Je m’appelle Yacine, j’ai 13 ans et je suis en 4ème. J’habite à la Grande Borne à Grigny. Ma vie est banale. Je passe mon temps entre le collège, chez moi et le quartier. Mais depuis que mon frère a été suspecté d’avoir participé à l’attaque contre les voitures de police et arrêté, je suis harcelé presque tous les jours par la police.
La Grande Borne sous surveillance jour et nuit
Avant que mon frère soit arrêté, j’étais contrôlé de temps en temps. Sauf quand les grands du quartier faisaient des conneries, là on se faisait plus contrôler, sinon c’était normal. On me demandait mes papiers et c’était fini. Parfois, j’avais même droit à un “au revoir”.
Et puis il y a eu l’attaque contre ces voitures de police où deux policiers ont été blessés. Depuis ce jour, le quartier est sous surveillance avec des gros effectifs de police et de CRS. Tous les soirs, un hélicoptère tourne au-dessus du quartier jusqu’à très tard dans la nuit. Il y a eu de nombreuses interpellations.
Un matin, les policiers ont débarqué chez moi pour embarquer mon frère. Depuis ce jour, ma vie a changé.
L’impression d’être au milieu d’une chasse à l’homme chaque jour
Ça a commencé un jour où je suis parti à la pharmacie. J’avais un sac avec plusieurs boîtes de médicaments. J’entre dans la pharmacie et à peine je me place dans la file d’attente, deux policiers entrent. Ils viennent directement vers moi.
« Viens avec nous on sort ». Ils savaient visiblement qui j’étais. Ils prennent mon sac dans lequel il y avait les médicaments et l’un d’eux ouvrent les boîtes. Il ne se contente pas d’ouvrir les boîtes, il sort une bonne partie des cachets.
« Ici on ne sait jamais, ça peut être des « stup» » me dit le policier en regardant chaque cachet. Il a fait la même chose sur 4 paquets de médicaments jusqu’à ce que son collègue lui dise d’arrêter pour repartir. Sinon, je suis sûr qu’il aurait ouvert tous les paquets.
Le rythme des contrôles s’est très vite accéléré. Un autre jour, dans un hall, un officier de police a commencé à me fouiller. En arrivant au niveau de mes parties intimes il a appuyé la palpation. Il est remonté sur mon buste et il est redescendu encore au niveau de mon entrejambe en faisant exprès d’appuyer à nouveau.
Ça me gênait ce qu’il faisait. Je lui demande « pourquoi vous appuyez aussi fort », il me répond « c’est pour être sûr que tu ne caches pas de drogue dans ton caleçon ».
« Un autre jour, dans un hall, un officier de police a commencé à me fouiller. En arrivant au niveau de mes parties intimes il a appuyé la palpation. Il est redescendu encore au niveau de mon entrejambe en faisant exprès d’appuyer à nouveau. »
Yacine, 13 ans
Des passages à tabac dans les halls
Un autre jour encore, deux garçons de mon quartier sont contrôlés. Ils avaient 15-16 ans. Les policiers les font entrer dans un hall pour effectuer le « contrôle ». Un autre était posté devant l’entrée. C’était bizarre.
Avec des amis on observait la scène à quelques mètres. Au début ça se passait normalement. Et à un moment donné, on commence à entendre des cris. On s’est avancé pour voir ce qui se passait dans le hall.
J’ai vu les policiers lancer des baffes et des coups. J’ai sorti mon téléphone pour commencer à filmer. Le policier posté devant l’entrée du hall s’est avancé vers moi en me disant :
« Tu fais quoi ? Range ton téléphone. T’as pas le droit de filmer ».
J’ai insisté en levant mon téléphone en l’air pour essayer de capter la scène. Il a dit à ses collègues de se mettre dans un coin du hall où on ne pouvait plus les voir. Des habitants du bâtiment sont arrivés. Ils voulaient rentrer chez eux, le policier leur a demandé d’attendre dehors :
« C’est bientôt fini, attendez ».
Quand mes amis sont ressortis, ils étaient dans un sale état. L’un d’eux boitait et il avait une grosse trace rouge en forme de main sur le visage. L’autre avait le visage gonflé. J’ai voulu les prendre en photo pour avoir des preuves mais ils ont refusé. Ils avaient trop honte.
Intimidation de la part des policiers
Chaque faits et gestes de la vie quotidienne est devenu source de stress pour moi. Le simple fait d’aller faire une course est devenu suspect.
Un soir je vais à l’épicerie du coin. Il y avait du brouillard et à cause des travaux, l’éclairage ne fonctionnait pas. Ma mère m’a passé une lampe torche. Une fois dehors, je passe devant un groupe de policiers. Bien évidemment, l’un d’eux ne peut s’empêcher de me demander où je vais et me laisse circuler.
Sur le trajet du retour je repasse devant le groupe de policiers. Le même policier qui m’avait interpellé me dit :
« Si je te revois avec ta lampe je te la fais rentrer dans les fesses. T’as très bien entendu. Ça sera ton cadeau de noël ! »
Durant les vacances je dois quitter le quartier
Durant les dernières vacances de février, il y avait un camion de police garé à côté de chez nous. Les premiers jours des vacances je les ai passés enfermé chez moi. Je n’osais plus sortir.
Yacine ne sort plus dehors par peur d'être contrôlé par la police /
Dès que je sortais j’étais contrôlé. J’en pouvais plus des contrôles, des fouilles et des moqueries de la police. J’ai décidé de ne plus sortir. Ma mère s’inquiétait pour moi. Elle a décidé de m’envoyer chez ma grand-mère qui habite dans une ville voisine.
Ce ne sont plus des contrôles mais du harcèlement
Ça devient du harcèlement. Je ne peux plus mettre le nez dehors sans me faire arrêter par des policiers. Certains jours je suis contrôlé jusqu’à 3 fois.
Quand je dis aux policiers qu’ils m’ont déjà contrôlé ils me répondent : « Et alors ? On peut te contrôler toutes les 5 minutes même si il faut ». J’en ai vraiment marre.
En plus des contrôles, il y a des moqueries. Un policier de la BAC, après avoir terminé le contrôle me dit ironiquement : « Tu demandera à ta mère si elle compte réparer la porte ou si elle va la laisser comme ça ». Allusion au jour de la perquisition où notre porte a été défoncée par les policiers.
Encore une fois c’est du harcèlement je ne peux plus rien faire. En allant acheter du pain j’ai été contrôlé sur l’aller et le retour. Je ne sais pas ce que les policiers cherchent à faire en se comportant comme ça mais ça devient invivable.
Parce que mon frère est suspecté d’avoir attaqué des policiers ils m’assimilent à un délinquant. C’est abusé.
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER