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    04/10/2018

    Un pour tous, tous pour Adama

    La garde rapprochée d'Assa Traoré en guerre contre les bavures policières

    Par Inès Belgacem

    Il y a Assa Traoré, soeur d’Adama. Almamy Kanouté et Youcef Brakni, porte-voix des quartiers populaires. Geoffroy de Lagasnerie et Edouard Louis, intellectuels engagés. Ensemble ils luttent pour obtenir « vérité et justice ».

    « Regarde le message qu’on vient de m’envoyer. Rarement vu une journaliste aussi déter’. Elle veut que je lui file des infos », sourit Youcef Brakni en penchant son téléphone vers Sonia Chaouche. Assise devant un café court, dans un bistrot coquet du 6e arrondissement, la jeune femme pouffe. « Elle te drague surtout ! » Rire général de la tablée. Assa Traoré lève la tête de son portable. « Il y a pas mal de vues sur le live Facebook. C’était bien tout à l’heure, non ? » Une demi-heure plus tôt, la sœur d’Adama Traoré tenait une conférence de presse improvisée devant une vingtaine de journalistes. Deux ans après la mort d’Adama Traoré, un quatrième rapport d’expertise médicale vient d’être rendu. Il dédouane les gendarmes.

    Le Comité Adama gronde. « On a affaire à des médecins militants qui protègent les leurs », juge Youcef. À la table, Almamy Kanouté, Anne-Charlotte Arnoult et Geoffroy de Lagasnerie acquiescent. Inlassablement, malgré l’enquête qui patine, Assa et son équipe poursuivent le combat pour obtenir « vérité et justice ». Ensemble, ils ont su percer la chape de plomb qui pèse sur les causes venues des quartiers populaires : Un livre publié au Seuil, Lettre à Adama, co-écrit avec la journaliste de l’Obs Elsa Vigoureux ; des passages télé et des portraits dans la plupart des quotidiens nationaux. Désormais, Assa Traoré est suivie en manif’, invitée dans les amphis d’université et courtisée par les politiques. Une réussite construite avec d’autres. Une poignée d’amis, de militants et d’intellectuels qui l’ont soutenue dans son combat.

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    Assa et Youcef en conf' de presse. / Crédits : Inès Belgacem

    « On a été des Avengers ! On s’est tous réunis dans cette lutte, autour d’Assa, quitte à mettre nos autres combats de côté. Il fallait y mettre le paquet », témoigne Youcef Brakni, engagé aux côtés de la famille Traoré depuis le début :

    « Par cette lutte, on peut sauver d’autres personnes. Comme dit Assa, on peut sauver d’autres “Adama”. »

    Équipés

    Courant juillet, le salon d’Assa Traoré est bondé, rapportent les convives. Il y a Nafi, sa voisine. Ou encore Sonia, Anne-Charlotte et Amé, qui sont d’anciennes collègues. Toutes sont très actives au sein du Comité pour Adama. À tour de rôle, elles s’improvisent community manager ou attachée de presse. « Sans elles, sans mes proches, sans les amis d’Adama, le mouvement ne tiendrait pas. Je ne tiendrais pas non plus », assure l’ancienne éducatrice spécialisée de Sarcelles.

    Ce soir-là, Assa reçoit dans son petit appartement. C’est ici, aux portes de Paris dans la banlieue sud, qu’elle vit avec ses enfants et son mari. Elle est encore en cuisine, préparant un mafé, quand quelqu’un arrive à la porte. Comme chaque mois, elle a invité ses camarades de lutte à partager un bon repas. Ils sont une dizaine, un peu plus certains soirs. « On s’est rencontrés un jour à la bourse du travail et on ne s’est plus quittés, on s’aime beaucoup », sourit le sociologue et philosophe de gauche Geoffroy de Lagasnerie. Chacun évoque à sa manière cette affection. « Nous sommes comme un prolongement de la famille Traoré », dit Youcef :

    « On fait les anniversaires, les fêtes, etc. Quand tu vis des trucs aussi durs que la répression d’état ou la mort, si tu n’as pas des petits moments comme ceux-là, tu craques. »

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    "Pour fêter l'habilitation à diriger des recherches de Geoffroy". / Crédits : Instagram Edouard Louis

    Youcef est proche des mouvements antifas et antiracistes. Il est celui qui connaît le mieux les organisations politiques. « Il gère les relations avec ce milieu, auquel j’ai du mal à faire confiance », confie Assa. Le grand homme d’une trentaine d’années est reconnaissable à sa dent en or. Originaire de Bagnolet, l’activiste est de toutes les batailles : mouvements étudiants, pour les habitants de sa ville, combats en faveur de la Palestine ou contre la Françafrique…

    « Dès que j’ai vu l’histoire de la famille Traoré sur BFM, j’ai foncé direct à Beaumont ! », se souvient-t-il. Ce jour-là, il est accompagné par Samir Baaloudj, un petit homme sec aux cheveux noirs et à la barbe poivre et sel, également invité à la table d’Assa. Le bonhomme, bien connu des militants antiracistes, est notamment issu du MIB. Le Mouvement de l’immigration et des banlieues fait partie des toutes premières organisations à dénoncer les bavures policières. Dans les années 90, elle se différencie de SOS Racisme par sa radicalité et sa critique des politiques, de droite comme de gauche. Assa se remémore les débuts de leur combat commun :

    « Heureusement que Samir était là ! C’est lui qui nous a orientés vers une lutte locale. Il savait qu’à partir d’une structure forte sur Beaumont, nous pourrions durer et ensuite toucher le national. »

    Avec ses 20 ans de militantisme dans les pattes, Samir fait office de figure pour la famille Traoré, totalement étrangère aux luttes militantes. Avec Almamy Kanouté, « ils ont agi comme des guides et des filtres. Surtout Almamy. Nous ne connaissions personne et nous étions approchés par tellement de gens. Il a éloigné les mauvaises personnes », raconte la sœur Traoré. Aujourd’hui, n’importe où Assa passe, l’ombre imposante et les larges épaules du bonhomme de deux mètres la suivent. « Elle m’appelle “sa meilleure copine” pour m’embêter », raconte le colosse en rigolant. « C’est une force tranquille. Il s’occupe pas mal de communiquer sur nos réseaux », explique Assa.

    À 39 ans, Almamy fait partie des piliers des militants de quartiers actuels. « Il est proche de rappeurs, de sportifs, qui nous ont soutenus dans notre combat. Il est respecté dans beaucoup de milieux pour ses actions », assure Assa. Fresnois d’origine, l’éducateur a monté différentes listes citoyennes pour diverses élections. Il s’évertue surtout à créer des ponts entre les quartiers :

    « Le jour où l’un des nôtres aura un problème, et que tous les quartiers sortiront dans la rue comme les cheminots, on aura gagné. »

    « C’est l’histoire de la montée en puissance des luttes, qui se nourrissent de leur histoire pour élaborer des stratégies offensives. Elles se renforcent les unes les autres. Chacun a apporté son expérience », analyse Geoffroy de Lagasnerie, le dernier de cette petite troupe. Almamy se souvient l’avoir remarqué après son passage sur Canal+, dans le Gros Journal de Mouloud Achour, où il prend parti pour la famille Traoré, qu’il ne connaît pas encore. C’était en septembre 2017. Un moment où le Comité peine à trouver du soutien chez les intellectuels et les politiques :

    « Prendre une telle position publiquement, sans être de notre milieu et sans nous connaître, on s’est dit “Bonhomme” ! On a ressenti beaucoup de sincérité. »

    Le concerné rebondit, grave :

    « Je crois que les gens comme moi – blancs, bourgeois, privilégiés -, qui n’ont jamais vécu les contrôles de police, ont du mal à comprendre que l’on parle de vraies morts. Ne pas aborder le sujet , pour moi, en tant qu’intellectuel de gauche, c’était être complice. »

    Mouvement influent

    Même s’il n’intègre pas officiellement le comité Adama, le philosophe joint le geste à la parole. Samedi 27 mai 2018. Paris. Geoffroy de Lagasnerie est à la gauche d’Assa, planté derrière une énorme banderole « C’est nous on braque Paris, c’est nous l’grand Paris » – en référence au morceau Grand Paris de Médine. Son ami écrivain Edouard Louis, également proche du mouvement, est là, accaparé par des journalistes. Quelques heures plus tôt, les deux intellectuels publiaient une tribune dans le Monde titrée, « Le 26 mai, nous serons dans le cortège de tête avec le comité Vérité et justice pour Adama » :

    « Personne n’aurait pu avoir cette page dans Le Monde à part nous. Je me pense comme un relais. Je porte leur parole et leur ligne dans des réseaux et des endroits où ils ne sont pas, c’est-à-dire d’où ils sont exclus. »

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    Assa et ses alliés : à droite les familles de bavures policières, à gauche Geneviève Bernanos, Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie. / Crédits : Yann Castanier

    Ils invitent à « réinventer une gauche puissante et un mouvement social contemporain ». Le moment est important pour le Comité, qui vole une partie de la lumière aux Insoumis et à François Ruffin, à l’initiative de cette « Marée humaine », pour manifester contre la politique d’Emmanuel Macron. L’objectif : créer un rapport de force pour se faire entendre, à la fois par le gouvernement et par la gauche.

    Derrière Assa, en tête de cortège : des collectifs pour les droits des réfugiés, pour la libération de Gaza, des militants féministes et décoloniaux, des assos LGBTQI, des activistes issus de la gauche radicale ou encore des groupes d’étudiants en lutte. Reste, devant eux, une nuée de journalistes et de caméras. « On a assisté à un basculement du mouvement social », analyse Geoffroy de Lagasnerie, qui poursuit :

    « Maintenant, en manif, on se demande si Assa et le Comité seront présents. Et s’ils seront là avec leurs soutiens. Soit tous ceux que les organisations de gauche traditionnelle ont souvent laissés de côté : les jeunes noirs et arabes, les quartiers populaires, les opprimés. »

    À droite d’Assa, plusieurs familles victimes de bavures policières se serrent les coudes. Tous portent leur t-shirt « Vérité et Justice pour ». Leur slogan a été repris avec, à chaque fois, les noms des victimes de bavure policière : Aboubacar Fofana à Nantes, Gaye Camara à Epinay-sur-Seine, Mehdi Bouhouta aux Minguettes, Curtis à Antony, plus récemment Clayton à Orly… La liste est longue.

    À LIRE AUSSI : « En 10 ans, 47 décès liés aux violences policières, aucun fonctionnaire en prison »

    Et puis entre Assa Traoré et Edouard Louis ce samedi 26 mai, il y a Geneviève Bernanos. La dame, toute fine, aux cheveux grisonnants coupés court, est la mère d’Angel et d’Antonin, devenue une des fidèles alliées de la famille. Ses deux garçons, militants antifas, ont été mis en cause dans l’affaire de l’incendie de la voiture de police, quai de Valmy.

    Quand ses fils sont arrêtés en 2016, Geneviève Bernanos dénonce une répression politique. Elle cherche des soutiens. « Le Comité Adama m’a toujours ouvert les bras », témoigne la militante, qui poursuit :

    Le 26 mai yc_adama_003.jpg

    « Au début, j’étais assez mal à l’aise à l’idée de m’exprimer pendant leurs rassemblements. La situation de mes fils n’est pas la même qu’Adama. Assa a perdu son frère pour ce qu’il est : un garçon noir de banlieue. Je n’ai perdu personne… Mais ils m’ont dit “ta lutte est comme la nôtre” et m’ont accueillie. Finalement, j’ai été là où mon cœur m’a portée. »

    Elle a depuis monté avec Agnès Méric, mère de Clément, militant antifasciste décédé des coups portés par des skins d’extrême droite, le Collectif des mères solidaires. Le 19 juillet 2018, c’est au nom de ce collectif que Geneviève Bernanos se rend à Beaumont-sur-Oise.

    Une nouvelle gauche

    Ce jour-là, dans la petite commune du Val-d’Oise, le Comité organise un rassemblement pour commémorer les deux ans de la mort d’Adama. Le gratin des politiques de gauche s’est déplacé : l’ex-candidat à la présidentielle Benoît Hamon, les députés France Insoumise François Ruffin, Éric Coquerel et Danièle Obono, l’économiste Frédéric Lordon, entre autres, sont présents. Et chacun a un petit mot à dire aux caméras. Almamy grince des dents. « Autant de gens qui ne nous ont pas soutenus jusqu’à maintenant… » Il se souvient que, pendant la campagne présidentielle, Hamon ne voulait pas prendre position sur le décès d’Adama, refusant quand StreetPress l’interrogeait, de « parler à tort ou à travers ». Ou de Ruffin, qui déclarait avoir « besoin de faire une enquête approfondie » pour s’exprimer.

    « On l’a mal pris », commente l’activiste, qui regrette que leur lutte soit criminalisée avant même d’être écoutée. Mais les sceptiques de la veille viennent aujourd’hui réclamer leur photo avec la sœur Traoré. Rien d’étonnant pour Geoffroy de Lagasnerie :

    « Aujourd’hui, une nouvelle gauche se dessine. Et le Comité est une bouffée de réel. Il représente mieux la réalité de la France que n’importe quel mouvement politique. »

    Le fruit de centaines de déplacements pour Assa et son équipe. Ils peuvent parfois intervenir à plus de cinq endroits par week-end. Depuis deux ans, le Comité communique sur tous les réseaux, fait la tournée des quartiers, des universités et soutient les luttes dont ses membres se sentent proches : anti-racisme, féminisme, droit des réfugiés, entre autres. « Je ne crois pas à la convergence des luttes. Je préfère parler d’alliance », explique Assa.

    Black panthers

    Partout où elle passe, la grande sœur fait l’unanimité. « C’est une Black Panther ! Une guerrière ! C’est la force du groupe », témoignent Lotfi, Adel et Rédouane, les amis d’Adama, très actifs dans le Comité. Assurée, charismatique, avec un discours politique percutant, Assa Traoré incarne aujourd’hui la rébellion des quartiers. Comme l’explique Almamy :

    « Habituellement, les gens des quartiers se font broyer par la pression médiatique et le système judiciaire. Mais voilà : la sœur d’Adama Traoré a tenu tête à la France “Ripoublicaine”. Elle prouve qu’il est possible de résister et de se battre. »

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    "Une nouvelle année de combat et d'amitié" / Crédits : Instagram de Geoffroy de Lagasnerie

    Photo principale Yann Castanier.

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