« Bonjour, bienvenue, j’ai très envie de mettre une ou des femmes enceintes. » Ou encore : « Viens à moi et je te donnerai un fils. Nous n’aurons à nous voir qu’une seule fois… quand tu ovules. » Voici le type de message que reçoit Sandra, en août 2022, quand elle s’inscrit sur Coparentalys.fr. Le « site de rencontre pour concevoir un enfant », selon les mentions de la plateforme, qui serait « n°1 de la rencontre procréative en France » avec plus de 25.000 membres revendiqués. La démarche est simple : créer un pont entre un donneur de sperme et des femmes seules ou lesbiennes qui souhaitent avoir un enfant. Co-parents.fr ou Donneurnaturel.com, mais aussi des dizaines de groupes Facebook, proposent ce même service.
« Il y a deux ans, je me suis inscrite à un parcours de PMA classique en France », rembobine Sandra, qui souhaite à l’époque avoir un enfant toute seule. En août 2021, la nouvelle loi bioéthique vient d’élargir l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux couples lesbiens. Mais les délais d’attente français, entre la prise de rendez-vous et le premier don de spermatozoïde, sont très longs : 15,8 mois sur le premier semestre 2023, selon l’Agence de biomédecine. Ces sites de rencontres pour trouver un donneur par soi-même semblent, en apparence, être une alternative parfaite. La solution est également plus abordable financièrement que d’organiser une PMA à l’étranger, où les délais sont plus raisonnables. L’option expose toutefois ses usagères à de nombreux risques et abus sexuels. Clémentine (2), qui a tenté d’utiliser brièvement le service, résume :
« En grande majorité, les mecs sur ces sites veulent juste un rapport sexuel et trouvent que c’est un bon plan. »
« 80% des hommes voulaient un rapport naturel »
Sandra aurait préféré passer par le circuit classique de PMA. Mais le Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) – la première étape de l’assistance médicale à la procréation avec donneur – ne l’a jamais rappelée après différentes erreurs administratives. « Ils ont confondu mon dossier avec un autre. » Plusieurs relances plus tard, elle obtient finalement un rendez-vous en janvier 2022. Cette année-là, c’est l’embouteillage complet : les nouvelles demandes de PMA explosent. Alors elle s’est tournée vers les sites pour rencontrer des donneurs.
Très vite, Sandra, lesbienne et célibataire, a été marquée par l’insistance de certains hommes sur Coparentalys. Et pour cause, selon son expérience, beaucoup exigent un rapport sexuel :
« J’ai fini par rencontrer quelqu’un qui m’a dit : “C’est un don par méthode naturelle ou rien”. Je me suis dit que je n’avais pas le choix. J’ai accepté. »
Il existe deux façons de faire un don de sperme pour les hommes de ces sites : de manière dite « artisanale », dans une pipette, ou « naturelle », avec un rapport sexuel. À contre-coeur, Sandra confie avoir couché avec cet homme « trois ou quatre fois », tout en étant très mal à l’aise. « Ce n’était pas une partie de plaisir. Je me mettais dans des états pas possibles, je pleurais avant, après… » L’homme en question lui envoie par messages qu’il a passé un très bon moment. Elle, pas du tout :
« Ça voulait dire qu’il n’était pas dans l’objectif de conception : il était content parce qu’il prenait son pied. »
Après cette expérience douloureuse, qui n’a pas engendré de grossesse, Sandra rencontre un autre homme via Coparentalys. Lui est d’accord pour un don « artisanal » par pipette et donc sans rapport sexuel. Mais au bout de sept mois, ça ne fonctionne toujours pas. Sandra a au total discuté avec une vingtaine d’hommes sur le site, dont « 80% qui voulaient un rapport naturel », selon ses estimations : « Sur les hétéros, seulement deux ont accepté une insémination artisanale. Certains disaient carrément “autant joindre l’utile à l’agréable” », décrit-elle. Ce que StreetPress a pu facilement observer en s’inscrivant sur le site.
Bilan de deux semaines sur Coparentalys avec un faux profil de couple lesbien en recherche de donneur : plus de 120 notifications et plus d’une trentaine de messages reçus. « Bonjour, vous êtes ouverte à la fécondation naturelle ou pas du tout ? », envoie l’un des membres en guise de premier contact. Beaucoup vantent « l’efficacité » d’un rapport sexuel : « Je peux me déplacer autant de fois que c’est nécessaire mais uniquement en méthode naturelle car plus efficace », se justifie par exemple un certain Afronectar. « Je ne conçois pas de faire un enfant autrement et je pense aussi que c’est la façon la plus rapide pour que cela fonctionne réellement », défend quant à lui Stéphane. Un autre considérerait la méthode artisanale « si c’est pas possible de le faire naturellement », même si « c’est un peu frustrant ». Pour lire certains messages, dont un signé Robinhood, se présentant comme un « jeune géniteur » de 27 ans, il faut néanmoins souscrire mutuellement à un compte Premium. Le tarif affiché pour communiquer « avec les membres abonnés ET non abonnés » et être « mise en avant » : 39,99 euros par mois.
« Bonjour, vous êtes ouverte à la fécondation naturelle ou pas du tout ? », envoie l'un des membres en guise de premier contact. / Crédits : Marine Joumard
Des sites qui incitent au rapport sexuel
Coparentalys, dont le siège social est à Paris, propose à ses utilisateurs et utilisatrices de choisir la « fécondation naturelle » lors de l’inscription. « Toute référence au “don de sperme/géniteur” sur le site s’entend au sens de “don de sperme naturel/par relation intime sans lendemain” et non “artisanale/en insémination artisanales” et il appartient à l’Utilisateur de s’informer sur les principes et contraintes juridiques régissant les règles de l’insémination », précisent en outre les conditions générales d’utilisation. Pour cause, l’avocate Clélia Richard explique :
« La manipulation de gamètes ne doit se faire que supervisée par une équipe médicale. Sinon ça tombe sous le coup de la loi pénale. »
L’article L1244-3. du Code de la santé publique stipule clairement que « l’insémination artificielle par sperme frais provenant d’un don, et le mélange de spermes sont interdits ». Ces pratiques sont punies dans le Code pénal. de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende. « Mais il y a très peu de jurisprudence à ce sujet », tempère Clélia Richard.
Le site Donneur naturel, géré et hébergé aux États-Unis, précise qu’en France, « seuls des centres médicaux agréés peuvent effectuer l’insémination artificielle » et que la méthode naturelle « à travers une relation sexuelle » serait « la plus efficace ». Le site affiche toutefois les différentes options. Surtout, il donne leurs définitions quand on s’y inscrit : la méthode naturelle « désigne la conception d’un rapport sexuel classique » et « inclut les préliminaires » ; la « semi-naturelle (ou dépositoire) », un don où « la pénétration n’intervient que peu avant l’éjaculation » et où « la femme se met en condition sans que l’homme ne la touche » ; et pour méthode « artisanale », « l’homme éjacule dans un pot ». Dans sa partie « blog », le site donne également des conseils sur les meilleures positions entraînant une grossesse, parmi lesquelles figurerait la levrette. « J’ai été effarée. Ça m’a fait super peur plus qu’autre chose », témoigne Clémentine, qui n’a tenu que quelques heures sur le site. La Bretonne de 36 ans, en couple avec une personne non-binaire de 40 ans, a aussi fui le circuit PMA classique à cause de délais « ingérables ». Quand elle se rabat sur les sites de rencontre, c’est la douche froide :
« J’ai halluciné du nombre de gars qui ne sont pas intéressés par ce qu’ils appellent “une insémination artisanale”, avec une pipette. »
Sur Donneur naturel, présenté comme gratuit, il est précisé que « les hommes ne peuvent pas contacter en premier » et que le site « n’autorise aucune rémunération des géniteurs ». Il n’hésite néanmoins pas à véhiculer de fausses informations pour appâter les femmes, en se présentant comme la meilleure alternative à un parcours en milieu hospitalier, décrit comme « coûteux et peu efficace », alors que la PMA est prise en charge à 100% par l’Assurance maladie en France.
Un des administrateurs d'une page Facebook affiche sur sa photo de profil le costume de Superman avec un spermatozoïde en guise de « S ». En 2016, cet homme était déjà père de plus de 50 enfants alors que ce nombre issus d’un même donneur de spermatozoïdes est limité à dix en France. / Crédits : Marine Joumard
Contactées, les équipes de Donneur naturel n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview : « Nous ne répondons pas aux journalistes. Vous pouvez contacter des gros sites comme Coparentalys.com ou Co-parents.fr ou groupes Facebook. » De nombreuses autres plateformes du même type existent en effet. Il suffit d’aller faire un tour sur Facebook pour constater la popularité de groupes ayant pour objet le don de sperme. Ils sont plus d’une dizaine, dont certains comptant plus de 3.000 personnes. Tout comme sur Donneur naturel, il y est demandé de préciser quelle « méthode » on préfère utiliser, parmi la « naturelle », « semi-naturelle », « artisanale » ou « au choix ». Une fois inscrite sur ces groupes, il suffit de quelques minutes pour être contactée par plusieurs hommes, sans même avoir posté de message préalable. L’un écrit par exemple :
« Bonsoir, je suis disponible pour le projet bébé. (…) Je veux juste avoir un enfant. »
L’une de ses pages, décrite comme un « groupe de mise en relation entre donneur et receveuse », compte plus de 6.000 membres. Un des administrateurs, un certain David Francis, affiche sur sa photo de profil le costume de Superman avec un spermatozoïde en guise de « S ». Son illustration de couverture : « Super papa. » Il a plusieurs autres comptes du même type à son actif. En 2016, cet homme était déjà père d’une cinquantaine d’enfants selon une enquête de la journaliste Sarah Dumont (Super-géniteurs, Michalon). Et ce, alors que le nombre d’enfants issus d’un même donneur de spermatozoïdes est limité à dix par la loi de bioéthique en France.
Santé, filiation : un flou juridique dangereux
En plus de possibles abus sexuels, les femmes s’exposent, en utilisant ces sites, à des risques sanitaires. « Je demandais des tests sanguins des personnes », explique Sandra, qui reconnaît : « Ils peuvent avoir une vie à côté, me mentir et ne pas du tout faire attention à la prise de risque ». « Des tests de dépistage des maladies sexuellement transmissibles doivent être échangés avant le premier don », stipule pourtant la charte de Donneur naturel, sans toutefois garantir la véracité des informations reçues pour les receveuses. « Si vous avez fait tous les tests nécessaires et connaissez la personne, les risques sont minimes », affirme même le site à propos de l’insémination naturelle. « Il n’y a vraiment aucun cadre juridique de posé. Sur le plan légal, ce site est très dangereux, au-delà des questions de santé et de dignité », commente Clémentine. En effet, pour ce qui concerne les questions de filiation, les femmes ne sont nullement protégées.
Pour ce qui concerne les questions de filiation, les femmes ne sont nullement protégées. Sur l'établissement de la parentalité, l'avocate Clélia Richard est catégorique : les géniteurs peuvent demander à être reconnus comme pères « n'importe quand ». / Crédits : Marine Joumard
Sur l’établissement de la parentalité, l’avocate Clélia Richard est catégorique : les géniteurs peuvent demander à être reconnus comme pères « n’importe quand ». Dans le cas d’un couple de femmes à qui il aurait donné son sperme, l’homme peut faire « tierce opposition sur le jugement de l’adoption et peut être reconnu comme père facilement », précise-t-elle. Seul cas de figure qui protégerait les mères, selon elle : s’il est au courant de la procédure d’adoption et ne s’y est pas opposé, ou si c’est un autre homme qui reconnaît la paternité et élève l’enfant pendant cinq ans. « Ça permet de verrouiller une éventuelle contestation derrière. » Clélia Richard balaie toute autre possibilité pour un couple de femmes d’écarter juridiquement un géniteur :
« On ne peut pas aujourd’hui renoncer par avance à des droits parentaux, sauf à accoucher sous X. Aucun notaire ne dresserait un acte sécurisant la filiation pour les deux femmes, puisque ce serait inefficace juridiquement. »
Comme d’autres, elle appelle à l’encadrement de ce type de pratique pour éviter les dérives, notamment dans le cas de dons amicaux.
En attendant, Coparentalys précise pour se protéger : « L’utilisateur reconnaît qu’il lui appartient de s’informer seul sur les conséquences de toutes natures, et notamment juridiques et médicales, de ses engagements de coparentalité. »
Preuve que passer par ce type de plateforme n’est pas forcément plus efficace ni plus rapide : après s’être inscrites sur Donneur naturel, Laura et Sybille (1) ont finalement fait le choix d’un parcours encadré. Au fil des discussions, elles ont trouvé deux hommes correspondant à leurs critères : accès à l’identité du donneur, sans co-parentalité ni rapport sexuel, même si beaucoup en réclamaient. Mais elles ont préféré profiter de l’évolution de la loi pour bénéficier d’une PMA en Cecos. Leur bébé est né début novembre.
Face aux délais d’attente, Sandra est, elle, passée par la banque de sperme danoise Cryos. « Ça a été très rapide. Le gynécologue a reçu les paillettes, l’insémination a eu lieu en février et ça a fonctionné du premier coup », se réjouit-elle aujourd’hui, en regrettant son expérience sur Coparentalys.
« Ça m'a donné un super aperçu des dérives possibles, c'était la jungle. » / Crédits : Marine Joumard
Clémentine et sa moitié doivent passer par une fécondation in vitro (FIV), beaucoup plus contraignante. Le couple doit pour cela faire une conservation d’ovocytes :
« C’est six mois de délai, et pendant ce temps, on nous retire de la liste d’attente, donc le compteur reprendra à zéro dans six mois. »
Clémentine craint de voir le délai d’attente passer à deux ans « bien tapés ». Elle songe à une PMA en Espagne. Pas question, toutefois, de retourner sur des sites non-officiels :
« Ça m’a donné un super aperçu des dérives possibles, c’était la jungle. »
Coparentalys et « Super Papa » n’ont pas donné suite à nos demandes d’interviews. Le site Ddonneur naturel a refusé de répondre à nos questions.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) [Edit du 24/01/24] Pour préserver son couple, Clémentine a souhaité retirer son prénom.
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