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    04/03/2015

    Son nouvel album est dans les bacs

    On a parlé islam, rap indé et satanisme avec Ali, l'ex-Lunatic

    Par Mathieu Molard

    5 piges après son dernier opus, Ali est de retour dans les bacs. Pour StreetPress, le rappeur évoque son album mais aussi l’islam, débriefe sa promo sur Skyrock et raconte sa visite en Palestine.

    Paris 10 – Studio Bleu. Les journalistes arrivent au compte-goutte pour l’écoute du nouvel album d’Ali, Que la paix soit sur vous. Quand les deux plumes des Inrocks débarquent, le rappeur met direct les points sur les « i » :

    « Je ne suis pas là pour parler de ça. Je compte sur vous les gars ! »

    « Ça », c’est Booba, son ex-acolyte des Lunatic. 12 piges après le split du groupe, Ali se fait toujours questionner en permanence sur les turpitudes de B2O, et il en a visiblement ras la casquette.

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    5 ans après Le Rassemblement, Ali est de retour dans les bacs. / Crédits : Mathieu Molard

    Aujourd’hui il veut parler de son disque : 14 titres à l’écriture chiadée posée sur des instrus à l’ancienne. Des sons « fats, puissants mais doux », avec quelques featurings. Certains, comme Hifi, sont attendus, d’autres moins, comme Le Rat Luciano de la FF. Au final, un album carré, à l’image de son auteur toujours attentif à chaque détail :

    « Pour la couleur de la jaquette, on a longtemps travaillé afin de trouver la bonne nuance de vert. Le kaki était trop guerrier, le fluo trop électro. On s’est arrêtés sur le pistache, que je trouvais très hip-hop. »

    Midi, fin de l’écoute. Tournée générale de jus d’orange, puis session questions-réponses en présence de tous les journalistes. Mais ensuite, on a réussi à caler une bonne demi-heure en tête-à-tête avec Ali, pour tailler le bout de gras, accoudés sur un piano.

    T’as toujours taffé en indé, pourquoi ?

    Premier apport : la liberté artistique, écrire ce que je veux, et c’est pour moi le plus important. Ensuite, ne pas être prisonnier des timings industriels qui ne m’intéressent pas.

    Justement, t’as mis 5 ans pour faire ce disque…

    J’ai commencé à écrire le premier texte au moment de la sortie du précédent album. Après, c’est pas 5 ans de travail jour pour jour : il y a du temps de vie, des pauses, du repos. Ça permet d’avoir de l’inspiration. Et de travailler les textes et les musiques en profondeur. Si tu prends Lotus (le premier morceau de l’album, ndlr) et Que la paix soit sur vous, il y a un parallèle phrase par phrase entre les deux morceaux : d’un côté le pire de l’être humain, et de l’autre le meilleur. Imagine ça sur trente mesures. Ça m’a pris près de trois mois pour en faire un texte cohérent avec des rimes, un tempo, un flow. Et ça, c’est juste deux morceaux parmi les 14 titres.


    Clip Art

    Dans ton album il y a deux thèmes très forts: la paix et la religion…

    Pour moi, ma religion, c’est la paix. Il faut bien comprendre qu’en tant que musulman je me dois de le répéter et de le défendre, surtout dans ce contexte ambigu et complexe. Je me dois de préciser ce qu’est l’islam. Déjà la racine du mot « islam », c’est « salam » en arabe ou « shalom » en hébreu, donc on revient à cette racine de paix. Quand j’ai voulu écrire cet album, je n’ai pas voulu écrire sur la religion, mais comme je suis quelqu’un de croyant, la foi ressort dans mon écriture. Et d’un certain point de vue, tout est religieux. Il n’y a pas que l’islam, le christianisme, le judaïsme, l’hindouisme, le bouddhisme, etc… qui sont des religions. Il y a le satanisme aussi, et dans le rap on a malheureusement énormément de rappeurs sataniques.

    C’est quoi être satanique ?

    C’est souhaiter le mal, être haineux… Toutes ces sphères marécageuses dont je parle dans Lotus. Dans le rock par exemple, il y a des groupes qui font des chants lucifériens de manière assumée, et sans avoir à s’excuser d’être religieux.

    Et la paix ?

    C’est un thème que j’ai voulu mettre en avant suite à l’introspection effectuée dans l’album Rassemblement. J’ai eu le bonheur de faire mon pèlerinage. Non pas le grand pèlerinage qui est le hajj, mais le petit, qu’on appelle la ‘oumra. Ça m’a permis de vraiment ressentir une paix, et d’ensuite l’approfondir dans mes textes.

    Dans la période actuelle, est-ce que tu souhaites être le porte-parole d’un apaisement, au nom des musulmans?

    Non, parce que ça devient de la justification. On m’avait proposé il y a de ça quatre ans de signer, aux côtés d’autres musulmans, une pétition dans un journal contre l’extrémisme musulman. J’ai répondu clairement : le jour où on fera une pétition contre l’extrémisme chrétien, juif, musulman, athée, laïque… toutes les formes d’extrémisme qu’a l’être humain, ce jour-là je me lèverai et je signerai. Après, pointer du doigt et dire que l’extrémisme est chez les musulmans plus qu’ailleurs, non, je ne veux pas tomber là-dedans.

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    « En France, on est encore dans ce rapport colon-colonisé. » / Crédits : Mathieu Molard

    A ton avis, pourquoi demande-t-on aux musulmans de se justifier ?

    On est encore dans ce rapport colon-colonisé. Il ne faut pas oublier « le rôle civilisationnel » de la France à travers le monde, mis en avant par Jules Ferry. Comme l’influence de la France diminue à l’international, on s’en prend à ceux qui sont au plus proche. J’espère qu’on va tourner cette page. Même si le logo Banania a changé et qu’il est un peu plus sympa, avoir encore un tirailleur sur les pots en 2015, ça suffit.

    Cette semaine, tu fais ton « Planète Rap » sur Skyrock. Tu entretiens quels rapports avec cette radio?

    J’y vais, je fais la promo d’un album qui sort car ils m’ont ouvert la porte pour venir en parler : c’est aussi simple que ça. Fred (animateur de l’émission, ndlr), humainement je n’ai rien à dire, c’est une très bonne personne. Après, oui il y a de la controverse autour de cette radio, mais avant de mettre de l’huile sur le feu, je vais voir sur le terrain. Et ce que je vois de mes propres yeux – que ce soit Fred ou son équipe – c’est que ce sont des gens bien.

    «Tu aurais été brûlé en tant que roux.» Ali

    On a beaucoup reproché à Skyrock de promouvoir un rap très commercial…

    Malheureusement, on est dans un monde de banques et d’industries. On est un pays très axé sur le business, dans tous les domaines. Mais, Dieu merci, en parallèle des Starbucks on a toujours les cafés parisiens. Donc en parallèle de Skyrock, on aura toujours, pour celui qui le veut, des plate-formes d’écoute pour une autre forme de rap. Mais à un moment, il faut chercher ! C’est bien de pointer du doigt, de dénoncer, mais qu’est-ce qu’on fait nous, pour préserver ce qu’on aime ? Aujourd’hui, je fais attention à ne pas diaboliser l’autre. On aurait été au Moyen-Âge, je n’aurais pas été là en tant que musulman, mais toi tu aurais été brûlé en tant que roux. Donc la diabolisation, il faut faire très attention.

    Pour toi, la culture hip-hop existe toujours ?

    Oui, c’est un mouvement qui aujourd’hui a ses fondations, et qui est bien installé. Il y a des maisons du hip-hop sur Paris et sur Lille, des contests de break, des compétitions de MCing. Et au-delà de ça, quand t’as des murs graffés, tu sais qu’il y a du hip-hop dans la ville. C’est une culture qui dépasse le rap, qui est bien vivante et qui reste un moyen d’expression.

    Aujourd’hui les plus grands contests de break sont financés par RedBull…

    Tu sais, quand RedBull décide de financer un projet, ils font très attention à leurs choix de compétences. Regarde dans les sports extrêmes, c’est vraiment des gens de haut niveau, très talentueux. Il ne faut pas s’arrêter au côté marchandise de la chose, il faut voir aussi la contribution de RedBull au dépassement humain. Personnellement, je ne bois pas de RedBull. Mais quand ils sponsorisent le saut depuis l’espace, ils contribuent à aider l’être humain à aller plus loin.

    Tu crois encore en la politique?

    Je ne connais pas de politiciens, je ne peux pas parler de leur sincérité. Et pour croire en la politique, il faut croire en l’humain qui la porte.

    Quand on vote, on ne connaît pas forcément personnellement le candidat…

    Malheureusement, je ne vote pas. Je ne me sens pas représenté, bien que né en France donc totalement français. Aujourd’hui, on demande à des gens qui sont nés ici de s’intégrer. Tant qu’il y aura ce rapport, je ne pense pas que je voterai.

    En 2004, t’es allé en Palestine pour tourner un clip. Tu en gardes quoi?

    On avait enregistré le titre pour la compil Sang d’encre, sans savoir qu’on allait aller là-bas. Puis on nous a proposé d’aller en Palestine, non pas pour clipper mais pour faire un atelier pour des jeunes. J’ai pu voir ce qu’est la colonisation aujourd’hui. C’est comme l’Algérie, le Mali ou le Sénégal dans les années 1940, ou l’Afrique du Sud avant Mandela. On était accueillis dans un camp de réfugiés, on voyait des tanks passer. On voyait des habitants dans leurs apparts avec des murs détruits. On a été à Ramallah, on a vu un braquage de banque devant nos yeux. Donc c’est des émotions fortes. Je suis content d’y être allé. J’ai vu des choses insupportables mais je ne suis pas revenu haineux.


    Vidéo Lamentations, Ali feat. Keydj

    T’as rencontré Yasser Arafat?

    Parler de rencontre serait un peu exagéré. Il était retiré dans la Mukataa, c’était la fin de sa vie. On était avec des associations, on passait les uns après les autres. On a eu le temps de prendre une photo, de lui serrer la main. Quelques années après, il s’est fait hospitaliser à Clamart, comme je n’habite pas loin je suis allé le soutenir devant l’hôpital. Toute la controverse qu’il y a pu avoir la-bas autour de lui, c’est une chose, mais ça reste un symbole de résistance pour le peuple palestinien.

    Dernière question, il y a un album de Lunatic enregistré mais jamais sorti. Est ce qu’on a une chance de l’entendre un jour ?

    Je n’espère pas. J’ai tourné la page, désolé…

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