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    23/09/2015

    « Tony Montana, je lui pisse à la raie »

    Bakary Sakho, gardien d’immeuble et écrivain

    Par Matthieu Bidan

    Militant associatif tout terrain du 19e arrondissement, Bakary Sakho se lance dans l’écriture avec cet essai. Il ne compte pas s’arrêter là : « Je suis » est le premier bouquin de la maison d’édition Faces Cachées, qu’il a créé.

    « Les gens kiffent Scarface. Pour eux Tony Montana, c’est un modèle. Mais le problème c’est que tout le monde oublie qu’il meurt à la fin du film. Pour moi, le vrai héros c’est mon père. Il est venu à pied de son village de Mauritanie ! Tony Montana, je lui pisse à la raie », lance Bakary Sakho, auteur de « Je suis », un essai paru chez Faces Cachées. Il reçoit dans une salle vide du centre Curial, un local associatif au cœur de la plus grande cité de Paris. Il travaille juste à côté, dans le bâtiment N. Le grand bonhomme de 34 ans, pull bleu col rond, manches remontées, petite banane autour de la taille, est gardien d’immeuble.

    Sur les murs vert pâle et blancs, la couverture de son bouquin est imprimée au format A4. « Je Suis », son premier livre, sort en librairie le 1er octobre. Ce militant associatif a déjà organisé des projections de films et des débats ici même. Objectif : renouveler l’offre culturelle.

    « Dans les quartiers, les actions culturelles sont toujours les mêmes. On est tous devenus spécialistes de tourner sur la tête. Mais moi ce que je veux c’est qu’il y ait des journalistes, des metteurs en scène, pas seulement la culture de la rue. »

    Français, noir, musulman

    (img) Bakary en Jordan bakary1.jpg

    Bakary parle fort et fait de grands gestes. On voit qu’il a l’habitude des discussions à n’en plus finir. Malgré le titre, son bouquin n’est pas une autobiographie, mais un essai. En revenant sur ses identités multiples – français, noir, musulman, jeune de cité – il propose de s’élever par l’éducation ou la solidarité locale.

    S’il est à l’aise à l’oral, l’écriture a été plus compliquée :

    « J’avais peur de commencer à écrire. Mais je suis passé en mode Jihad et j’ai réussi. Ce livre s’adresse avant tout aux jeunes qui sont en train de se construire. »

    Sans doute le livre qu’il aurait aimé lire lui-même quand il a commencé à se poser des questions.

    Forte tête

    Il a 19 ans quand il commence à cogiter. Il est alors en terminale secrétariat, « avec plein de meufs ».

    « On avait fait tout un premier trimestre super intéressant sur la Shoah. On avait vu le film La vie est Belle. Une dame qui avait été déportée était venue discuter avec nous. Et au deuxième trimestre, on étudie le commerce triangulaire à la va-vite. Je n’ai pas compris ce décalage. »

    Grande gueule, il apostrophe sa prof. Elle est vite débordée par toute la classe qui s’y met aussi. Bakary finit dans le bureau du proviseur.

    « Il me dit d’arrêter d’insister et de m’excuser sinon je serais viré. Je suis parti de moi-même. »

    La Black Guérilla Armée

    Son père, ancien cariste, aujourd’hui retraité, est de la même trempe. Il a quitté la Mauritanie pour s’installer dans le 19e avec toute sa famille. Sa mère fait des ménages. Ado, Bakary est loin de l’engagement. Avec ses potes de Curial-Cambrai, il avait même fondé une bande de quartier : la BGA, pour Black Guérilla Armée, une référence au film les Princes de la ville où trois clans se font la guerre.

    A l’époque, il bosse en intérim. Le déclic vient de la mort d’un de ses amis, d’une crise cardiaque. La BGA devient l’association Brave Garçons d’Afrique. Bakary délaisse les petites embrouilles de cités. Il organise des fêtes de quartier, du soutien scolaire, devient un temps agent de rappeurs, multiplie les initiatives. Il est même invité aux États-Unis dans le cadre du programme américain des jeunes leaders internationaux.

    « C’est l’ambassade des États-Unis qui m’a contacté. J’ai pu visiter plusieurs États américains, rencontrer des maires, participer à des conférences. On était plusieurs, mais c’est souvent moi qui prenais la parole. »

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    « Tous ceux qui arrivent à briser le plafond de verre doivent aider les autres. » / Crédits : Hugo Aymar pour Haytham Pictures

    La gloire de mon père

    Il a toujours été comme ça, du style à être délégué de classe chaque année, « sauf si je ne me présentais pas », rigole-t-il aujourd’hui. Un bagout qui l’a fait sortir du lot.

    « En 5e, ma prof de français m’aimait bien. Même si je ne faisais rien, elle voyait que je n’étais pas bête. Elle m’emmenait de temps en temps au théâtre avec son mari. Et elle m’avait donné la gloire de mon père de Marcel Pagnol. C’était mortel ! »

    Derrière ce bouquin, il n’y a pas seulement son envie de prendre position. Bakary veut aussi inciter les autres à prendre la plume. Faces Cachées, la maison d’éditions qui édite le bouquin, c’est lui qui l’a créée.

    « Tous ceux qui arrivent à briser le plafond de verre doivent aider les autres. Il y a deux semaines, un mec m’appelle. Il me dit ‘j’ai lu ton livre, j’aimerais bien raconter mon histoire, mais je ne sais pas écrire’. Je lui réponds ‘enregistre-toi ! Essaie, on va t’aider.’ »

    Il dit qu’il écrira sans doute un livre sur sa vie plus tard. Mais l’urgence n’était pas là, elle était plutôt de proposer des solutions pour améliorer le quotidien des gens de son quartier. Une démarche volontariste, « le jihad tous les matins devant (son) miroir », jure-t-il convaincu.

    « Ceux qui disent qu’on subit, ils mentent. On n’est pas organisé. Une fois qu’on le sera, on pourra se plaindre. »

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