C’est la deuxième fois en cinq ans que de nombreux médias choisissent de laisser la parole aux pourvoyeurs de fake news que sont les représentants de La Manif pour tous et leurs alliés. J’observe depuis 15 jours la façon dont de nombreuses émissions traitent de la PMA, et c’est une catastrophe journalistique. Si, à l’époque les journalistes pouvaient prétendre que ces questions leur tombaient dessus, cette fois ils, elles, devraient être au fait de ces sujets et des conséquences qu’il y a à mal les traiter. Or, les mêmes erreurs sont commises aujourd’hui à propos de la PMA, alors qu’on connaît les dégâts provoqués il y a 5 ans : hausse des agressions homophobes, des discriminations dans les entreprises, dans la sphère familiale, etc.
Il y a pourtant quelques points simples à respecter pour améliorer le traitement journalistique.
1 – Donner la parole aux concernées
C’est un problème général, qui ne concerne pas seulement le débat autour de la PMA. Beaucoup de minorités sont désarmées face à cet enjeu de représentation. Dans les médias, on parle de migrations sans migrants, on discute de racisme entre blancs, etc. Pourtant, les premiers concernés sont les plus à même d’en parler. Ils, elles, ne livrent pas seulement un vécu ou un témoignage, mais une expertise. Pour la PMA, nous lesbiennes connaissons les enjeux du débat et avons expérimenté les limites de la loi actuelle. Nous avons donc légitimité à en parler.
Aujourd’hui, sur les plateaux de télévision, les premiers invités sont La Manif pour tous avec, en face, le gouvernement. Comme si les membres du gouvernement étaient des représentants LGBT. C’est ce qu’a par exemple fait C’est l’Hebdo (France 5), en invitant Ludovine de La Rochère (présidente de La Manif pour tous) et Christophe Castaner (porte-parole du gouvernement). Même constat pour les émission 28 minutes (arte), Le Qui vive (Europe1) qui pour parler de PMA convie des opposant.e.s mais pas de lesbiennes pour les contrer.
Ne pas inviter de lesbiennes sur un plateau lorsqu’on discute de PMA c’est déjà manifester un choix politique. Et je ne parle pas forcément de représentantes associatives. Il faut aussi inviter des gens qui ont vécu la chose, pour porter un point de vue fort et étayé. Je l’ai expérimenté directement lorsque j’ai débattu face à Eugénie Bastié et Natacha Polony, sur le plateau de LCI, le 13 septembre dernier. Un vis-à-vis assez costaud donc. Le fait que je sois moi présente et que je leur dise, en face, “je vous parle en tant que lesbienne” a changé la donne. Dans ces circonstances, le camp adverse ne peut pas se permettre de balancer autant de propos discriminatoires, vexants ou même erronés. C’est aussi pour cela qu’il est si important que davantage de personnalités publiques parlent en tant que lesbiennes, fassent leur coming out, cela fait une différence, sur les plateaux, à l’Assemblée nationale, en comité d’entreprise, partout.
2 – Ne pas tomber dans la confusion PMA = GPA
La GPA (Gestation Pour Autrui) a été introduite dans le débat par La Manif pour tous. Tous leurs slogans sont là dessus. Elle n’a jamais été au programme du gouvernement, n’a rien à faire dans le débat. Et pourtant, la GPA resurgit inévitablement, hier, avec le mariage pour tous et aujourd’hui avec la PMA.
Bien sûr qu’il pourrait être tout à fait intéressant de discuter de la GPA, mais pas dans ce cadre là. Lorsqu’on parle de GPA actuellement dans les médias, c’est uniquement pour contrer la PMA. Introduire cette question dans une discussion en plateau lorsqu’on est journaliste, c’est donc là encore, prendre position.
Alors quand Charlie Hebdo et d’autres reprennent ce PMA = GPA, c’est comme s’ils remettaient 10 balles dans le jukebox lesbophobe pour le faire chanter à nouveau.
Lorsque je suis sur les plateaux ou en interview, je refuse de répondre aux questions sur la GPA. Sur le plateau de LCI, le présentateur m’a posé deux fois la question au cours du débat. Poser la question, comme y répondre, c’est faire le jeu de La Manif pour tous. Passer du temps à recentrer le débat, c’est en perdre pour défendre la PMA, pour expliquer que la réserver aux seules femmes qui ont le projet d’avoir un enfant avec un homme est discriminant ; qu’elle pourrait changer la vie de milliers de femmes ; qu’il faut repenser la notion de famille ; qu’il faut parler de la situation d’autres pays sur cette question. Mais il est impossible d’introduire tous ces sujets, puisqu’on ne parle que de GPA.
3 – Ne pas reprendre tels quels des slogans et des communiqués de presse de La Manif pour tous
Je ne dis pas que ces journalistes ont un parti pris lesbophobe, je pointe juste la capacité de La Manif pour tous à les manipuler, là, où, sur d’autres sujets elles et ils seraient beaucoup plus vigilant.e.s. Les représentant.e.s de La Manif pour tous sont des spécialistes des fake news. Comment peut-on continuer à convier des personnes dont on sait pertinemment qu’elles vont proférer des contre-vérités à l’antenne? De nombreuses émissions les invitent ou les citent en titres de leurs articles, pour faire du clic, de l’audience. C’est irresponsable.
« Alors quand Charlie Hebdo et d’autres reprennent ce PMA = GPA, c’est comme s’ils remettaient 10 balles dans le jukebox lesbophobe pour le faire chanter à nouveau.
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Alice Coffin
Quand certains articles au sujet de la PMA, comme ceux de RTL ou du Huffington Post sont repris tels quels sur le compte twitter de La Manif pour tous, cela devrait interroger. Trop souvent, on retrouve mot pour mot les slogans, le lexique, les expressions toutes faites qui ne veulent rien dire type “PMA sans père”, sous la plume des journalistes. Comme sur tout autre sujet, le boulot devrait être d’abord d’observer un sens critique envers les éléments de communication.
4 – En finir avec l’invisibilité des lesbiennes
Souvent, pour leur défense, les journalistes me disent “non mais je voudrais bien inviter des lesbiennes, mais je n’en connais pas”. Et bien, il faut davantage bosser alors. Parce qu’il suffit de se pencher deux minutes sur le sujet de la PMA pour récolter de nombreux textes signés par des militantes, des expertes, super aguerries et très à même de porter cette parole. Par ailleurs, cela me semble faire partie du boulot de journaliste de prendre le temps de chercher les sources pertinentes sur un sujet.
Au delà des personnes, le mot “lesbienne” lui-même est si peu utilisé dans les médias, comme dans la sphère publique d’ailleurs. Même à la sortie du film La vie d’Adèle, on parlait de “romance”, de “femmes”, mais pas de lesbiennes. Ce qui n’est pas dit n’existe pas. Exemple, avec le mot lesbophobie. Ne pas employer le terme lesbophobie implique que les moyens qui devraient être mis en place pour combattre cette oppression spécifique ne le sont pas. Il y a évidemment et heureusement des exceptions.
>> relire Informer sans discriminer, en finir avec l’invisibilité des lesbiennes
Ce texte est le verbatim d’un entretien téléphonique réalisé le vendredi 22 septembre 2017. Propos recueillis par Inès Belgacem.
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