Alfortville, dans le 94. – Le studio est au deuxième étage d’un petit immeuble blanc. C’est Manu, le batteur de Disiz qui ouvre la porte. Le rappeur est occupé, en plein mix de l’autre côté de la vitre pour le futur projet de son musicien. En 30 minutes, il a quasiment bouclé l’enregistrement. « Je rajoute une piste d’ambiance, un peu de yaourt et c’est bon ! » Habillé d’un pull bleu turquoise de sa marque, il sort de la cabine et s’installe dans un canapé d’une salle de répét’ juste à côté du studio. Pour StreetPress, le rappeur d’Évry déroule 15 piges d’engagements.
Tu as organisé un concert hommage à Malcolm X. Pourquoi ?
Je voulais offrir son bouquin [The Autobiography of Malcolm X as told to Alex Haley, ndlr] à un petit de chez moi qui est en prison pour une affaire de stupéfiants. Je pensais que ça serait simple de trouver le bouquin, mais au final après une semaine de recherche, impossible. Il n’est plus édité depuis 93. Comme j’ai écrit des romans, j’ai pu discuter avec Grasset qui avait acheté le livre en 1965 au moment de sa sortie. Ils l’ont réédité en 93 pour la sortie du film de Spike Lee. Et depuis, ils n’ont pas refait de tirage. En voyant le contrat, je me suis rendu compte qu’ils n’avaient plus le droit de le faire. Donc j’étais libre de proposer aux ayants droit de Malcolm X une nouvelle traduction.
Tu t’es lancé toi même dans une nouvelle traduction du livre ?
Oui, avec 2 / 3 amis qui ont fait des études en Anglais, on a traduit le bouquin depuis l’oeuvre originale d’Alex Haley et Malcolm X. Dès que j’avais un peu de temps, le soir, je travaillais là-dessus. Même ma petite sœur Fatimata a donné un coup de main. On s’est tous partagé des parties du livre.
Pourquoi Malcolm X t’inspire autant ?
Vidéo – Macolm de Disiz (2015)
La première fois que je l’ai lu, c’était en 93 quand le film est sorti. Depuis je le relis assez souvent. Pour moi ce mec avait tout pour être un terroriste par exemple. Son père s’est fait tuer par le KKK, sa mère est issue d’un viol. Au final, il est resté dans quelque chose de positif. Je ne vois pas quelqu’un qui pourrait toucher les petits du quartier avec une aussi grande puissance. Après il ne faut pas le prendre comme si c’était un « super héros ».
En 2007, tu avais participé au meeting de Ségolène Royal à Charlety. Comment ça s’est fait ?
C’était dans l’entre-deux-tours entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. J’ai été appelé par mon tourneur de l’époque. Il m’a demandé si je voulais participer au meeting à Charlety. À l’époque, je n’étais clairement pas pour Sarkozy. Donc j’y suis allé. Ma condition c’était que je voulais parler avec Ségolène Royal de mon ressenti de l’époque sur les quartiers. Mais ça ne s’est pas fait.
Tu ne l’as pas vu ?
Non, pas du tout. J’ai été naïf. Je me disais que j’allais pouvoir lui parler, lui dire « y’a ci, y’a ça ». Mais non. C’est un bel exemple de la vision utilitariste qu’ont les politiques.
On t’a demandé depuis de participer à ce genre d’événements ?
Ah oui, plein de fois ! Hollande pour sa campagne, il a cherché à me rencontrer deux fois. J’ai reçu un message d’une personne à qui je n’avais pas donné mon numéro. C’était un de ses directeurs de campagne. Ça disait : « François Hollande a organisé cette soirée pour rencontrer des jeunes actifs qui ont une influence sur la jeunesse des quartiers populaires. Il a vraiment envie de faire des choses, de ne pas reproduire les mêmes erreurs, il aimerait beaucoup que tu sois là. »
Tu as dit non cette fois-ci ?
Ah oui. Et je dirai non tout le temps. Je n’y crois plus du tout, c’est une grande mascarade. Pour moi la politique c’est ce que je fais depuis cette époque-là : Donner des cours à des élèves en réinsertion scolaire au théâtre de l’Odéon, faire des interventions en prison, dans des foyers de jeunes. Je sers plus dans ce type d’actions. Le reste c’est du vent. En plus, leur logique est stupide, c’est « Bon bah Disiz est là, les mecs de quartiers vont voter pour nous ». C’est prendre les mecs de quartiers pour des teubés.
Dans ton deuxième roman René, la toile de fond, c’est une guerre civile et Marine Le Pen qui devient présidente en 2017. Ça m’a fait penser au bouquin de Houellebecq…
[Il coupe] C’est très bien que tu le remarques. Je l’ai fait deux ans avant. Mais bon, quand c’est un rappeur qui écrit un bouquin, qui a une idée, on s’en fout ! Par contre, quand c’est Houellebecq, on dit que c’est un génie. En plus, il admet lui-même chez Ruquier que sa principale matière, c’est la peur de l’Occident qui voit sa chute. On joue sur la peur des gens. Dans mon livre, c’est seulement le contexte. C’est avant tout un livre qui parle d’amour.
Au calme dans son studio, Disiz détaille sa vision de la politique / Crédits : Matthieu Bidan
Comment t’as réagi du coup quand t’as appris la sortie de Soumission ?
J’étais dégoûté, vexé, énervé. Après je ne dis pas qu’il m’a copié. Il s’est inspiré d’Orwell, moi aussi. Ce qui m’a énervé, c’est le traitement médiatique. « Ouais, c’est génial, ça pourrait vraiment arriver ». Je ne suis pas considéré comme un écrivain parce que je suis un rappeur. Je n’ai pas écrit d’autobiographie, ce sont des romans, j’aime la littérature. Mais pour eux, ça reste un phénomène de foire. Ils regardent ça de haut. Et pourtant, la trame de fond, je l’ai écrit il y’a 3-4 ans. On retrouve pas mal de choses dans la réalité aujourd’hui.
Tu penses qu’à l’inverse, on a mis avant les projections de Houellebecq ?
Quand tu regardes l’émission de Ruquier, il lui pose la question à moment « alors, vous êtes un peu un devin. Vous sortez votre bouquin, après il y a les attentats de janvier ». Mais si je dis : « D’ici 2-3 ans il y aura des attentats à Paris ou dans le monde », je n’ai rien d’un devin, c’est facile.
Tu regardes souvent « On n’est pas couchés » ?
Ça fait longtemps que je ne regarde plus la télé, mais là, ce sont des amis qui m’ont dit, « Ouais, Nadine Morano, truc de ouf ! ». Et du coup, Je me suis fait une petite soirée Ruquier !
Et alors ?
Morano, je n’ai même pas compris pourquoi les gens se sont outrés. Pourquoi être outré ?
T’es d’accord avec ce qu’elle dit ?
Non, pas du tout ! Mais quand t’es outré, ça veut dire qu’il y a une part d’étonnement. Moi je ne suis pas étonné que Nadine Morano dise ce genre de conneries, pas du tout.
Tu voudrais qu’elle soit ignorée ?
Non, il faut rigoler, juste se taper des barres ! Mais pour de vrai en plus ! Ce qu’elle dit ce n’est pas moins grave que ce qu’avait dit Guéant sur les civilisations, ce que Tesson a dit sur les musulmans. La parole s’est libérée.
Et tu t’en fous ?
Je n’en ai rien à carrer de ces gens.
Disiz est actuellement en tournée aux quatre coins de la France. Retrouvez les dates ici.
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