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    04/10/2016

    Ses batailles contre la SNCF, sa collection et l’hommage à sa femme

    Emmanuel Moyne, l’avocat d’affaires qui défend les graffeurs

    Par Tomas Statius

    Il a défendu le réalisateur Marc-Aurèle Vecchione, le mag’ Graff It ou le graffeur Oreak. Emmanuel Moyne, avocat d’affaires est le baveux préféré du graffiti. Un combat longtemps mené de front avec sa compagne, aujourd’hui décédée.

    Paris, à deux pas des Champs-Elysées – Dans l’entrée de l’appartement où Emmanuel Moyne habite avec ses deux enfants, deux petits mots gribouillés et collés à même les murs font office de comité d’accueil. Sur l’un d’eux, on peut lire : « stop à l’invasion de l’art ». Ou encore : « l’appartement n’est pas un musée, PAPA. » L’homme, chemise blanche, visage fin, et barbe de trois mois, ironise :

    « Mes enfants protestent parce qu’il y a trop de tableaux. C’est leur manière de manifester. »

    Chez Emmanuel Moyne, l’art déborde des murs. Masques autrichiens, peintures post graffiti, objets chinés au Mexique, et même un tapis à l’effigie de Mouammar Kadhafi, le dictateur libyen déchu… Ils encombrent les couloirs. La petite famille vit dans cet immeuble du très chic 8e arrondissement depuis quelques années. Avant, c’était à Marx Dormoy (18e) que l’avocat préféré des graffeurs avait posé ses tableaux et ses bouquins. Entre les junkies de la rue Myrha et les rails :

    « J’adore ce quartier. Il est coincé entre deux voies de chemins de fer. C’est un endroit méconnu de Paris. »

    L’avocat du graffiti

    Ado, Emmanuel Moyne le confesse, il était plus fan de Donjons et Dragons que de rap, qu’il découvre avec NTM et Assassin. Il explique à mots couverts : « A une époque de ma vie, je me suis intéressé à plein de choses qui m’ont sorti de l’endroit où je vivais. » Comprenez, le 16e arrondissement de la capitale, « dans un milieu bourgeois », aux côtés de parents « plutôt à droite ». C’est à la fac de droit de Malakoff que l’homme fait le grand saut. Il achète sa première œuvre d’art, « un multiple d’Irwin, un groupe d’artistes slovènes engagés et provocateurs qui détournait l’imagerie totalitaire ». Avant de se piquer d’art africain et de graffiti :

    « Entre 1990 et 1995, je suis allé voir beaucoup d’expos, dont celle organisée au Musée des Monuments Français en 1991. Mais, j’étais surtout attentif à ce que je voyais sur les murs. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/emmanuel-moyne-tableau.jpg

    Emmanuel Moyne avec ses statuettes africaines et ses tableaux de post-graffiti / Crédits : Tomas Statius

    Aujourd’hui, cet avocat d’affaires est devenu l’un des défenseurs les plus farouches de la peinture vandale et de ses aficionados. De Marc-Aurèle Vecchione, réalisateur de Writers ou Antifas dont StreetPress vous parlait, à Oreak, graffeur parisien à qui la SNCF réclamait 630.000 euros pour ses tags, ils sont nombreux à avoir eu recours à ses services :

    « Ce sont des dossiers que je prends en plus de mon activité de droit pénal des affaires. Ils demandent beaucoup de temps. Pour Oreak, c’est une procédure qui a duré près de 4 ans. »

    Au final, le writer de l’Essonne a écopé de 8.200 euros de dommages-intérêts en première instance, même si la SNCF a fait appel. La presse spécialisée salue l’exploit. Maître Moyne, lui, le joue modeste.

    Graff It like it’s hot

    « Dans les dossiers de graffeurs, on retrouve davantage d’erreurs que dans d’autres affaires. Souvent la police n’enquête pas sur les faits mais sur les personnes », détaille maitre Moyne, costard bleu roi sur le dos, quand on le rencontre pour la première fois dans son bureau, à deux pas des Champs Elysées. Précis et pointilleux quand il prépare une audience, il examine le moindre détail de la procédure à l’affût d’une irrégularité. Dans le cas d’Oreak, de nombreuses photos de tags manquent à l’appel :

    « On ne peut pas lui reprocher des dégradations pour lesquelles on n’a pas de preuve. Ce n’est pas possible. Il faut être précis, surtout en pénal. »

    C’est à partir de 2002, quelques années après la fin de ses études, que l’homme se met à défendre la crème de la crème du graffiti. Il a été le baveux du magazine Graff It !, contre lequel la SNCF porte plainte suite à la publication de photos de trains graffés (2006). Ainsi que de plusieurs prévenus du procès de Versailles, la plus grande saga judiciaire de l’histoire du graff qui s’est achevée par un désaveu cinglant pour les plaignants et les enquêteurs (2012) :

    « A l’époque, on était plusieurs avocats à être choqués par les perquisitions et le fait que des artistes soient mis sous contrôle judiciaire. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. La SNCF et la RATP allaient loin. J’ai créé un collectif. »

    Histoire de famille

    (img) Le camion de Nadia nadiabenarfa.jpg

    Mais la vie secoue. En 2012, Nadia Benarfa, sa compagne et la mère de ses enfants, apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. Elle est aussi sa « partner in crime », au côté de laquelle il s’est engagé pour le graffiti : « Elle a travaillé presque jusqu’à la fin. C’était une battante » lâche-t-il avec émotion.

    Trois ans après sa disparition, l’avocate est toujours au pinacle de l’underground. Lors de l’enterrement, de nombreux graffeurs sont venus lui rendre hommage, dont Alexöne qui lui dédicacé une fresque. A Barbès, un camion a même été peint à sa mémoire. « Il se promène toujours dans le quartier », précise Emmanuel tout en cherchant la photo sur Instagram. Il confie vouloir aller de l’avant : « il faut avancer ». Mais tient tout de même à ce qu’on emporte un petit livret sur lequel sont imprimés plusieurs de ses discours, quand ils étaient tous les deux à la conférence des avocats :

    « Comme ça, vous saurez qui elle était. »

    Show must go on

    A 46 ans, Maître Moyne aime toujours le graffiti. Celui qui s’exprime dans la rue et ne peut être domestiqué. « Ça ne veut pas dire que je n’aime pas ce qui est montré en galerie. Pour moi le vrai sujet c’est l’authenticité. J’aime les vrais artistes. » Chez lui, on croise des œuvres de Kaws et JonOne, deux stars du street-art, et une bibliothèque d’ouvrages consacrés à ce qu’il appelle les arts en marges :

    « Je ne peux pas me cantonner à ne collectionner que du post-graffiti. J’ai besoin d’autres choses. »

    Des dossiers de graff, il en a encore :

    « Récemment j’ai défendu un writer. Il n’y avait aucune écoute de la part des magistrats. On ne peut pas sauver tout le monde. »

    Il a des amis graffeurs mais n’est jamais allé peindre avec eux. Et si pour l’instant, ses deux enfants ne sont pas tombés dans la marmite, maître Moyne y travaille :

    « Il n’y pas longtemps, ils m’ont posé des questions sur une petite statue qui est exposée dans notre salon. C’est un bon début. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/emmanuel-moyne-salon_0.jpg

    Lire a Sir / Crédits : Tomas Statius

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