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    13/06/2016

    A la barre, le maestro des faux biftons livre ses petits secrets

    Au procès de Dominique Patrom, le faussaire aux 10 millions d'euros

    Par Julien Mucchielli , Tommy Dessine

    Dans son garage de Courtry (77), Dominique Patrom a émis pour 10 millions d’euros de faux billets. Son matos : des imprimantes vintages et du papier Clairefontaine. Son procès se tenait du 6 au 9 juin.

    Cour d’assises de Paris – Les biftons passent, d’une main à l’autre, palpés et scrutés avec minutie. Un jeune barbu transmet l’échantillon à un quadra chauve, qui le glisse à une femme blonde à lunettes. À l’autre bout de la table, deux brunes aux cheveux courts devisent à voix basse autour de la camelote. Un peu plus loin, on tâte une liasse bien épaisse. Au centre, le président de la cour d’assises de Paris bougonne et observe. Il n’est pas convaincu de la marchandise :

    « Ils paraissent tout de même plus épais que les vrais. »

    « Ça c’est parce qu’ils sont neufs, mais une fois dans la poche, un peu froissés, je mets au défi n’importe quel commerçant de ne pas les prendre », rassure le commandant, ancien de l’office central de répression de la fausse monnaie (OCRFM). C’est lui qui a dirigé l’enquête ayant conduit à la découverte de l’une des plus importantes officines de fabrication de fausse monnaie, dont les jurés viennent de découvrir quelques spécimens. 431.000 coupures de 20 et 50 euros – soit 10 millions d’euros – ont été émises entre 2007 et 2012. Un travail « d’une grande qualité ». Un « travail d’artiste » disent même certains policiers.

    Le papy faussaire de génie

    Le responsable de ces faux billets plus vrais que vrais, c’est Dominique Patrom, vénérable homme de 59 ans au teint cireux et à la moustache désuète. À ses côtés dans le box, son beau-frère Marceau Baumgertner, 64 ans et 100 kg. Ce dernier comparaît libre et nie être son complice. Le procès est l’aboutissement d’une découverte ébouriffante à Courtry (77), une bourgade aux confins de la Seine Saint-Denis et de la Seine-et-Marne.

    Le 22 mai 2012, le domicile de Patrom est perquisitionné une première fois, le lendemain de son interpellation. En vain. Placé en détention provisoire, ce dernier nie être ce faux-monnayeur que les enquêteurs traquent depuis plusieurs années. Le 11 juin, les gendarmes finissent par découvrir le pot aux roses. Dans le garage du petit pavillon, derrière deux étagères séparées par une bâche bleue, ils découvrent une trappe qui débouche sur le repaire du faussaire. 40m2, deux machines typographiques d’une tonne chacun, un massicot géant d’1,5 tonne, 17 imprimantes à jet d’encre, une imprimante laser, deux ordinateurs. « On a tout perquisitionné méthodiquement, de 10h du matin jusqu’à 12h40 le lendemain », raconte le policier en charge de l’enquête. 214 scellés. « Ma plus longue perquisition en 30 ans de carrière », ajoute, ému, le gendarme qui a conduit la perquisition. Quelques planches de billets pas terminés traînent encore dans les bacs des imprimantes. Les machines sont en veille.

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    Le commandant de police n'en revient toujours pas de la qualité des billets de Patrom / Crédits : Tommy Dessine

    Self made man de l’imprimerie

    Les psychologues l’ont dit : Patrom est intelligent. Devant la cour, ce moustachu qui affiche l’air triste et ironique d’un Jean Rochefort – mais version ouvrier – revient sur son parcours. Il a été élevé par sa mère et son beau-père. À 17 ans, il quitte le domicile familial. A partir d’un CAP électro-mécanicien, il va bâtir son œuvre à force de travail et d’ingéniosité.

    Son succès dans l’imprimerie est fulgurant. Autodidacte, il a inventé un procédé d’impression sur film plastique par « offset », ce qui lui a permis de gagner des fortunes dans les années 80. A l’époque, le bonhomme dirige cinq sociétés dans lesquelles travaillent jusqu’à 50 employés et se paye 30.000 francs par mois.

    Puis c’est la guerre du Golfe, la crise. Il perd 50% de son chiffre d’affaires. Il va d’une faillite à l’autre, s’enfonce dans les mauvaises affaires et s’écroule peu à peu. On l’approche une première fois en 1994 pour lui demander de produire de faux coupons de carte orange. « C’est basique, deux traits, RATP partout, et voilà », indique-t-il. Il en produira pour 40 millions de francs avant d’être arrêté et condamné à deux ans de prison, dont un avec sursis. En plus des coupons, il s’était essayé à la fausse monnaie, déjà : 13 billets de 200 francs sont saisis, et lui valent cinq ans, dont quatre avec sursis, en 2006.

    Patrom se lance dans le business

    (img) Patrom, papy vénérable et faux monnayeur patrom_0.jpg

    A sa sortie de prison, Dominique Patrom met le doigt dans l’engrenage. Avec cinq enfants à charge et en plein divorce, il est aux abois. Laurent R., une vieille connaissance avec qui il a déjà trafiqué, entre en scène et lui propose de se lancer dans le business lucratif de la fausse monnaie. Il refuse mais ce dernier insiste, menace sa famille :

    « Il a dit que lui et ses associés pouvaient s’occuper de mes enfants »

    Alors, fin 2006, Patrom s’installe. L’année suivante, il lance la production. Il demande 20.000 euros pour acheter le matériel. Mais les machines, il les a déjà, planquées dans un local. Laurent R. ne le sait pas, et Patrom encaisse l’investissement. « On peut dire que vous l’avez un peu carotté », résume le président. « Je ne l’ai pas carotté, j’ai habilement manœuvré », répond-il, goguenard. Laurent R. et deux autres personnes ont été mis en examen dans la présente procédure. Faute de preuves, ils ont bénéficié d’un non-lieu.

    1er atelier de faux billets en France

    Devant la cour, les autorités expliquent l’ampleur du trafic dont Dominique Patrom était la tête d’épingle :

    « La totalité des billets saisis provenant de chez Dominique Patrom, entre 2007 et 2012, équivalent à une année de saisies sur toute la France »

    « Le 1er atelier de France, le 2ème en Europe », ajoute un commissaire de l’OCRFM. Pour les enquêteurs, seuls quatre ou cinq faussaires étaient en mesure de produire en France une telle qualité de faux billets. Patrom, lui, fait la fine bouche. « Pour moi, c’est du caca. Je suis capable de faire de très belles réalisations, pour des livres d’art, par exemple. Ça, ce n’en est pas. » « C’est du caca qui a réussi », note le président.

    « L’artiste » passait 30 minutes chaque matin à lancer le processus. L’avocat général n’y croit pas : « D’après les enquêteurs, c’est impossible. » Les fonctionnaires ont en effet évalué à plusieurs heures le travail nécessaire à la fabrication des biftons. Patrom persiste :

    « Une fois que vous avez tout bien calé, vous appuyez sur le bouton, et c’est parti. »

    Le faussaire travaillait sur commande et ne gardait jamais de stock. 200 feuilles par jour, 4 billets par feuille. Patrom est flou sur ses bénéfices : « Environ 2.000 euros par mois », élude-t-il. Cela ne l’a pas rendu riche. Il ne dispose en tout cas d’aucun patrimoine de valeur : au plus un pavillon et quelques vieilles voitures. Tout le reste passait dans l’éducation et les vacances de ses enfants.

    22 billets barbotés à l’audience ?

    Le directeur d’enquête poursuit ses explications : l’ampleur du trafic, la qualité du produit. Mais autre chose se passe. À droite de la cour, la greffière prend un air contrarié. Elle compte les billets qui ont circulé entre les jurés. Elle recompte, soulève un dossier. L’huissier accourt et compte à son tour. Mine fermée, air tracassé. La greffière se lève et glisse un mot à l’oreille du président, qui reste stoïque. Il finit par intervenir. Raclement de gorge :

    « Hum… On a un petit problème. Il devait y avoir 79 billets, il n’en reste que 57. »

    Stupeur. Le public retient ses rires. Que 22 billets de 20 euros soient barbotés à l’audience, quelle ironie. Mais l’huissier tempère l’enthousiasme des chroniqueurs : le scellé contenant les billets n’a pas été compté avant distribution, l’erreur de comptage peut provenir des policiers, harassés par une perquisition marathon. Aujourd’hui encore, le doute subsiste.

    Le tuto du maestro

    La cour d’assises est titillée par autre chose : « Expliquez-nous comment vous fabriquiez les billets », demande le président. Patrom prend la parole. Tout le monde prend des notes. Pour les faux billets, il a récupéré deux vieilles machines typographiques Heidelberg de 1928 complètement obsolètes mais qu’il a su régler au cordo pour produire sa marchandise. Le reste, c’est du papier et de l’encre. Quel papier spécifique faut-il utiliser ? Le faux-monnayeur, très simplement :

    « Du Clairefontaine 80 grammes, bleu pour le 20 euros, ivoire pour le 50 euros. »

    Étonnement général et espoir pour une partie du public qui envisage désormais de se reconvertir. Ça tourne court : Dominique Patrom se met à jargonner et tout le monde plisse les yeux. « D’abord on fait les plans avec la première machine typographique, puis on imprime le recto. » Ensuite, on s’occupe de la bande argentée : « C’est une bande nylon que l’on durcit à la lumière. Il suffit de cacher au film noir les parties que l’on veut laisser transparentes pour que le nylon parte à l’eau. » Avec la deuxième « typo Heidelberg 1928 », on met les pictogrammes « € et euros ». On termine avec le « gaufrage » qui permet de donner au billet ce léger relief. Une fois l’impression faite recto et verso, les planches de billets passent au massicot : coupe franche et nette. Le pimpant billet est prêt.

    Copain comme cochon

    (img) Marceau, mélange de Roger Hanin et LIno Ventura unnamed_0.jpg

    Patrom l’a toujours martelé : « Laurent R. était mon unique commanditaire, je le voyais une fois par mois environ, sur un parking, et je lui remettais les billets. » A la barre, le faussaire tente d’innocenter son beau-frère, Marceau. Les deux sont « copains comme cochon » depuis 20 ans. Issus de la communauté des gens du voyage – mais sédentarisés – ils fréquentent les mêmes personnes, évoluent dans le même univers. D’ailleurs, Marceau est déjà tombé pour fausse monnaie, du temps des francs. Le schéma est simple pour l’accusation : ce dernier passait prendre la marchandise chez Dominique et les remettait un peu partout aux acheteurs. A la barre, ce gros homme essoufflé, à la voix rocailleuse et à la diction pâteuse, tente de justifier ses allers et venues sur le territoire, lui qui était toujours accompagné de son chauffeur, « le gros Maurice » :

    « J’achetais et je vendais de l’or : des gens récoltent des bijoux par-ci par-là, moi je leur achète et les vends à Anvers. »

    « Foutaises ! » s’énerve l’avocat général. Il reprend les écoutes avec un dénommé « Mims », qui lui demande de venir à Vierzon car il a besoin de « gros pneus » pour faire 10.000 km. Langage codé assez grossier. Marceau traduit :

    « Eh bien, il avait 10.000 euros à mettre dans deux diamants »,

    L’avocat général se raidit et devient tout rouge. Il sort d’autres écoutes. Mais rien n’indique clairement le trafic de faux billets. Chez lui, les policiers n’ont rien trouvé, sinon un catalogue sur la monnaie, dont l’essentiel est consacré aux pièces de collection.

    Marceau et Patrom pris en flag ?

    Lors de la livraison de supposés bijoux en or à Vierzon, Marceau est accompagné par Dominique Patrom. Le beau-frère du faux-monnayeur, sorte de mélange entre Lino Ventura et Roger Hanin, s’explique :

    « J’avais une course à faire. Je lui ai tout simplement demandé de m’accompagner car Maurice ne pouvait pas. »

    Le président rebondit : « On vous voit aller à la fenêtre de la voiture de Mims, puis revenir et passer une sacoche à Dominique Patrom. » Ce dernier intervient : « Si je puis me permettre, c’était simplement son manteau, plié. Il avait un beau manteau en cachemire. » Les images projetées dans la cour d’assises montrent des clichés pixelisés sur lesquels le public est impuissant à distinguer une sacoche ou autre chose.

    Le flou plane sur Marceau. Receleur d’or ou distributeur de la production de Courtry ? Les questions des magistrats glissent sur lui, qui embrouille, ratiocine à fond sur son commerce douteux de colliers et bracelets probablement volés – il le concède volontiers, avec un peu de gêne. L’avocat général fait un gloubi-boulga de ces maigres éléments pour demander dix ans d’emprisonnement à son encontre. Son avocat Jean-Laurent Panier parle d’un « raisonnement de café du commerce », fustige un dossier indigent et demande l’acquittement.

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    « On vous voit aller à la fenêtre de la voiture de "MIMS", puis revenir et passer une sacoche à Dominique Patrom. » / Crédits : Tommy Dessine

    Patrom risque perpèt’

    Dominique Patrom, lui, est en récidive. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Meurtre ou fausse monnaie, le tarif est le même. Un héritage de l’ancien régime, quand jadis le royaume était fragile et que battre la monnaie était l’affirmation d’une souveraineté. A l’époque, les rois faisaient bouillir les faussaires à la marmite.

    « Notre système repose sur la confiance, une confiance largement bafouée par la circonstance d’une contrefaçon de monnaie », tonne l’avocat général. Car en réalité, la fausse monnaie « c’est bien ? Non : il y a des perdants, et ce sont les honnêtes citoyens qui ont fait confiance à l’État. » Il dépeint Patrom en Arsène Lupin de la fausse monnaie, en Bojarski des temps modernes. Il n’est pas dupe de la bonhomie apparente du vieux faussaire :

    « J’ai perçu une forme d’exaltation chez l’accusé à expliquer ce qu’il a fait. Mais ce qu’il a fait, c’est un crime ! »

    L’autorité de l’État ne peut tolérer qu’on la concurrence dans sa prérogative absolue : il demande 15 ans. Ajouté aux quatre ans de sursis qu’il n’a pas encore purgé, c’est une peine d’élimination. Son avocate Marie-Laure Barré insiste là-dessus : « quinze ans plus quatre ans, il sortira à 78 ans, et sa vie sera finie. » Elle ramène le crime à de plus justes proportions :

    « 10 millions d’euros, sur 14 milliards de monnaie circulant en Europe [en réalité 1.000 milliards, ndlr], quel est le préjudice réel ? »

    Elle étrille l’enquête qui a négligé selon elle Laurent R., que son client a toujours désigné comme seul commanditaire. Puis elle désigne son client : « Regardez-le, il est honnête avec vous, il ne tortille pas, il vous explique. » Honnête et loyal avec ce qui lui importe, toute sa vie le démontre. Mais alors, qu’est-ce qui prouve qu’il ne recommencera pas ?

    « C’est vrai qu’il a déjà recommencé, je ne sais pas quoi vous dire. C’est son fils, qui a assisté à l’audience, qui me l’a expliqué tout à l’heure : parce que ses enfants sont autonomes, qu’ils n’ont plus besoin de son aide. Il n’a plus besoin de ça. Je vous demande de laisser un avenir à Dominique Patrom. »

    L’imprimeur préféré de Fleury-Mérogis

    Le délibéré dure six heures. À 22h, les amis de Patrom et sa famille sont encore là. « Comment ça va ? » lance le « Gros Maurice » au patriarche. « Impeccable », répond Patrom dans un grand sourire, depuis son box. Entre temps, Marceau a fait un malaise et a été transporté d’urgence à l’hôpital Cochin. Il est en observation lorsqu’il apprend son acquittement. Dominique Patrom, lui, est condamné à huit ans d’emprisonnement. Cette peine est confondue avec deux autres qu’il avait purgées, et avec les quatre ans de la révocation du précédent sursis. Selon son avocate il sera « libérable » dans quatre ans, avec des remises de peine.

    En détention provisoire depuis son interpellation, Patrom avait repris la direction de l’imprimerie de Fleury-Mérogis jusqu’à en relancer l’activité. Depuis, il a été changé de quartier. L’imprimerie de la prison ne s’en remet pas.

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