Nanterre – 92 – Un râle de souffrance puis un grand bruit sec : de l’extérieur, la petite salle Gymini de Nanterre ressemble à s’y méprendre à une chambre de torture. Une fois à l’intérieur, on constate que la chambre de torture ressemble comme deux gouttes d’eau à un ring. Ici, personne ne semble vraiment s’inquiéter du sort du chevelu en short multicolore étranglé par un autre, torse nu, regard de tueur et drapeau breton tatoué sur le pectoral. Et pour cause, en un instant les rôles s’inversent et c’est le Breton qui se retrouve les pieds soulevés de terre, entamant un vol circulaire et qui finit par s’effondrer avec cris et fracas sur le ring tapis de bleu. Les deux se relèvent, on rigole, on se charrie et un autre duo entre en scène. Une scène plus qu’un ring, c’est ce qui ressort de cette première rencontre avec ces catcheurs de la banlieue parisienne.
De Chéri Bibi à Undertaker « Le catch c’est un sport et un spectacle, il faut être comédien, avoir une gueule mais aussi être sportif » analyse Fausto Costantino, la soixantaine. Nostalgique des grandes heures du catch français, il cite Delaporte, Ben Chemoul, Chéri Bibi, les soirées devant la RTF et les galas de Beaune. C’est lui qui a fondé il y a maintenant 10 ans le club de Nanterre et l’Association des Professionnels du Catch (APC).
Un pari risqué à une époque où la folie du catch made in USA n’avait pas encore traversé l’Atlantique. Adepte d’une pratique à la française, il doit aujourd’hui faire avec « ce que les Américains ont apporté », c’est-à-dire un combat plus âpre où les coups ont pris le pas sur la comédie. Car quand un jeune passe les portes de sa salle et se lance sur le ring, il a surtout en tête les monstres de muscles qui pullulent sur les chaînes de la TNT.
[Nanterre c’est où]
Découverte Yassine, Charlotte, Haron et Marine, tous ont connus le catch de la même manière : une soirée ennuyeuse à zapper sur la télé parentale et tomber sur deux lutteurs s’envoyant des coups de la corde à linge et autre German Suplex. Malgré ça, le show à l’américaine n’a pas tout de suite convaincu ces jeunes catcheurs en herbe : « Au début je ne trouvais pas ça intéressant mais c’est une sorte d’histoire qui continue chaque semaine et j’ai commencé à m’y intéresser » explique Charlotte, 14 ans.
Pourtant, petit à petit, le catch devient une passion et aucun ne loupe désormais le passage télévisé de son gladiateur préféré. Le désir d’en découdre à leur tour vient alors naturellement. Pour certains comme Charlotte c’est surtout l’occasion de « [se] canaliser ».
« Avant je frappais tout le monde, j’étais tout le temps énervée ».
Il est d’usage de ne pas porter les coups sur le ring mais le placebo fonctionne : « maintenant je suis beaucoup plus calme » dit-elle.
Pour d’autres, le catch est une manifestation de ce que l’on aime appeler la crise d’ado. Exit les passions d’enfant, Yassine a délaissé le foot pour le ring tout comme Marine qui a troqué ses étriers d’équitation pour l’atmosphère moite du gymnase de Nanterre. Le spectacle et la chorégraphie d’un sport qu’elle trouve « joli quand c’est bien fait » ont eu raison des chevaux.
Girl Power Avant de pouvoir enfiler short et protections il a souvent fallu batailler. Pour tous, l’envie s’est heurtée aux suspicions des parents et amis. Fausto Costantino explique cela en partie car « le catch reste mystérieux, on ne sait pas vraiment ce que c’est ». Pour Haron et Yassine, leur motivation a fini par convaincre des parents peu familiers du sport. Et maintenant tout le monde suit les progrès du fiston.
Pour les filles, le chemin a été plus compliqué. Encore aujourd’hui la mère de Marine voit d’un mauvais œil son engouement pour le catch qui restera « un sport de garçon » et la jeune catcheuse se rend aux entraînements presque en cachette. Tandis que ses amis n’hésitent pas à moquer cette passion. Mais elle essuie les remarques de ses proches d’un revers de la main : « ça va je gère ça assez bien. »
Collégienne, lunettes de vue vissées sur le nez, Charlotte aussi est loin de ressembler aux « catcheuses en bikini » que l’on peut voir sur les rings de la WWE (la plus grande fédération de catch aux États-Unis). Elle et sa copine ont d’ailleurs un avis bien tranché sur leur rôle dans le catch. « On veut montrer que les filles ne sont pas là pour faire de la figuration et montrer leurs fesses. Tout le monde pensent qu’elles sont juste là pour porter des tenues très courtes ! » enchaîne Marine qui du haut de ses 16 ans prend son rôle de féministe du ring très au sérieux.
Il faut être comédien, avoir une gueule mais aussi être sportif
Je veux d’abord me faire un nom en France et puis partir loin et allez jusqu’aux États-Unis
On veut montrer que les filles ne sont pas là pour faire de la figuration et montrer leurs fesses
American Dream Pour Haron et Yassine, la pratique du catch va beaucoup plus loin que les simples entraînements en semaine. Derrière les grimaces, la comédie et les coups qui font plus de bruit que de mal se cache un véritable plan de carrière. Ils ont tous les deux l’ambition de quitter la France et d’aller se frotter aux colosses nord-américains. Pour ça, ils veulent intégrer une école au Canada, antichambre des millions de dollars de la WWE. Elle est réputée mais coûte cher, très cher. Le trimestre coûte pas moins de 3.000 euros. De quoi refroidir le porte-monnaie et revoir les aspirations à la baisse. Pourtant, rien ne semble les décourager : « Je veux d’abord me faire un nom en France et puis partir loin et allez jusqu’aux États-Unis, ça c’est mon rêve » assure Yassine.
On les écoute et personne ne les dissuade de croire à une gloire future mais les anciens tempèrent les appétits :
« Pour l’instant il n’y a que le catch qui compte pour eux. Bientôt il y aura les filles, les études et la réalité de la vie. C’est là que la sélection va se faire. »
Dick n’a que 20 ans mais entraîne déjà les jeunes. Après de nombreux galas « un peu partout en France » il commence à bien connaître les rouages du milieu. Tout comme Tarek, 23 ans et un physique poids lourd, qui s’est rendu à Québec et a vu par lui-même les promesses que l’on fait à ces jeunes attirés par l’argent et les paillettes. Il en est rentré amer et critique sur le milieu du catch à l’américaine : « Là-bas tu n’es pas considéré, le milieu est fermé et il est pas propre. »
Catchschool À Nanterre on est encore loin des projecteurs de la WWE. Ici le club ressemble plus à une affaire de famille à l’esprit participatif. Quand ce n’est pas le fils de Fausto Costantino, Fabio, qui entraîne, on fait directement appel aux licenciés. Ceux qui ont de l’expérience encadrent alors les plus jeunes et la sauce prend. Les différences d’âges s’estompent rapidement et le catch fait le reste. « On apprend autant des plus jeunes que eux apprennent de nous », se félicite Fernando, un de ces entraîneurs intermittents. Yassine n’a que 16 ans mais il a déjà soumis plusieurs fois sa technique au public. « Ici, on fait assez confiance aux jeunes, si on montre qu’on bosse bien, on nous appelle rapidement pour des combats ».
Comme pour appuyer les mots de Yassine, Fausto Costantino demande qu’on le photographie au bord du ring avec « ses jeunes. » « C’est eux l’avenir ». Pendant ce temps-là sur cette scène tapis de bleu, il y a un Breton au regard de tueur qui étrangle un gamin de 16 ans. Et personne ne semble vraiment s’inquiéter de son sort.
[Pendant ce temps-là à Veracruz]
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