille entre des bâtiments vides et décharnés d’un côté, et une clôture grillagée s’étirant à perte de vue de l’autre. Derrière, un terrain de basket et deux bâtisses aux couleurs tristes semblent comme pris au piège. Un chemin traverse ce décor désenchanté. Puis entre les grilles, une porte surmontée d’une plaque à l’effigie du ministère de la Justice se dévoile. Bienvenue au Centre éducatif fermé (CEF).

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    À l’accueil, la responsable de cette structure pour mineurs délinquants, Carole Lehingue, reçoit. Elle est accompagnée de la chargée de communication de la Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) Grand Nord. À peine l’échange est-il engagé avec la responsable du centre qu’il est aussitôt interrompu par l’irruption d’un éducateur, porteur d’une mauvaise nouvelle. La veille, un jeune a fugué. Pourtant, personne n’a l’air vraiment interloqué. Comme si c’était banal. « Cela peut arriver », admet Carole Lehingue, en poste cependant depuis tout juste un mois :

    « Mais de là à dire régulièrement, je ne sais pas. »

    Une visite sous contrôle

    Les CEF sont des structures à mi-chemin entre l’accueil en milieu ouvert et la prison. Encadrés par dix-sept éducateurs, les mineurs sont soumis ici à ce qu’on appelle une « contrainte éducative ». Comprendre : les jeunes n’ont pas été placés ici pour se la couler douce, et il y a des règles à suivre. Car les CEF sont des établissements où les mineurs sont placés après une condamnation. Braquages, vols, violences, affaires criminelles, le tableau est parfois sombre. Des jeunes à la personnalité explosive et au parcours de vie souvent difficile. Durant leur séjour, d’une période minimale de six mois, les jeunes sont donc tenus de respecter les obligations fixées dans le cadre de leur placement. Cela commence par l’adhésion à l’emploi du temps hebdomadaire. Un programme strict et individualisé autant que possible, avec comme objectif final de leur transmettre les outils pédagogiques et éducatifs nécessaires pour une réinsertion réussie.

    Depuis la création des CEF en 2002, le nombre de mineurs placés dans ces structures ne cesse de croître, relève la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH). Une inflation qui devrait se poursuivre. En effet, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a annoncé cette année la création de 20 CEF supplémentaires d’ici à 2021, ce qui portera le nombre total de ces établissements à 71. Pour convaincre des bienfaits du dispositif, l’administration a accepté de nous ouvrir les portes du CEF de Bruay-la-Buissière. Une visite sous contrôle au programme imposé. Impossible par exemple de prendre nos repas avec les jeunes. Et nous ne pourrons interroger que trois d’entre eux, en présence de responsables de l’administration, les autres ne disposant pas de l’autorisation parentale. La visite nous donnera tout de même un aperçu du quotidien de ce centre.

    Un suivi individualisé

    Dès 7 h 30, les éducateurs tirent les jeunes de leur sommeil. Dans l’allée qui parcourt le premier étage, et qui ressemble tristement à une coursive de prison, chacun dispose de sa propre chambre, meublée d’un lit, d’une armoire murale, d’un bureau et d’un lavabo. En général, ils la quittent vers 9h, après le petit-déjeuner et leur toilette du matin, pour ne la retrouver que le soir, au terme de leur journée remplie d’activités. « Le matin, ils bénéficient tous de cours pour rattraper leur retard. Beaucoup sont malheureusement en échec scolaire », restitue Carole Lehingue. Dans la salle de cours, Déborah (1), longs cheveux bruns et yeux rieurs, est assise face à un bureau. Elle planche sur des exercices de maths en compagnie de l’un des enseignants du centre. Elle n’est pas autorisée à s’exprimer, faute d’avoir obtenu une autorisation parentale au moment de la visite. Son professeur se charge d’expliquer le cours de ce matin :

    « On retravaille les calculs de base : addition, soustraction, division. Puis les autres jours, on révise par exemple les notions élémentaires de français. On s’adapte à la progression de chacun. »

    À Bruay-la-Buissière, la capacité maximale est de douze jeunes. Mais durant notre visite, ils ne seront jamais tous réunis. D’ailleurs, à quelques exceptions près comme le déjeuner, lequel est concocté à tour de rôle par les deux cuisiniers du centre, cela arrive très rarement. Qu’elles soient sportives, culturelles ou autres, les activités qui émaillent leurs journées se déroulent au maximum par groupe de trois pour presque autant d’éducateurs sur leur dos. « Ce sont des jeunes perturbés et turbulents », explique Carole Lehingue :

    « Si on les réunissait tous ensemble à chaque fois, ce serait systématiquement la guerre et ça rendrait la situation ingérable pour les éducateurs. »

    Déborah est la seule fille du groupe, et elle bénéficie d’un suivi particulier car elle est en voie de radicalisation. « De ce fait, elle ne peut pas participer à toutes les activités mais nous l’accompagnons autrement », précise Carole Lehingue :

    « Par exemple un soir, on a regardé avec elle un documentaire sur l’État Islamique à la télé. On a ensuite cherché à en discuter avec elle pour connaître son analyse, et voir où elle en est dans son esprit. »

    L’équipe du centre compte aussi une infirmière et une psychologue mises à disposition des jeunes.

    Projet professionnel

    Tandis que Déborah a le nez sur sa copie, Lino (1), 17 ans, en tenue de survêtement et les cheveux gominés, suit un atelier de peinture à l’extérieur du centre, dans une unité éducative d’activité de jour (UEAJ). Au cours de leur placement, les jeunes sont aussi parfois amenés à sortir du centre pour suivre une activité dite « professionnelle ». L’objectif ? Éveiller une vocation chez des jeunes en perte de confiance. « Dans notre CEF, les jeunes sont âgés de 15 à 17 ans. Comme l’école n’est plus obligatoire à 16 ans, ils y retournent rarement à l’issue de leur placement », explique Carole Lehingue. « Alors on met surtout l’accent sur la recherche et la mise en place d’un contrat d’apprentissage ou d’une formation pour garantir leur réinsertion. » Elle tient néanmoins à préciser :

    « Mais on ne leur impose aucun métier, ce sont eux qui choisissent. »

    Voir des jeunes réussir, c’est sa fierté. p1060871.jpg

    De toute évidence, Lino ne se lancera pas dans la peinture, ça ne l’éclate pas. Mais Arnold, le professeur technique qui l’a sous sa charge, ne lui en tient pas rigueur. « Je ne m’attends pas à ce qu’il s’amuse, mais au moins il n’a pas traîné des pieds. C’est le principal. » En 10 ans de carrière, il en a connu des plus volontaires. En atteste l’un des murs de son atelier, où une dizaine de diplômes de CAP décrochés grâce à lui sont accrochés. Voir des jeunes réussir, « c’est sa fierté ».

    Ce n’est pas la joie

    À l’abri des regards dans le bureau d’Arnold, Lino se confie sur ce qu’il ressent de son placement. Lorsqu’on lui demande depuis combien de temps il est arrivé, sa réponse fuse. « Un mois et huit jours », lâche-t-il avec une précision étonnante. Comme s’il cochait chaque jour en attendant la fin. Les yeux dans le vague, il peine à pointer les bons et mauvais points. « Ce n’est pas horrible, mais je préfère être chez moi », dit-il avec simplicité. Si Lino s’en accommode, c’est sans doute aussi parce qu’il n’en est pas à son premier placement. Et cette fois, il a un projet professionnel en tête : magasinier cariste, pour ensuite devenir grutier.

    « Il y a du boulot et ça paie bien. Je veux juste une vie calme et rangée. »

    Damien (1), 17 ans, se retrouve quant à lui, dans un entrepôt du Secours populaire dans la zone industrielle d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Grand gaillard à la mine renfrognée, sa mission du jour consiste à trier et à reconstituer une palette d’objets morcelés. Assis sur un carton, Damien rouspète depuis de longues minutes. Les chaussures de sécurité lui font un mal de chien. Et puis cette activité, « c’est de la merde », ne cesse-t-il de répéter. « Bah alors pourquoi tu es là? », lui demande une bénévole de l’association, sous les yeux de la responsable, gênée aux entournures par son comportement. « Bah vous le savez bien, c’est parce que je suis obligé! », objecte-t-il :

    « La semaine dernière, on m’a emmené faire du cheval alors que je m’en fous aussi. J’en ai marre d’être ici ! »

    « C’est le sentiment d’enfermement qui prédomine »

    « En même temps, ils ne sont pas là pour s’amuser », recadre Carole Lehingue. Damien a lui aussi un projet : il veut travailler dans le bâtiment. Alors pourquoi ne pas lui avoir organisé une activité en lien avec son projet ? « C’est évidemment prévu », assure Carole Lehingue. « Mais pour l’heure, c’est encore trop tôt. Damien n’est qu’au début de son placement ». Car c’est là l’autre spécificité des CEF. Le premier mois du placement, les sorties des jeunes se limitent aux activités imposées par leur emploi du temps sous surveillance des éducateurs. Une période que la responsable du centre appelle « phase éducative interne ».

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    / Crédits : Simon Henry

    « L’idée est de leur réapprendre les valeurs de bases comme le respect, la politesse ou autres. Au Secours populaire par exemple, le but était de développer l’empathie. Cela fait partie du processus éducatif ». Voilà trois semaines que Damien a été placé au CEF de Bruay-la-Buissière. Mais il ne s’y fait pas. « Sa famille et ses amis lui manquent », les téléphones portables sont interdits et au cours de ce premier mois, aucun retour chez les proches n’est permis. « Pendant toute la durée du placement, c’est le sentiment d’enfermement qui prédomine chez ces jeunes, comme s’ils étaient en prison », témoigne Pascal (1). Ce quadragénaire a été éducateur pendant 5 ans dans un autre CEF :

    « À l’exception de quelques sorties, les jeunes se retrouvent coupés du monde, désorientés.. Et comme ils sont vulnérables émotionnellement, cela les pousse à sombrer davantage dans la violence. »

    « [Les proches des jeunes] peuvent venir leur rendre visite quelques jours au centre », nuance la responsable. Au fil des mois, les permissions sont graduelles. D’abord un week-end toutes les deux semaines, puis toutes les semaines, jusqu’à prétendre à un stage et des activités en lien avec leur projet professionnel près de leur famille, pour se réhabituer doucement mais sûrement à la vie hors de la structure.

    Direction la prison

    Tout ceci est conditionné au comportement du jeune pendant son placement. Quelques jours avant la visite, un jeune a frappé l’un de ses camarades. Au CEF, chaque incident est notifié et envoyé au juge, lequel décide ensuite de la sanction à appliquer. Cette fois-ci, le week-end que le jeune devait passer chez sa famille a été annulé et sa permission de sortie retirée. « Il est devenu fou », raconte Carole Lehingue :

    « Il s’est mis à insulter des éducateurs avant de casser du mobilier. Il a franchi la ligne de tolérance. »

    Pour l’ensemble de son œuvre, le jeune risque gros. Car le contrat est clair : en cas d’incident grave au cours de son placement, le juge peut décider de l’incarcérer. « C’est là où ce système est hypocrite », fulmine Sonia Ollivier, co-secrétaire nationale du syndicat SNPES-PJJ/FSU, et fermement opposée à ces « structures d’enfermement » :

    « Les CEF sont officiellement présentés comme la dernière alternative à la prison, mais en réalité beaucoup de jeunes sont incarcérés au cours ou à l’issue de leur placement. C’est l’antichambre de la prison. »

    Une note interne de la direction de la protection judiciaire de la Jeunesse (DPJJ) que Streetpress s’est procurée, confirme le propos de la syndicaliste :

    « Il est constaté qu’un nombre important de mineurs ne va pas jusqu’au terme de son placement en CEF et est incarcéré au cours de celui-ci. Au titre des causes d’incarcération, on retrouve le non-respect du règlement du fonctionnement du CEF ou bien encore la commission d’un délit au sein de la structure. »

    « C’est de mesures éducatives dont ils ont besoin »

    « L’enfermement n’est pas la réponse à apporter à ces jeunes. C’est de mesures éducatives dont ils ont besoin », fustige Anais Vrain, ancienne juge des enfants et désormais secrétaire nationale du syndicat de la magistrature. D’autant que la création des 20 nouveaux CEF a un coût : selon le ministère de la Justice, l’investissement initial s’élève à 30 millions d’euros pour un coût de fonctionnement ensuite de l’ordre de 42 millions par an. « Cet argent serait bien mieux dépensé pour recruter des éducateurs et financer des structures à milieu ouvert où les jeunes peuvent davantage s’épanouir. Là, c’est clairement du gâchis », s’indigne Anais Vrain.

    Mais ce n’est pas l’orientation que prend le gouvernement. Néanmoins, le ministère de la Justice envisage de procéder à quelques changements. Le 27 septembre dernier, au CEF d’Angoulême, Nicole Belloubet a présenté un dispositif des CEF « nouvelle génération ». Il se décline en trois mesures : la création d’un « espace parental » pour accueillir les familles, l’amélioration de la protection et de la sécurité des mineurs et des professionnels, à grands renforts de murs d’enceinte et de caméras; et surtout, le renforcement de l’accompagnement des mineurs en fin de placement.

    Lino et Damien auront tous deux presque 18 ans à l’issue du placement. Un basculement vers la majorité qui signifie la fin des mesures d’accompagnement propres à la justice des mineurs. « Vous savez, je suis calme quand je suis dehors », assure Lino. « Je fais ma petite vie. C’est tout ce que je demande. »

    (1) La loi impose de dissimuler le parcours et de conserver l’anonymat des mineurs délinquants. Leurs prénoms ont donc été modifiés. Tout comme celui de l’éducateur, qui n’a pas souhaité s’exprimer sous sa véritable identité.

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