« Au feu les pompiers, v’là la maison qui brûle ! » Nous sommes devant le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, en Seine-et-Marne. Mégaphone à la main, un gardien de prison sourit jaune. Face à lui, des CRS, des pompiers et des policiers. Alors qu’ils sont censés être dans le même camp, matons et forces de l’ordre se retrouvent opposés. Ce soir-là, pas de mutinerie de prisonniers, mais un rassemblement de surveillants, venus dénoncer leurs conditions de travail. Des conditions qui partent en fumée, à l’image des pneus auxquels ils ont mis le feu pour bloquer l’entrée de l’établissement.
Depuis le 4 avril, ils sont de plus en plus nombreux à faire entendre leurs revendications, un peu partout en France. Pour Christophe Marques, secrétaire général du syndicat FO pénitentiaire, il faut profiter de la présidentielle pour interpeller les politiques :
« La souffrance au travail est devenue insoutenable. On a battu le record historique du nombre de détenus il y a quelques jours. Ils sont 67.000 pour 58.000 places, comment on fait ? »
SURPOPULATION Si le représentant syndical fait part de son « sentiment de non reconnaissance par les hommes politiques », c’est parce que si le nombre de détenus est (trop) élevé, les effectifs des gardiens de prisons sont, eux, loin d’être suffisants. Le centre pénitentiaire de Meaux, construit en 2004, accueille aujourd’hui 900 détenus, alors qu’il ne bénéficie que de 750 places. En face, le personnel se sent lésé. «On est 170 ici, il nous manque 15 agents. Et au niveau national, il en faudrait 550 », explique Benoît Paepegaey, secrétaire local FO, qui dénonce également de nouvelles missions qui noircissent encore davantage le tableau. Depuis un an et demi, c’est la pénitentiaire qui est chargée des extractions judiciaires. « Ils ont créé 800 postes pour ces nouvelles tâches, alors qu’il nous en faudrait 2.400. » À ses côtés, une jeune femme brune dénonce également l’enfer des mutations : « vous voyez le jeune homme en face de moi ? Ça fait un an qu’il est là, il est 760ème sur la liste pour être muté à la Réunion ! Ça va être de pire en pire parce qu’on ne remplace pas les départs en retraite! »
SALAIRE Parmi les manifestants, beaucoup demandent aussi une revalorisation de leur salaire.. Avec 1.380 euros par mois, certains expliquent devoir effectuer des heures supplémentaires pour vivre convenablement en région parisienne. La plupart ont entre 25 et 35 ans, ils débutent dans le métier, mais ils font déjà part de leur ras-le-bol. Car au-delà des revendications, leur mobilisation illustre un malaise bien plus profond.
AGRESSIONS L’un d’eux, qui préfère rester anonyme, n’est gardien que depuis trois ans. Mais il voit déjà une différence. « Mon beau-père, qui était surveillant il y a quatre ans, m’a dit qu’il était parti au bon moment. » Pour Damien, l’un de ses jeunes collègues, « ça se dégrade à vue d’œil ». Première cause (ou conséquence) de cette détérioration, selon lui : « les agressions de plus en plus régulières et plus graves. » Il y a quelques semaines, un de ses confrères a pris un coup en pleine tête pour ne pas avoir répondu à la demande d’un détenu. Damien poursuit :
« On a un rythme très soutenu. On pourrait parler de l’aspect humain mais c’est des conneries. On est censés s’occuper de la sécurité et de la réinsertion, mais on est devenu de simples porte-clefs pour eux. On n’a plus le temps pour la réinsertion, alors on essaie de maintenir l’équilibre comme on peut. »
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la prison de Meaux-Chauconin
67.000 détenus pour 58.000 places !
DÉTENU ROI Stéphane Dervaux, secrétaire adjoint de la CGT à Meaux, va même plus loin. Selon lui, le système privilégie bien trop les détenus. Depuis le mois de mars, une nouvelle mesure fait polémique auprès du personnel pénitentiaire : « les cantines subventionnées ». La « cantine », ce sont les achats qu’un détenu peut faire à l’intérieur de la prison. En cause, des prix qui seraient bien inférieurs à ceux pratiqués sur le marché. Stéphane Dervaux explique :
« L’administration achète les produits à prix coûtant, mais les partenaires privés les revendent moins chers à l’intérieur. Sauf que c’est l’État qui paie la différence. Les détenus ont parfois jusqu’à 90 % de réduction. Moi ça me choque parce qu’après on ose nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour embaucher du personnel ou augmenter nos salaires ! »
Pour lui, le but de cette manœuvre est clair : « C’est un moyen d’acheter la paix sociale. »
MOBILISÉS Pourtant, à en croire leurs témoignages, la paix sociale est loin. Selon Christophe Marques, l’administration aurait comptabilisé 900 agressions en 2011. La récente mutinerie survenue dans la prison de Rennes en est la parfaite illustration. Mais la direction de l’administration centrale fait toujours la sourde oreille. Catherine Lorne, directrice de la prison de Meaux-Chauconin, préfère ne pas prendre position. En retrait lors de la manifestation, elle affirme, brièvement :
« Sur le fond de leurs revendications, il y a des choses qui doivent être entendues. Mais je ne cautionne pas la manière qu’ils ont choisi pour se faire entendre, en bloquant les accès et en dégradant le matériel. »
À ses côtés, le commissaire de police reconnaît avoir relevé plusieurs noms de surveillants, afin d’envisager des poursuites pénales. Bien qu’inquiets, les matons soutiennent qu’ils resteront mobilisés jusqu’à ce qu’on prenne en compte leurs réclamations. Du coup, autant poursuivre dans la bonne humeur : face aux CRS, ils improvisent tout à coup un kuduro. L’un d’eux se marre : « ils ont appris à danser avant d’intégrer la pénitentiaire. Après, on n’a plus le temps ! »
“Il y aurait eu 900 agressions en 2011”
bqhidden. On n’a plus le temps pour la réinsertion, alors on essaie de maintenir l’équilibre comme on peut
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