La démarche boiteuse, Djamel propose d’échanger son ticket-restau’ contre un billet, pour acheter son caillou à fumer. Plutôt lucide, il raconte brièvement son parcours, articulant tant bien que mal avec les quatre dents qui lui restent :
« Le crack ? Ça te met dans un état incroyable, difficile à décrire. Un mélange d’excitation et de détente. »
Comme beaucoup, il était à « la colline », un bidonville qui regroupait près de 200 usagers de drogues, principalement de crack. Construit au fil des années, ce camp de fortune à ciel ouvert situé sur l’immense échangeur de la porte de la Chapelle a été complètement évacué et démantelé le 27 juin dernier. Le lendemain, le squat s’était déjà reformé quelques centaines de mètres plus loin.
Tous ne sont pas revenus. Certains, comme Djamel, ont posé leurs affaires sur un coin de trottoir de Stalingrad, parce que « avec la Chapelle, c’est l’endroit le plus facile pour s’en procurer ». Selon la mairie de Paris, ils seraient une quarantaine d’usagers à avoir rejoint la place Stalingrad, s’ajoutant à ceux déjà présents avant l’évacuation. Peut-être un centaine au total, établis sur ce petit bout d’arrondissement.
Crackhead ! / Crédits : Valentin Belleville
Les politiques prennent le problème à bras le corps
Au cours de l’été, une pétition circule et la mairie reçoit des plaintes de nombreux habitants agacés par la mendicité parfois agressive de ces nouveaux voisins. La grogne monte et la presse se fait écho du sujet, poussant les pouvoirs publics à réagir.
Ce lundi 17 septembre, le préfet de Paris avait convié les acteurs concernés pour tenter de trouver une solution. Autour de la table, il y a l’Agence régionale de santé, la mairie de Paris, le Caarud Boréal (le Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues, situé à Stalingrad), ou encore la mission interministérielle de lutte contre les drogues. S’il n’existe pas de solution miracle pour endiguer le problème, le Caarud Boréal, avance quelques pistes : réduire le temps administratif (obtenir une domiciliation prend minimum deux semaines à un usager de drogue), augmenter le nombre de places d’hébergements adaptés. « 99% des gens qui viennent nous chercher veulent arrêter la drogue. Mais souvent on fait face à la lenteur de l’administration. Or, un usager qui veut s’en sortir est dans une situation d’urgence », assure Carola, la coordinatrice du Caarud. Elle insiste également sur l’importance de faciliter l’accès aux soins :
« Il a besoin d’une prise en charge sociale et médicale rapide. Si son rendez-vous médical est dans 15 jours, le lendemain il ne revient pas. On a parfois l’impression qu’on se bat dans le vide. »
La Rotonde sous le soleil. / Crédits : Valentin Belleville
Pour arrêter de se battre en vain, les structures comme le Caarud Boréal demandent plus de moyens dédiés à la prise en charge des crackeurs. Avec en priorité l’ouverture de places d’hébergements, les hôtels et les centres d’hébergements d’urgence continuant de faire défaut à Paris. L’association milite également pour l’ouverture de salle de consommation à moindre risque (SCMR) dédiées aux usagers de crack.
Des salles pour les usagers de crack
De son côté, la mairie de Paris partage les propositions des travailleurs de terrain. Mais renvoie la patate chaude à l’État et s’agace du silence de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Anne Souyris, l’adjointe à la santé à Paris, assure que ses courriers au ministère sont restés lettres mortes. Pour l’élue, l’heure doit être à l’action, la situation sanitaire se dégrade à Stalingrad :
« Depuis 30 ans, l’État n’a pas pris la mesure du problème. Des choses ont été faites pour l’injection avec la salle de consommation à moindre risque, mais il n’existe toujours pas de salle dédiée à l’inhalation. Il est plus que temps que Madame Buzyn s’exprime sur le sujet. »
Au Caarud comme à la mairie de Paris, on s’impatiente de l’inaction de l’État. Si un plan crack est dans les cartons depuis plusieurs semaines, il tarde à arriver. Le gouvernement devrait tout de même le dévoiler avant la fin du mois de septembre. Pensé à l’échelle nationale, il devrait selon Anne Souyris, « poser un cadre général assorti d’un volet légal pour permettre l’ouverture d’une salle de consommation uniquement dédiée à l’inhalation ». En effet, le cadre légal n’autorise les salles de shoots que pour les usagers de drogues qui s’injectent (comme l’héroïne) mais interdit les salles dédiées aux drogues qui s’inhalent, comme le crack. Le nouveau texte en préparation pourrait donc permettre l’ouverture de salles pour les usagers de crack.
Plus largement, les acteurs de terrain espèrent que ce « plan crack » prendra le contre pied des politiques répressives historiquement de rigueur et mettra fin aux évacuations à répétition au profit d’un dispositif de prise en charge à la hauteur du problème. Des mesures qui permettraient de réduire les consommations de rue, et ainsi de répondre en partie à la colère des riverains.
Situation fatigante
Pour l’heure, les habitants du quartier en ont ras le bol. Depuis quelques semaines une pétition tourne pour faire réagir les autorités. L’initiative vient d’un collectif de riverains excédés devant l’absence d’action politique. Signée par plus de 3 200 personnes, la pétition parle de Stalingrad comme d’une place devenue « la chasse gardée des dealers de crack et de leurs clients » et somme le Préfet de Paris de « ne pas l’abandonner aux mains des délinquants ».
Zonage. / Crédits : Valentin Belleville
À la Rotonde, bar central de la place, Yaya assure la sécurité tous les jours avec un collègue. Il est régulièrement confronté aux consommateurs de crack. La journée, le vigile tourne assez tranquillement autour de l’établissement pour éviter les intrusions et la mendicité poussive, à la tombée du jour certaines rondes deviennent plus sportives. Le protecteur de la Rotonde use de pédagogie au maximum avec les crackeurs, mais parfois ça dégénère :
« Une fois ils étaient une dizaine autour de moi c’était chaud, j’étais tout seul j’ai pas eu le choix, j’ai sorti la gazeuse ».
Sur la terrasse de la Rotonde, Alizée prépare un mojito dans un cabanon aménagé en bar. Il y a un mois, ce kiosque était braqué par des crackeurs, tout l’alcool avec. La serveuse bosse souvent jusqu’à 7 heures du mat’ et n’a jamais eu de problème en rentrant. Pour elle, la situation est compliquée mais pas de quoi parler de climat d’insécurité : « Certains crackeurs sont sympas, intelligents, intéressants, on discute. Avec d’autres, il faut faire intervenir les agents de sécu’, manière de dire “ici c’est notre territoire, là-bas le vôtre” ». La jeune femme aimerait voir un vrai dispositif sanitaire sur la place et plus de présence associative dans le quartier.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER