Sarcelles (95) – « C’est là que j’ai joué le plus, en bas de mon immeuble. Ils viennent de refaire le terrain, je n’aime pas ce qu’ils ont fait. » Samuel Nadeau est nostalgique de son ancien playground au point de l’avoir gravé à l’encre sur son bras. Les dizaines de jeunes qui transpirent cet après-midi n’en ont pas grand-chose à faire. Avec ce grand soleil, ils ont pris le city d’assaut. Autour d’eux, des petits immeubles tout proches de la fameuse cité rose de Pierrefite.
Deux gamins, même pas dix ans, s’arrêtent devant le grand Samuel. Le premier, les mains derrière le dos comme s’il avait fait une bêtise, lance penaud.
« – J’ai dû arrêter le basket Samuel, mes parents ne pouvaient plus payer.
-C’est pas grave ça. Tu es heureux ?
-Oui, et j’ai des méga bonnes notes à l’école »
Samuel, streetwear large, est éducateur sportif pour la mairie de Sarcelles. Ado, il était l’un des plus grands espoirs du basket français. Il a cotoyé les meilleurs de sa génération : Boris Diaw ou Tony Parker. Pourtant, sa carrière pro n’a pas atteint le dernier quart-temps. De son périple dans les arcanes obscurs de la formation aux Etats-Unis à la maladie de sa mère qui l’a poussé à abandonner son rêve, il raconte son parcours chahuté dans Rien que pour toi maman, son autobiographie.
La NBA ou rien
Des anecdotes, Samuel Nadeau en débite à la pelle dans son livre. Il a bien mis dix ans avant de les coucher sur papier. Son truc, c’est le sport plus que la plume. « J’ai tapé écrire un livre sur Internet », dit-il sans se cacher.
Sylvette, une fonctionnaire « qui écrit des biographies », est venue chez lui à Sarcelles. Samuel s’est livré sans pudeur. Il dit n’en avoir pas beaucoup, sauf sur ses relations amoureuses. Du muret où on est assis, on entend le dernier PNL qui déborde d’un des immeubles au-dessus. Les deux rappeurs chantent « le monde ou rien ». Pour Samuel, ça a toujours été « la NBA ou rien ».
A 15 piges, il est sélectionné en équipe de France mais reste sur le banc. L’ado claque la porte et tente l’aventure américaine, sans savoir ce qui l’attend. Là-bas, il cartonne sur le parquet au point d’occuper tous les classements spécialisés. Le quotidien USA Today le retient parmi les meilleurs espoirs du basket lycéen. Mais rien ne se passe comme prévu.
Le calvaire américain
(img) EAST-SIDE
Il navigue de lycées en lycées au gré des offres et des recrutements. Il commence par poser ses valises à Newark, la plus grande ville du New Jersey. On lui avait promis un visa étudiant, il n’en aura pas.
« Ce système était nouveau : aller jouer et étudier aux Etats-Unis. Il y avait des choses obscures. A ce moment-là, je me suis retrouvé clandestin. »
Très vite, il se retrouve en solo dans un appart avec deux autres espoirs du basket. C’est le coach qui remplit le frigo, quand il n’oublie pas. « On n’avait pas toujours à manger, c’était la vraie faim. »
Il se retrouve à mendier au resto italien au pied de son immeuble. Le patron offre des sandwichs poulet/parmesan :
« Quand j’y allais, j’entendais les gars parler de prison. “Je vais aller me rendre”, ils se disaient des choses comme ça. J’ai compris que c’était la mafia. »
ll parle sans envolées, comme si assister à un remake des Sopranos au coin de la rue était normal. Plus tard, en Californie, dans une nouvelle famille d’accueil, il décide de tester le terrain du coin. Un face à face s’improvise avec un local. Le frenchie le met à l’amende, enchaîne les vannes, en mode trash talking. L’adversaire du jour interrompt la partie, file vers sa voiture et rapporte une arme qu’il pose au pied du panier. Le message est clair. Samuel continue à lui mettre une fessée, mais ne l’ouvre plus. « C’est la vie » dit simplement Samuel, comme pour refermer cette porte :
« Quand tu as grandi dans du coton, ça peut t’étonner. Mais quand tu as 4 ans, que ton père bat ta mère, que tu n’as pas de chez toi, c’est juste la vie. »
Père et mère
Samuel a des mots aussi tendres pour sa mère que durs pour son père. Dans son livre, il raconte le coup de trop et la séparation de ses parents :
« Il la bat si fort qu’elle s’effondre sur le sol, quasi inanimée, la tête en sang. Avec ses énormes doigts de mécano, pas étonnant qu’il l’ait mise dans cet état. »
A la sortie du bouquin, sa mère l’a dévoré dans la journée. Elle n’a pas eu de mots, simplement des larmes en guise de réaction. Elle est le fil rouge du livre de son grand fiston d’1m99. Aujourd’hui, madame Nadeau habite avec Samuel, sa femme et son fils. Il parle de cette « relation passionnelle » en se tapant le cœur du poing. Son père, lui, est devenu l’exemple à ne pas suivre :
« Grâce à lui, j’ai appris à souffrir et à me relever. Il a fallu que je répare ce qu’il avait fait. »
Au pied des immeubles qu'il a toujours connu / Crédits : Matthieu Bidan
« Je n’aime pas qu’on me mette un concombre dans les fesses »
Après son périple au pays de l’Oncle Sam, Samuel décide de rentrer en Europe. Sa mère est malade. Une hépatite C. Il s’éloigne de la NBA, signe au Real Madrid, mais l’histoire ne dure pas. Samuel ne supporte pas ses 3 saisons en tant que remplaçant. Le basketteur rompt son contrat à l’amiable et file au CSP Limoges. De retour en France, rebelotte. Il quitte le club après 3 matchs. Une carrière bazardée ?
« Les gens me répètent toujours que je suis impatient. Mais je ne suis pas pressé, je suis à l’heure. Mon rêve numéro un, c’était d’aider ma famille, je l’avais réalisé avec l’argent que j’avais gagné. Le deuxième, c’était la NBA, et j’étais passé à côté. Je n’ai jamais rêvé de jouer en France ou en Espagne. J’ai fait ce que je voulais, pas ce que les autres voulaient pour moi. »
Les critiques diront qu’il n’en fait qu’à sa tête, les autres qu’il a du caractère. Une tête de mule qui rappelle un autre sportif : Nicolas Anelka, son cousin. Et le basketteur de dégainer une métaphore digne de Top Chef :
« Je ne sais pas si on a du caractère avec Nicolas. Ce que je n’aime pas, c’est qu’on me mette un concombre dans les fesses. C’est tout. »
En boîte avec Roberto Carlos
Aujourd’hui, il continue à fouler les parquets pour le club de Pierrefite, au niveau régional. Evidemment, sa carrière éclair le poursuit :
« Très souvent les gens en tribune disent “ah mais il a joué au Real, il faut le stopper !”. C’est comme un tampon qui te marque à vie. »
Pendant ses années au sein de la maison blanche, il s’est noué d’amitié avec quelques stars. « Claude Makelele, c’est plus qu’un ami, c’est mon frère », insiste t-il, des lunettes noires Marc Jacobs sur le nez. Pendant leur période Real, Makelele, fan du septième art, jouait les conseillers :
« Il me prêtait beaucoup de DVD. Ça occupait mes après-midis. Il m’en donnait tellement que je ne pourrais pas en citer un aujourd’hui. »
A l'époque de la Maison Blanche / Crédits : DR
Le grand Sarcellois a oublié pas mal de détails. Sans doute parce que c’était son quotidien. Comme sa première sortie en boîte … avec Roberto Carlos, la star brésilienne. A l’époque, le jeune Samuel est plutôt du genre casanier. Mais l’arrière gauche du Real a des arguments pour le sortir :
« On s’était fait soignés à Seville, tous les deux. On rentrait par le même train donc on avait discuté pendant le trajet. Je lui avais expliqué ma situation, je ne jouais pas, je ne me sentais pas bien. Il m’avait dit qu’il fallait sortir, ne pas s’enfermer. Quelques jours plus tard, il me propose d’aller boire un verre. Ca c’est terminé dans une boîte de la Castelana. »
Il en parle comme du reste, pas nostalgique pour un sou. « Il fait caca, il fait pipi. Je le respecte énormément mais je n’ai pas plus de considération pour lui que pour une femme qui fait des ménages. »
Starcellite à vie
Cet après-midi, il croise pas mal de connaissances pendant que l’on marche entre le centre commercial des Flânades et la place André Gide « Ici, tout le monde connaît mon histoire », explique-t-il sans arrogance. Il a tourné le dos à une carrière pro pour vivre à Sarcelles. Il promet qu’il est heureux, jure vouloir rester ici toute sa vie.
Cette année, il a co-realisé un documentaire sur « les champions de l’ombre » de sa ville. Le but :
« Montrer des parcours de réussite aux enfants. Ce sont tous des champions de l’ombre. »
Comme lui, plus jeune. Il avait même un surnom, en hommage à sa ville : Starcelite. « C’est moi qui l’avais choisi. » Pourquoi attendre ?
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER