Le rendez-vous avait été fixé à 19h30 “pétantes” devant l’Ami Tripier . Pour cette première soirée sur les trois de prévues, une quarantaine de personnes patientent gentiment sur le trottoir. Sur la devanture, de gros néons roses dans le style bistrotier éclairent nos visages excités. La foule, étonnamment jeune et branchée, est venue entre amis ou en couple. La tripe serait-elle glamour ? Une chose est sûre, on vous le dit en exclu, la tripe est carrément devenue hype.
Happy few
Les organisateurs précisent qu’il y aura encore un petit peu d’attente. A travers la porte, on peut sentir un délicieux fumet qui nous fait saliver. Mais la foule très civilisée affiche un large sourire, et observe la troupe qui s’active derrière les vitrines. A l’intérieur, un gros bouquet de roses, de jolies tables, des horloges et des tableaux dédiés aux tripes décorent le lieu.
Une fois nos noms vérifiés, on nous place d’emblée : les jeunes sur le zinc, au coude à coude, avec vue directe sur la préparation des plats. Les autres curieux, quadras (et plus) branchés, seront installés par table de 4 avec des inconnus, à la bonne franquette. Mais personne ne fait le difficile, et c’est l’occasion de discuter le bout de gras avec son voisin. C’est excitant, comme si nous, happy fews tirés au sort sur internet, allions vivre une expérience incroyable.
Tripes party, the story :
Comme chaque année depuis 10 ans, le mois de novembre célèbre les produits tripiers. Pour cet anniversaire, la filière, qui cherche à redorer son image (touchée par les crises de la vache folle de 1996 et 2000), ouvrait ce week-end un resto éphémère dans le Marais. Les internautes tirés au sort y ont dégusté une dizaine de plats concoctés à base de tripes par le chef de l’Ami Jean , Stéphane Jégo. L’occasion de découvrir le “5ème quartier”, appelé ainsi pour définir ce qui reste autour de la carcasse une fois découpés les deux avants et les deux arrières de la bête.
Le 1er sushi-rail de tripes
Très vite, les deux cuistots s’affairent devant nos yeux, et mettent en marche un « sushi-rail » qui tourne tout autour du bar. Émerveillement dans la salle. « Le comptoir a été démonté à Londres, puis ramené ici spécialement pour cet événement ! Même le bois autour a été fait sur mesure » annonce, pas peu fier, le chef David Van Laer, qui va prendre les commandes de la cuisine.
Inscrits sur le tableau en ardoise devant nous, les plats qui nous seront servis, divisés en quatre catégories, avec quatre couleurs d’assiettes : rouge pour le bœuf, vert pour l’agneau, bleu pour le veau, et rose pour le porc. Très bonne initiative, car il sera parfois compliqué de savoir quel morceau on mange. Les gourmets s’empressent de le déchiffrer alors qu’un serveur dépose une bière d’abbaye devant chaque convive. Des bouteilles d’eau pétillante (réputées bonnes pour la digestion) trônent partout sur les tables. Je me demande si tout cela va bien finir…
Round 1: Bouillon d’oreille, pied de cochon et tête de veau
Pour commencer, on nous sert le bouillon d’oreille et pied de cochon fermier. A l’aspect, rien de sensas, juste une petite soupe brune avec des “bouts” au fond. Si le bouillon est délicieux, il est difficile de savoir ce qu’on a exactement dans la bouche (veut-on vraiment le savoir d’ailleurs ?). Un champignon ? Un bout de pied ? A tiens, ça croque ça. Ah oui, c’est de l’oreille m’explique le très gouailleur chef. Mmmhh, du bon cartilage !
Le comptoir-sushi-rail
La salle
Le menu
Puis c’est au tour de la tête de veau et sa (divine) sauce gribiche de débarquer sur le rail. Ça ressemble à une petite terrine, mais à y regarder de plus près, ce sont des cartilages que l’on distingue. David Van Laer prodigue alors quelques conseils à l’assemblée « Quand on achète de la tête de veau, mieux vaut en prendre une demie. Parce que dans une tête entière, il y a toujours un morceau de cou pas très bon… ». Sympa. La cuisson ? « Au moins 1h30 » répond-t-il. Ah ouais quand même.
Round 2: Salade de groin et ris d’agneau
Et les plats s’enchainent. La salade de groin de cochon au quinoa, bien qu’appétissante, ne fait un pas un gros tabac. Un peu dégonflée par l’aspect de la viande, je demande à mon voisin plus aventureux ce qu’il en pense. « Le groin ? bah c’est mou ! » Les restes dans les assiettes autour semblent indiquer que manger du pif de cochon, c’est pas pour tout le monde. Même hype, il y a des choses qui ne passent pas.
Place maintenant à un classique : le ris d’agneau entouré de petites tomates confites. A l’odeur, on se rappelle soudain qu’on est bien dans un resto de tripes : très forte. Le chef demande à l’assemblée quel morceau est le ris. Un indice, c’est un produit « noble », qui n’existe que chez les bébés agneaux et petits veaux. On sèche. Un connaisseur a la réponse : il s’agit d’ une glande, le thymus, dissimulée dans l’arrière-gorge de l’animal, et qui disparait à l’âge adulte. Ah oui, tout de suite, et dit comme ça, cela fait moins envie. Pourtant, même si l’odeur est forte, le goût est très délicat, et les assiettes vite englouties.
La fameuse salade de groin
…pas si fameuse…
Pied d’agneau et rognons au photo-finish
Le braisé de pied d’agneau, échalotes confites et escargots n’aura pas le même succès. C’est un peu le carton rouge de la soirée. Des « Je suis pas très fan », « Mais y a des poils ! » ou encore « C’est super gras, ya pas de viande » se font entendre. L’association pied+escargot était peut-être un peu too much. David s’en aperçoit et nous taquine « visiblement, les pieds c’était un peu dur hein ? C’est les poils qui vous dérangent ? Mais je rêve ! ». Ben ouais, on est de vrais poltrons. Dur.
« Bon, je vais vous préparer un rognon » lance David à la salle, qui répond par des grands « haaaaaa » de satisfaction ! « Et après, je vous fait des pis de vache », « eeeuuuhhhh » « mais non c’est une blague, je rigole hein ». Ouf, parce que manger du téton, je suis pas sûre d’être prête. C’est le moment que choisissent les serveurs pour nous apporter du vin sur le zinc. Un verre par personne, pas plus. Mais on se rend compte que la salle attenante a déjà vidé quelques godets avant nous. Privilège d’aînés, sans doute.
Alors que les petites bouchées de rognon se présentent, accompagnées de délicieuses pommes de terre, il nous explique que le rognon est confit dans sa graisse, « un peu comme moi quoi ». Un peu comme nous tous, qui commençons sérieusement à caler, voire à être écœurés. Vite, de la Badoit.
Gros succès pour le rognon
Carton rouge pour le pied/escargots
Bonne nuit le petits !
Si la joue de bœuf aux Granny Smith (« une tuerie ! ») et l’onglet aux carottes (oui, c’est un produit tripier aussi) font un carton, la langue d’agneau (« un vrai plat de fête de la cuisine française », ah vraiment?) fera peu d’adeptes. Le rail, lui, continue de tourner, et de nous proposer encore une bouchée. Blurp! Oups, pardon!. Contents, mais fatigués, les gastronomes abdiquent doucement. L’impression de s’être « dépassé » se lit sur les visages. La tripe, c’est tendance, mais c’est pas pour tous les jours.
Heureusement, c’est la fin. L’expérience se termine par l’excellent riz au lait mieux-que-chez-mamie concocté par Yves Jégo. Une petite douceur (très riche, mais à tomber de sa chaise) pour nous récompenser d’avoir (presque) fini toutes nos assiettes. C’est bien les enfants. Une histoire et au lit maintenant.
Plus d’informations sur les tripes et pour des recettes, c’est ici
Le chef David Van Laer
Source: Alice Palussière | StreetPress
Crédits Photos: Alice Palussière pour StreetPress
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