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    03/07/2017

    « Des effets d’annonce qui créent de faux espoirs chez les malades »

    Un labo marseillais est-il vraiment proche du vaccin contre le SIDA ?

    Par Marius Riviere

    Depuis plusieurs années, Biosantech et le Pr Loret font miroiter l’espoir d’un vaccin à des millions de personnes malades du sida. Entre conflit d'intérêt et cautions scientifiques douteuses, StreetPress dégonfle la montgolfière.

    Ce 15 mars 2016, la nouvelle fait l’effet d’une bombe : un vaccin contre le virus du sida serait sur le point d’être créé et… cocorico, c’est un chercheur français basé à Marseille, Erwann Loret, et une entreprise française, Biosantech, qui sont à l’origine de cette avancée. A l’hôpital La Conception, à Marseille, face à une nuée de micros et de caméras, le professeur annonce fièrement :

    « Avec ce vaccin, on fait gagner 70 ans de trithérapie aux patients ! »

    Aussitôt, La Provence annonce ce bond de géant scientifique. « Espoirs de guérison », « VIH : un vaccin bientôt commercialisé ? », « Un vaccin enfin efficace contre le sida » : L’OBS, Europe 1, RTL, Les Inrocks, France Télévisions, Les Echos, de nombreux médias embrayent… C’est peu dire que Biosantech a réussi sa conférence de presse.

    Comme un doute ?

    Seulement, le lendemain, certains médias sont comme pris d’un doute. Et s’ils étaient allés un peu trop vite ? Jean-François Delfraissy, directeur de la très sérieuse Agence de recherche nationale contre le sida (ANRS), pousse un coup de gueule dans le Quotidien des médecins :

    « Je ne partage pas du tout l’analyse des données présentées à Marseille. il n’existe pas de données qui permettent de dire quoi que ce soit à ce stade »

    Et de regretter :

    « Des effets d’annonce extrêmement délétères qui créent de faux espoirs chez les malades. »

    L’Usine Digitale, dans un article détaillé, en remet une couche : les résultats n’ont – à ce moment là – pas encore été publiés dans une revue scientifique, comme c’est pourtant l’usage. Une fuite dans la Provence les aurait poussé à agir ainsi, assure Biosantech. « C’est le professeur Loret qui a malencontreusement appelé la Provence, vu le pataquès, je m’en serais bien gardé », explique Corinne Treger, dirigeante de Biosantech. Dans ce même article, Monsef Benkirane, directeur de recherche au CNRS à Montpellier, assène :

    « Dans le milieu scientifique, tout le monde sait que ce qu’annoncent Biosantech et Erwann Loret n’est pas vrai. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/treger-correa-loret_1.jpg

    De droite à gauche : le Pr Loret, Michel Paul Correa, Corinne Treger lors de la conférence de presse, le 15 mars 2016. /

    D’autant qu’en 2013, en 2014, en 2015, on trouve dans la presse des articles annonçant déjà les résultats spectaculaires du Pr Loret et de Biosantech. « Selon notre décompte, les premières annonces du Pr Loret remontent à 1999 », détaille à StreetPress Christian Andréo, directeur adjoint de l’association Aides:

    « Chaque année ou presque depuis plus de 15 ans, il nous annonce l’arrivée de son vaccin et curieusement ces annonces interviennent toujours avant le Sidaction [en avril] ou le Téléthon [premier weekend du mois de décembre]. »

    Qu’en est-il vraiment ?

    Erwann Loret, à l’origine de cette découverte miraculeuse, travaille depuis 1992 comme professeur associé au CNRS. Biosantech a acquis en 1999 et en 2013 deux de ses brevets. Le vaccin qu’il tente de développer est à vocation thérapeutique et non préventive : en clair, il est destiné aux malades déjà porteurs du virus. En 2013, après des essais sur des macaques, l’entreprise et le chercheur obtiennent l’agrément auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour mener leurs essais cliniques sur 48 patients séropositifs, sous trithérapie à l’hôpital la Conception, à Marseille. L’autorisation comportait deux parties : une première partie consistant à déterminer quelle dose du vaccin est nécessaire pour une bonne efficacité. Cette phase a été terminée en mars 2016. Ce sont les résultats de cette première phase qui ont été annoncés en grande pompe à la presse et qui seront finalement publiés dans la revue Retrovirology le 1er avril 2016.

    Joint par StreetPress, le professeur Peter Godfrey-Faussett, conseiller scientifique à l’Onusida a bien voulu nous aider à décrypter ces résultats. Bilan ? « Les résultats de ce vaccin ne montrent pas l’effet miraculeux qu’on lui prête », relève-t-il, avant d’ajouter :

    « Ils ne sont pas très impressionnants en fait. »

    Le vaccin semble réduire la présence du virus dans le sang, « mais ce n’est qu’une partie du problème. Si le virus est moins présent dans l’ARN [acide ribonucléique, rappelez vous de vos cours de SVT, ndlr], il est toujours présent de manière plus ou moins forte dans l’ADN [Acide désoxyribonucléique, ndlr] des cellules des malades ». Un résultat d’autant plus décevant que « l’absence du virus dans le sang ne signifie pas guérison ! La trithérapie a aussi cet effet, pourtant le virus ressurgit dès qu’on arrête le traitement, c’est bien là tout le problème d’ailleurs ».

    Pour déterminer la bonne dose à injecter chez ces patients, l’équipe du chercheur a utilisé trois doses différentes : une légère, une moyenne et une forte dose. « Et, contre toute attente, la haute dose a moins d’effet que la moyenne », détaille le professeur Peter Godfrey-Faussett. Ce qui suggèrait, selon le spécialiste que les résultats observés peuvent survenir au hasard et que le vaccin n’est pas d’une réelle efficacité.

    Lui aussi insiste :

    « Il est important pour les chercheurs de ne pas exagérer sur leurs recherches pour ne pas soulever de faux espoirs chez les patients. »

    C’est reparti pour un tour

    L’histoire pourrait s’arrêter courant 2016, au moment des premières levées de bouclier, mais Biosantech organise sa défense. Moins d’un an plus tard, rebelote, avec une petite nouveauté cette fois : selon l’entreprise, le professeur serait censuré, ses recherches seraient interrompues pour d’obscures raisons et Biosantech subirait des pressions de toutes parts pour cesser ses recherches. Encore une fois une partie de la presse relaie cette version. 20 Minutes, le 20 février :

    « Vaccin VIH : “on n’a jamais été si proche du but, mais aujourd’hui les recherches sont coupées”. »

    (img) Ces scientifiques ont tous arrêté leur collaboration avec Biosantech, selon Michel Paul Correa.comite_de_soutien_scientifique_de_biosantech_a_montpellier_a_la_7eme_conference_afravih_le_29-04-2014_a_ce_jour_toutes_ces_personnes_ont_arrete_leur_collaboration_avec_biosantech2_1.png

    La Tribune, 1er mars :

    « L’étrange rétropédalage du CNRS sur un vaccin anti-VIH. »

    Explications. Le CNRS, où le professeur Loret est chercheur associé, lui aurait demandé de cesser ses recherches et de ne plus parler à la presse (1). Le 14 mars, l’“affaire s’invite même au parloir de l’Assemblée Nationale”:http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-103416QE.htm où le député PCF du Nord, Jean-Jacques Candelier, interroge Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé sur cet « étrange rétropédalage du CNRS qui s’est retiré d’un projet de vaccin pour lutter contre le VIH développé par le laboratoire azuréen Biosantech ». Une pétition intitulée « NON à l’arrêt de la recherche du vaccin contre le sida par le CNRS » est même lancée.

    Des essais en stand by

    Pour que les essais cliniques soient complets, une deuxième étude doit être menée – sur un groupe de patients différents avec la dose sélectionnée. Une phase soumise à une nouvelle autorisation de l’Agence nationale de santé du médicament. C’est elle qui permet de déterminer l’efficacité réelle du vaccin.

    Joint par StreetPress, le professeur Loret commence par nous expliquer qu’il ne peut plus s’exprimer dans la presse. Il précise tout de même :

    « Avec 17 collaborateurs, nous avons fait quelques modifications substantielles après la phase IIa [première partie] et une demande pour une phase IIb [deuxième partie] auprès de l’ANSM est en cours. »

    Sauf que, contactée par StreetPress, l’ANSM assure n’avoir reçu aucune nouvelle demande. Nouveau bleuf du professeur Loret ? Corinne Treger, patronne de Biosantech, nous assure qu’il s’agit d’un simple retard :

    « Nous avions des problèmes logistiques, nous n’avions pas de médecin pour mener les recherches en fait, mais nous allons faire cette demande. »

    Le grand complot

    Mais pour la dirigeante qui a repris l’entreprise après la mort de son époux, les difficultés viennent d’ailleurs :

    « On nous met des bâtons dans les roues pour que nos recherches n’aboutissent pas. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/loret-correa-loretfils_1.png

    Parfait labo ! /

    Qui se cache derrière ce « on » ?

    « La communauté scientifique, l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale], le CNRS, l’AP-HM [Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, dont la Conception dépend], Aides : ils sont tous tenus par les laboratoires pharmaceutiques et ceux qui ont des intérêts dans la trithérapie, ils ne veulent pas que notre vaccin voit le jour. »

    Avant de lâcher :

    « C’est un scandale d’Etat, rien de moins. »

    Pour vérifier ces allégations, nous avons épluché les budgets de toutes les institutions citées et toutes ont un budget constitué en (très) grande partie de fonds publics . « Pour notre part, ces financements doivent représenter moins de 1% du budget, donc pour l’asservissement on repassera », s’agace Christian Andréo de Aides. Et d’ajouter :

    « On attaque même les brevets des labos pour faire baisser les prix [de fabrication des médicaments]. Alors la collusion, à d’autres. »

    Difficile donc de croire que les grosses entreprises du secteur dictent la marche à suivre aux institutions publiques et aux associations. De son côté, comment Biosantech se finance t-il ? « Avec mes fonds propres, je me ruine pour ce projet », détaille Corinne Treger. Joint par StreetPress, Jean-Daniel Lelièvre, professeur au service d’immunologie clinique & maladies infectieuses à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, ne cache pas son mécontentement :

    « Il y a derrière ces résultats une start-up qui cherche à faire du buzz sur le thème du chercheur incompris. »

    Une revue scientifique de seconde division

    Corinne Treger, le reconnaît, « aujourd’hui j’ai tout le mal du monde à trouver une crédibilité scientifique ». Reste son principal argument, la publication des résultats dans Retrovirology, une revue scientifique dont les publications sont vérifiées par des spécialistes.

    Elle possède un IF (Impact Factor ou facteur d’impact en vf) de 4. Cet indicateur est utilisé pour mesurer la visibilité d’une revue scientifique. A titre de comparaison, la prestigieuse revue Nature a un indice de 38 et la revue Science 33,6… « S’il fallait commenter les résultats des chercheurs qui publient un papier en 10 ans de recherches avec des résultats contestables dans un journal d’IF 4, il faudrait donner des interviews plusieurs fois par jour tout au long de l’année », s’agace une nouvelle fois Jean-Daniel Lelièvre.

    Si un vaccin contre le VIH était sur le point d’être commercialisé, il est probable que le détail des recherches serait publié dans l’une des revues les plus prestigieuses. Comment se fait-il que les résultats n’aient pas été publiés dans ces revues mondialement connues ? « Peut-être parce qu’on n’est pas pistonné, peut-être parce que M. Loret n’est pas un chercheur reconnu internationalement, je ne sais pas », répond Corinne Treger.

    Soupçon de conflit d’intérêt

    Si les résultats du Pr Loret ont été publié dans Retrovirology, ce n’est pas totalement le fruit du hasard. A l’époque la revue est dirigée par Mark Wainberg, un éminent spécialiste canadien du sida – il a notamment découvert l’un des principaux antirétroviraux – décédé dans un accident en avril dernier. Au moment de la publication il est également vice-président du comité scientifique d’une curieuse institution : l’“IIDSRSI”:https://www.facebook.com/institutIDSRSI/. Un « institut international créé en 2011 » par Michel-Paul Correa, selon les informations publiés sur le site web de l’institut. Ce même Michel-Paul Correa qui présentait les résultats de Biosantech aux côtés de Corinne Treger et du Pr Loret ! (Entre Corinne Treger et le Pr Loret sur la photo de la conf de presse)

    D’ailleurs, jusqu’en 2015, cet institut est domicilié à la même adresse que Biosantech à Sophia Antipolis, à quelques kilomètres de Nice. Contacté par StreetPress, Michel-Paul Correa explique :

    « M. Loret m’a contacté en 2013 après l’autorisation de l’ANSM pour ses essais cliniques, il cherchait à obtenir une crédibilité scientifique. »

    Des cautions scientifiques mêlées à un autre scandale

    L’IIDSRSI n’en est pas à son premier scandale. L’institut a apporté son soutien à l’Immunorex-DM28, un faux médicament qui prétendait… « guérir du VIH », commercialisé un temps au Congo comme l’a révélé Sciences et Avenir dans une enquête publiée en mars dernier.

    Corinne Treger, de son côté, ne cache pas que c’est M. Correa qui l’a présenté au Dr Wainberg, à l’époque directeur de la revue Retrovirology. Mais, elle assure avoir « rompu tout lien avec l’IIDSRSI » quand elle découvert son soutien à l’Immunorex-DM28. Vraiment ?

    Le directeur de l’IIDSRSI a une autre version de l’affaire :

    « Mme Treger connaissait l’existence de l’Immunorex depuis longtemps, elle est même allée au Gabon pour plancher sur un traitement combinant Immunorex et TAT-OYI [le vaccin qu’elle développe]. »

    Ce que prouvent plusieurs clichés où on l’aperçoit en compagnie du professeur Donatien Mavoungou, à l’origine de ce faux médicament. Les cautions scientifiques de l’Immunorex-DM28, escroquerie aujourd’hui avérée et celles du professeur Loret, sont exactement les mêmes. En plus de Mark Wainberg, on trouve Jean-Claude Chermann co-découvreur du VIH avec l’équipe du Dr Montagnier en 1983. Avant de leur retirer leur soutien, selon Michel-Paul Correa :

    (img) Donatien Mavoungou et Corinne Treger treger-mavoungou-melbourne.png

    « Tous les chercheurs du comité scientifique de Biosantech de l’époque ont cessé leur collaboration avec cette boite. »

    Quoi qu’il en soit, toutes les personnes interrogées en conviennent : Mark Wainberg a fait énormément progresser la recherche contre le sida, « mais je pense qu’il a été abusé à la fin de sa vie », décrypte Christian Andreo. Quant à Jean-Claude Chermann, sa crédibilité est largement remise en question depuis qu’il a soutenu l’Immunorex mais aussi depuis que Sciences & Avenir a révélé qu’il a été soupçonné en 2010 d’avoir « maquillé » ses résultats, pour obtenir d’importants financements pour poursuivre les recherches sur le vaccin contre le sida qu’il promet depuis des années.

    Ils ne lâchent pas l’affaire

    Corinne Treger, la boss de Biosantech, n’en démord pas, les recherches du professeur Loret représentent une avancée exceptionnelle :

    « Deux patients qui ont participé à nos essais ont la même évolution que le patient de Berlin [seul homme connu a avoir guéri du sida] ! »

    Rien que ça ! Pourtant, ces résultats ne figurent pas dans les résultats publiés dans Retrovirology. Corinne Treger assure que ces patients l’auraient appelée après l’expérience en expliquant qu’ils étaient en rétroconversion, elle les aurait alors redirigés vers le Pr Loret. « Ca me semble complètement exagéré », commente, laconique, Peter Godfrey Faussett conseiller scientifique à l’Onusida. Tous les spécialistes contactés confirment que les résultats de la firme sont – au mieux – exagérés. Qu’importe, pour Corinne Treger :

    « De toute façon, on ne va pas laisser des patients malades. »

    1 – Contacté par StreetPress, le CNRS n’a pas souhaité commenter.
    2 – En 2015, sur un budget d’un peu moins de 3 milliards, le CNRS reçoit 2 milliards d’euros sous forme de subventions d’état et 770 millions proviennent de ses ressources propres. En 2014, L’Agence Nationale de Recherche contre le SIDA recevait bien 16% de son budget via des partenariats de recherche avec des laboratoires pharmaceutiques mais 75% de son budget provenait encore du ministère de la recherche. En 2015, l’INSERM recevait bien 23% de son budget de la part de l’industrie (sans plus de précision dans le document que nous avons pu consulter) mais 61% provient de l’Agence Nationale de Recherche et 46% de l’Union Européenne.

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