Coincé entre une grande cheminée d’usine en briques rouges et une petite église de quartier, un immeuble moderne à la façade bleue. Bienvenue à l’université de médecine de Cluj-Napoca. « Quand j’ai vu le décor sur Google Street View, ça m’a fait un peu flipper », confesse Dimitri, président de la corpo de médecine de Cluj.
POMPON
Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse… Si l’étudiant a décidé d’emménager à 2.000 km de sa Corrèze natale ce n’est pas pour les charmes (réels) de la Roumanie mais pour décrocher le pompon : devenir médecin… en France. Europe oblige, le diplôme est reconnu dans l’hexagone.
Après deux échecs en première année – « d’à peine quelques dizaines de places »- il se rabat à contre-cœur sur une prépa kiné. Deux ans plus tard, il réussit le concours. « J’avais même loué un appart’ sur Paris ! », raconte-il en sirotant une bière à une terrasse de la « place Hongroise ». Mais on n’oublie pas aussi facilement ses rêves de gamin et quand il apprend l’existence de la section française de l’université de Cluj, il envoie fissa son dossier. Et fait dès lors parti des 25% de candidats retenus.
Cluj donne aussi sa chance à des profils plus atypiques comme Nadia. A 28 ans, elle est déjà titulaire d’un diplôme d’infirmière. « Je voulais faire médecine, mais je ne pouvais plus prendre le risque de perdre deux ans », détaille l’étudiante en deuxième année. Pour payer son rêve, retour chez ses parents pendant 6 mois. « Histoire de travailler et mettre un max de sous de côté. » Un petit matelas pour payer les 5.000 euros de frais de scolarité par an, dont les français doivent s’acquitter. Pas donné, mais « faut pas croire qu’on est tous des fils à papa. Comme beaucoup, j’ai dû faire un crédit pour payer mes études, témoigne Marina 22 ans. Donc je ne suis pas là pour glander ! »
Bienvenue à Cluj-Napoca / Crédits : Mathieu Molard
GAGNANT-GAGNANT
Pierre ne roulait pas non plus sur l’or. L’étudiant en 4e année a choisi une autre option pour financer ses études : un contrat le lie à la Sarthe depuis la fin de sa 2e année. Pas vraiment le jackpot, mais « les 250 euros qu’ils me filent chaque mois m’aident bien ». L’équivalent d’un loyer sur place. En échange il s’engage à s’installer dans le département, pour 5 ans au moins. « Ils me proposent un poste dans une maison médicalisée », mais aussi un accompagnement :
« Un de mes stages en France était tombé à l’eau au dernier moment, ils m’ont aidé à trouver une solution de repli en moins d’un mois. »
Ce département rural n’est pas un choix par défaut pour le jeune nordiste. « J’admirais beaucoup mon médecin de village. Il m’a donné la vocation de la médecine de campagne. »
Pour Mathias 20 ans et Régis, d’un an son cadet, le retour dans l’Hexagone est encore une perspective lointaine. Pour les deux étudiants de première année, l’installation en Roumanie s’est faite sans peine. Attablés à l’étage du café situé face à l’université, c’est en Roumain qu’ils passent leur commande, bien qu’ils confessent rester surtout entre compatriotes. « Mais même si les cours sont en français, il faut qu’on se mette plus sérieusement au roumain », reconnaît Mathias.
D’autant qu’à partir de la quatrième année, ils seront tous les matins en stage face à des patients locaux. « Ils arrivent tous à être au niveau, nous affirme un enseignant. Même si j’ai remarqué qu’en troisième année certains garçons parlent mieux que les filles. » Pas qu’ils soient plus douées en langue que les filles… Quoique : « Apparemment ils rencontreraient en soirée des ‘profs’ très particuliers ! », lâche le professeur.
CAS PRATIQUE
Certains n’attendent même pas la quatrième année pour mettre les mains dans le cambouis. Ainsi, Dimitri est bénévole dans l’un des hôpitaux de la ville. « On assiste le médecin et quand il a un peu de temps il nous explique sa démarche ». D’autres étudiants se portent volontaire pour travailler pour le Samu. Des possibilités qui, selon eux, reflètent assez bien la philosophie de la formation roumaine. « Plus de pratique, et plus d’apprentissage à partir de cas concrets », résume ainsi Hubert, major en deuxième année.
Pour M. Achimas, 68 ans, professeur de méthodologie de recherche des sciences de santé, les différences entre l’enseignement français et roumain seraient assez marginales : « Nos programmes sont directement basés sur ceux de la France. Il y a simplement parfois un décalage dans l’année où certaines matières sont enseignées. » Conséquence de l’intégration européenne en 2007, la durée des études est rigoureusement la même. Et les Roumains n’y coupent pas : ils passent un exam avant l’internat aussi. Contrairement à la France, il n’y a pas que des winners. Les recalés peuvent se réorienter vers d’autres professions médicales.
Mathias, 20 ans, en première année de médecine. / Crédits : Mathieu Molard
TCHIN TCHIN
A entendre les étudiants, la différence majeure serait dans l’encadrement plus « au cas par cas ». Les promos sont divisées pour les TD en groupes d’une dizaine d’étudiants à peine. « Si à la veille d’un examen on n’est pas vraiment prêts, les profs nous proposent même des séances de révision », ajoute Hubert encore tout étonné de l’esprit de la formation. « Après deux ans à se faire la guerre en première année en France, ça change », ajoute une étudiante.
« Tous le monde se plaît ici », insiste Mathias, aussi conquis par sa formation que par la vie en Transylvanie. Prompts à se transformer en guide touristiques pour Français fraîchement débarqués, ils palabrent sur l’architecture hongroise, subliment les forêts roumaines… « C’est vraiment une expérience enrichissante, sourit Dimitri. Puis je fais tout pour m’intégrer dans ce pays. » Il s’est d’ailleurs fait quelques potes au club d’escrime local. A la nuit tombée, on rencontre facilement des Français en goguette – et pour cause, ils sont 814 sur 8344 étudiants cette année, majoritairement en médecine, mais aussi en pharma, en médecine dentaire… Précision : en 2008, ils n’étaient qu’une centaine !
The story
Mais des francophones, sur les bancs de la fac de médecine de Cluj, ce n’est pas nouveau. Les premiers à s’être incrustés ne sont pas des Français tristounets après avoir échoué leur première année, mais des Tunisiens ! Nombre d’entre eux y étudiaient la médecine avant même l’ouverture d’une section dans la langue de Molière. Un héritage de l’amitié entre les deux pays, à l’ère Ceausescu. « Ils perdaient un an à apprendre la langue », se souvient le professeur Achimas.
Au fond à gauche, l’université de médecine de Cluj
En 2000, la section ouvre donc ses portes et c’est tout le Maghreb qui profite de l’opportunité. Mais depuis l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne (2007), les Maghrébins ont de plus en plus de mal à obtenir leurs visas… Et sont remplacés par les Français, aujourd’hui majoritaires.
Tous se mêlent aux autochtones en déambulant autour de la « Piata Uniri ». Un verre d’Ursus – la bière locale – à la main, Mathias trinque à sa nouvelle vie : « Je me suis fait plus d’amis en 6 mois à Cluj qu’en deux ans à Marseille. Ici on bosse, mais on fait aussi la fête et les Roumains sont vraiment cools. »
Pourtant cette idylle n’est qu’une parenthèse. Tous ou presque envisagent un retour au bercail pour les épreuves classantes nationales (ECN), qui permettent de choisir – en fonction de son classement – sa spécialité. Et même ceux qui ne jurent que par la médecine générale n’ont aucune envie de squatter le bas du tableau. « Une façon de prouver qu’on peut être de bons médecins ! », souligne Marina.
Clash
Ombre à ce tableau bucolique : les exilés s’estiment dépréciés par une partie de leurs confrères hexagonaux. « On est formés par la Roumanie pour exercer en France et pourtant on est mieux vus à Cluj que chez nous. Et ils prennent des médecins d’ici pour remplir leurs campagnes mais ils font tout pour mettre des bâtons dans les roues des Français qui étudient en Roumanie !», note Marina. En 2011, l’État français publie même un décret visant à empêcher les français partis à l’étranger, de réintégrer le cursus hexagonal au moment de l’ECN. C’est un recours déposé par la corpo de médecine de Cluj auprès du conseil d’État qui permettra l’annulation du décret, le jugeant en non-conformité avec le droit européen.
Mais l’État français n’a pas dit son dernier mot. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche envisage désormais de remplacer l’ECN par un concours. L’objectif serait clairement de limiter l’accès aux étudiants scolarisés jusque-là à l’étranger. Mais rien ne prouve que ce serait eux qui resteraient sur le pas de la porte. Et l’idée ne serait pas forcément du goût des étudiants hexagonaux, contraints à une seconde sélection après six ans d’étude. Le ministère envisage – pour ceux qui échoueraient plusieurs fois – une réorientation vers d’autres professions médicales. Rien n’est encore décidé. Affaire à suive…
> Les racines européennes au crash-test :
“Le kebab est-il européen ?”:http://www.streetpress.com/sujet/122681-le-kebab-est-il-europeen |
> L’argent de l’UE au crash-test :
“Tennis, théâtre, jardinage, c’est l’Europe qui régale”:http://www.streetpress.com/sujet/124327-tennis-theatre-jardinage-c-est-l-europe-qui-regale |
> La nuit européenne au crash-test :
“Où faire la fête sans croiser ton voisin ?”:http://www.streetpress.com/sujet/129819-ou-faire-la-fete-en-europe-sans-croiser-ton-voisin |
> Les études en Europe au crash-test :
“La Transylvanie, exil doré pour étudiants en médecine”:http://www.streetpress.com/sujet/132485-la-transylvanie-exil-dore-pour-etudiants-en-medecine |
Cette action fait l’objet d’un soutien financier du Ministère des Affaires étrangères et de la Commission européenne dans le cadre du Partenariat de gestion pour la communication sur l’Europe. Elle n’engage que son auteur et l’Administration n’est pas responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations contenues dans cette communication ou publication.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER