En avril 2017, StreetVox publiait, après sollicitation de notre part, une tribune d’Hanane Karimi, intitulée « Pourquoi la dernière campagne de SOS Racisme pose problème ». L’association critiquée a sollicité notre média afin qu’il publie un droit de réponse. Le voici.
Nous, militants de SOS Racisme, avons lancé une campagne ces derniers jours afin de mobiliser la jeunesse (et au-delà !) contre le Front national, que notre pays semble s’être résigné à voir au second tour de l’élection présidentielle.
Cette campagne a été critiquée par deux types d’individus : d’une part, des militants d’extrême-droite et, d’autre part, des militants s’autoproclamant antiracistes sans savoir ce que cela recouvre.
Il en va ainsi d’une doctorante nommée Madame Karimi.
L’article qu’elle a cru opportun de publier pour critiquer la campagne est un tel concentré de caricatures que nous prenons quelques minutes pour y répondre.
Pour commencer, la genèse de la campagne trouve ses racines dans l’histoire de deux jeunes américains Jax et Reddy. De couleur de peaux différentes, ils ont fait une farce à leur institutrice en ayant la même coupe de cheveux, persuadé qu’elle n’aurait aucun moyen de les différencier. Cette histoire devenue virale depuis le début de l’année 2017 a inspiré la campagne de communication articulée autour du hashtag #Onestpareil.
1. SOS Racisme confisquerait la parole des personnes concernées par le racisme (confiscation opérée par les blancs, pour ceux qui n’auraient pas compris…)
Pour débuter cette critique, Madame Karimi se lance dans un décryptage d’un visuel de la campagne où figurent un noir et un blanc et croit pouvoir en tirer le fait que le blanc est en situation de domination. Une interprétation qui en dit plus sur l’œil paranoïaque de Madame Karimi que sur une réalité. Et, surtout, une critique qui tombe quelque peu à plat dans la mesure où la campagne se décline en quelques dizaines de visuels dont voici quelques extraits.
Des visuels de la campagne participative de SOS Racisme /
Madame Karimi, dans sa laborieuse démonstration, croit pouvoir rebondir sur l’analyse de la signification du slogan « Touche pas à mon pote ».
Le slogan serait paternaliste puisque, celui qui serait censé dire « Touche pas à mon pote » serait le blanc qui protège le noir ou l’arabe agressé. Une interprétation sortie non pas de l’esprit de Madame Karimi mais de la répétition d’un pseudo-décryptage – au demeurant fort récent – qu’elle se contente ici de répéter.
Précision donc : le slogan « Touche pas à mon pote » est le slogan d’une génération de toutes origines qui s’y est reconnue (mais qui malheureusement n’avait pas la chance de bénéficier des subtiles analyses de Madame Karimi…). En outre, bien évidemment, dans le slogan « Touche pas à mon pote », le pote en question et celui qui énonce la phrase sont pensés comme pouvant être de n’importe quelle origine, religion ou pays.
En outre, n’en déplaise à Madame Karimi, SOS Racisme est précisément dirigé essentiellement par des personnes issues de l’immigration, aussi bien au niveau local qu’au niveau national. Mais, pour bien comprendre la pensée de Madame Karimi, il faut exprimer ce qu’elle n’ose affirmer (ça ferait tout de suite moins cool) : les noirs et les arabes qui sont à SOS Racisme ne sont pas de vrais noirs et arabes, car pervertis par les blancs (par corruption ? par naïveté ? Allez savoir…). Autant le dire à Madame Karimi : elle n’a aucune autorité, sauf dans sa pensée solitaire, pour définir celles et ceux qui seraient ou non légitimes pour porter l’antiracisme. Remarquons au demeurant qu’en ce faisant, elle se comporte exactement comme le fait l’extrême-droite sur qui appartiendrait ou non au peuple. Drôle de modernité, drôle de radicalité, drôle d’antiracisme…
2. Au-delà de ce cliché – somme toute récent – sur la signification de notre slogan, Madame Karimi nous sort la même rengaine qu’il est toujours utile de reprendre à son compte quand on a quelques problèmes avec l’honnêteté ou avec la capacité à analyser :
- SOS Racisme a volé la marche pour l’égalité souvent qualifiée de « marche des beurs » (dans la prose innovante de Madame Karimi, il est évoqué la marche Convergence 84, sans qu’on comprenne très bien en quoi consiste concrètement le vol). Cela signifierait donc que Madame Karimi pense que les « beurs » de l’époque étaient des idiots manipulables (pas très classe, ça, Madame Karimi !). Ce serait en outre faire fi de la présence de « beurs » à SOS Racisme. Ce serait également ignorer – ce qui est sans doute le cas de Madame Karimi tant sa connaissance des faits semble superficielle – que cette époque a vu fleurir maintes associations fortement soutenues par les pouvoirs publics et qui, pour nombre d’entre elles, ont périclité (sans doute un complot de SOS Racisme…).
- SOS Racisme est fortement subventionné. Ah bon ? C’est-à-dire ? Dans la mesure où le budget de SOS Racisme est celui d’une grosse MJC locale, l’argument n’est évidemment pas étayé. D’ailleurs, Madame Karimi se garde bien de donner un chiffre et de le mettre en rapport avec le reste des financements associatifs. Elle risquerait sinon de rater son effet…
3. Par sa campagne, SOS Racisme nierait qu’on n’est pas « tous pareils »
En lisant cela, nous nous sommes dit que, pour une doctorante, la grossièreté des confusions renvoyait à une volonté malveillante. En effet, Madame Karimi semble confondre quelques registres :
- Le projet vs le réel. Donc, oui, notre projet de société est un projet qui s’appuie sur celles et ceux qui pensent que nous devrions tous être égaux en dignité, en droits et en effectivité de ces derniers.
- Les philosophies de vies et la réalité sociale. Donc, oui, notre projet s’appuie sur celles et ceux qui pensent que « nous sommes tous pareils » parce que appartenant à une commune Humanité. Donc, oui, notre projet s’appuie sur celles et ceux qui pensent que « nous sommes tous pareils » parce que appartenant à une commune Humanité. Mais il est vrai que la participation de Madame Karimi à un « camp d’été décolonial » interdit à certaines catégories de la population montre qu’elle est sans doute peu apte à saisir cette approche anthropologique et en tout cas à l’éprouver.
Par ailleurs, la critique est évidemment stupide dans ce qu’elle sous-entend ou assène puisque la raison d’être de SOS Racisme est précisément de faire progresser l’égalité (banalité de le dire mais ça va mieux en le disant). Rappelons à toutes fins utiles que c’est précisément la mobilisation de SOS Racisme qui a fait reconnaître la discrimination raciale comme un fait massif dans notre société.
Bref, la campagne vise au final à réaffirmer ce qui nous rassemble afin de faire pièce à la dynamique de Marine Le Pen qui s’appuie précisément sur les fractures identitaires, ethniques, religieuses.
4. La campagne de SOS Racisme ne serait pas assez politique
Cette partie du billet de Madame Karimi lui permet de critiquer l’« antiracisme moral » de SOS Racisme, à l’inverse de l’« antiracisme politique » dont elle serait porteuse. Nul ne sait très bien ce que signifie l’antiracisme politique mais il paraît que ça donne l’impression à certains de se prendre pour des radicaux (les mots et les concepts ont parfois une fonction narcissique). Il permet surtout, à vrai dire, derrière une pseudo radicalité de révolutionnaires de salon, de ne pas agir. Car, et c’est sans doute cela le plus pathétique de l’affaire, Madame Karimi et les personnes qui sont dans sa mouvance se réfugient dans les mots pour masquer leur incapacité à agir sur le registre politique. Il est d’ailleurs spectaculaire de constater que lorsque le moment est le plus politique (dans sa déclinaison institutionnelle), puisque nous sommes en pleine période d’élection présidentielle, Madame Karimi and co deviennent subitement silencieux sur les enjeux … politiques. Madame Karimi and co feraient mieux de parler un peu moins de politique et de s’y confronter davantage. Mais il est vrai qu’il est plus simple de faire de la pseudo-radicalité dans le cotonneux entre-soi physique ou télématique plutôt que de se confronter au réel.
Tous ces gens étaient par ailleurs bien silencieux, tout à leur « antiracisme politique », lorsque fut par exemple proposée la déchéance de la nationalité. Sans doute cela n’était-il pas assez politique à leur esprit…
Enfin, une petite remarque historique : la lutte antiraciste tire ses racines de luttes contre l’esclavage, le colonialisme, la ségrégation, l’antisémitisme camouflé derrière la raison d’Etat, le nazisme… Bref, l’antiracisme est intrinsèquement plongé dans une relation au politique, ce qui semble échapper à Madame Karimi lorsqu’elle soliloque sans rapport avec l’Histoire concrète.
5. Les beaux slogans de SOS Racisme n’auraient rien changé
C’est vrai, ces slogans n’ont rien changé. Car on ne change pas les choses par des slogans mais par le militantisme. Ce qui a contribué à produire, bien que cela reste certes insuffisant, la quasi-disparition des crimes racistes, le retrait du projet de loi Chalandon (qui visait à empêcher les enfants d’Algériens de bénéficier du droit du sol), la sensibilisation à la question des quartiers populaires en voie de ghettoïsation, l’émergence du thème des discriminations raciales, la semaine de l’Éducation contre le racisme, la mise à bas du projet de tests ADN, les centaines d’interventions scolaires chaque année pour déconstruire les préjugés, la reconnaissance et la condamnation d’actes discriminatoires au travail, dans le logement et dans les lieux de loisir, la lutte victorieuse contre les projets de déchéance de la nationalité (le projet de Sarkozy puis celui de Hollande), le cordon sanitaire autour du Front national, etc.
Par contre, sous une modernité autoproclamée, Madame Karimi and co appartiennent, autant que chacun le sache, à des mouvances aussi anciennes que SOS Racisme et qui, elles, ont vraiment tout raté (et, élément assez logique tant elles sont porteuses de haine, se détestent entre elles à un point que le commun des mortels aurait du mal à imaginer).
On peut comprendre que cela provoque dans ces mouvances quelques aigreurs, mais si ces personnes pouvaient éviter de gérer leurs aigreurs en insultant tout le monde, voilà qui permettrait quelques avancées à la lutte antiraciste.
Bonus : à la fin de son texte, Madame Karimi définit quelques urgences, telles que lutter contre les discriminations, lutter contre la ghettoïsation des quartiers populaires et lutter contre le contrôle au faciès. Remercions donc Madame Karimi pour terminer sa diatribe de doctorante peu sagace et peu honnête par une formidable ode aux combats de … SOS Racisme.
Bien à vous, chères lectrices et chers lecteurs de StreetPress.
Des militants (noirs, asiatiques, blancs, arabes, kabyles, musulmans, athées, juifs, catholiques…) de SOS Racisme qui, eux, luttent vraiment pour l’égalité !
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