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    07/03/2016

    Glanage, panneaux solaires et petits boulots

    La vie en camion à Paris

    Par Yann Castanier

    Dans un coin du bois de Vincennes, une quinzaine de camions sont habités. Il y a les travailleurs itinérants comme Benoit. Mika et sa bande, qui aiment vivre à la cool. Shakara, l’ex-SDF et David, l’ex-policier qui suit des cours de théâtre…

    Bois de Vincennes, Paris – Une grosse dizaine de camions sont alignés le long de la route. Un brun avec des dreads sort de la porte latérale de son vieux van Mercedes gris. Il va voir son voisin de trottoir :

    « La musique est encore trop forte ? »

    Une réponse se fait entendre à travers de la paroi de métal : « Mais ouais mec, j’entends tout. » Le chien, K-ïa, fait des allers-retours sur le trottoir en suivant le propriétaire qui retourne ajuster le son.

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    Une grosse dizaine de camions sont alignés le long de la route. / Crédits : Yann Castanier

    Le spot

    Au total, ils sont une quinzaine à vivre dans ce petit coin du bois de Vincennes. Les camions sont posés dans une allée de bitume bordée de platanes. « On est entre les prostitués et les homos », lâche Thierry, 56 ans, qui occupe un camping-car. Les camions des « dames de joie » sont à l’autre bout de la rue, plus passante. Elles feuillettent un magazine, assises sur la place passager, ou font défiler l’écran d’un iPad, version moderne de l’attente. De temps en temps, une porte s’entrouvre et une discussion démarre avec un gentleman.

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    Ils sont une quinzaine à vivre dans ce petit coin du bois de Vincennes. / Crédits : Yann Castanier

    A l’autre extrémité de la rue, « c’est le rendez-vous des homos et des pervers du week-end, ceux qui aiment mater ceux qui baisent », explique Mika, le jeune dreadeux de 27 ans. Thierry explique les règles implicites de ce coin de bois :

    « Les filles sont du côté droit. On est du côté gauche. Elles ne travaillent pas le mercredi, le week-end et les jours fériés du fait des enfants. Les autres jours, elles surveillent plus ou moins nos camions. »

    Un échange de bons procédés. Ainsi, Thierry est déjà sorti une fois avec sa bombe lacrymo à 3h du mat’ pour faire peur aux mecs la nuit :

    « Mais c’est pas de la solidarité. C’est juste de l’altruisme au cas par cas. »

    Les habitants

    Ce soir, ça parle boulot à l’entrée du camion d’Eric. Comme ce dernier, Benoit, 35 ans, cheveux courts et veste polaire beige sur les épaules, est cordiste. La petite bande est en plein débat sur les avantages du BASF, une matière hydrofuge qu’ils sont en train de poser sur un chantier en hauteur, à la Villette. Benoît, originaire de Guignen (35) n’est là que la semaine :

    « Je rentre tous les week-ends. Vivre en camion me permet de ne pas avoir de problème pour trouver un hôtel. »

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    Ben' le cordiste. / Crédits : Yann Castanier

    Il est 80% du temps en déplacement. Ce n’est pas toujours facile avec un enfant en bas-âge :

    « L’année de sa naissance, j’ai arrêté de bosser pendant plusieurs mois pour m’en occuper. »

    A proximité des camions des travailleurs en déplacement, Mika, Hugues, Chloé et David ont élu domicile de manière plus permanente. L’ambiance est plus roots. Des cagettes pleines de pommes de terre et de légumes sont posées à même le sol. Un vélo est attaché à l’un des camions. D’un autre dépasse un entrelacs de ferraille. Chloé, 22 ans, cheveux longs et noirs, habite un imposant camion, gris à l’extérieur, coloré à l’intérieur :

    « Je bougeais beaucoup en covoiturage. J’ai décidé d’acheter un camion. »

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    Chloé & Mika. / Crédits : Yann Castanier

    La jeune fille, pantalon large et T-shirt aux motifs vaguement indiens, travaille en tant qu’éducatrice-spécialisée. Elle est arrivée ici par David. Cet ancien flic de 29 ans a décidé de changer complètement de vie. Après une rupture amoureuse, il part 7 mois en Australie. A son retour, il fait le tour de l’Europe en camion pendant 3 ans. Un rêve le titille : devenir comédien. Depuis septembre, il prend des cours du soir au cours Florent. La journée il bosse dans la sécu chez Uniqlo :

    « Je suis dans une école de gros bourgeois et je me tape des douches de clodo à Paris, mais je veux assumer financièrement. »

    Mika et Hugues ont eux un rythme plus cool, à base de pas mal de bières et de bédos. Mika avoue n’avoir travaillé que 4 mois l’année dernière et ne plus avoir tellement les moyens de se déplacer. Pourtant, il bougeait « beaucoup pour voir des potes. – La famille ? On dira de temps en temps ». Hugues sourit et parle peu.

    Tout au bout de la rue, près des prostituées, les plus vieux des routards ont posé leurs camping-cars. Thierry, 56 ans, vit depuis 3 ans à Vincennes. Le camion, ce n’est plus de son âge :

    « On ne peut pas se tenir debout. »

    Avant ça, il faisait les chantiers du sud-ouest, en camion aménagé. « Il y a un truc économique à la base », précise-t-il.

    « J’ai été comédien. Il y a eu une baisse de régime. J’ai vécu 20 ans en appartement avec femme et enfants, puis il y a eu une séparation. »

    L’occasion d’accomplir son vieux rêve de liberté. Aujourd’hui, il reste à Paris pour voir ses enfants et finir un docu vidéo. Quand il sort du cametar, il embarque sa caméra et son ordi, pour ne pas se les faire voler.

    A chacun son camion

    Il est 11h du matin. Les portes arrière du camion de Mika s’entrouvrent. L’intérieur est en bazar. Des croquettes traînent dans un coin. La gazinière est rustique et il se chauffe grâce des briques posées dessus. Deux têtes sortent. Avec Chloé, ils sont encore allongés dans le lit en hauteur. Ils se marrent un bon coup et prennent les premiers rayons de soleil de cette journée en pleine face. C’est l’heure du petit déjeuner. Éternel café-clope. Mika fait chauffer de l’eau et sert 3 grands mugs qu’il partage avec David sur le trottoir. Comme toujours, le chien veut jouer et les deux hommes finissent par essayer de le faire monter sur le toit du camion en y posant son jouet, sans succès.

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    Il est 11h du matin. Les portes arrière du camion de Mika s’entrouvrent. / Crédits : Yann Castanier

    David retourne dans son camion. Il entre, s’essuie les pieds sur un paillasson puis enlève les chaussures. Le camtar de l’ancien policier est nickel et tout confort : « J’aime bien quand c’est carré ». Il l’a aménagé cet été en 3 semaines avec son père, électricien, pour à peine 5.000 euros. C’est un petit C25 repensé. Du lino gris recouvre le sol. Un évier est encastré dans un plan de travail à côté des feux à gaz. La gazinière fait office de radiateur :

    « J’utilise une bonbonne tous les 3 mois. »

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    David, l'ancien policier « aime bien quand c’est carré ». / Crédits : Yann Castanier

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    100% connecté. / Crédits : Yann Castanier

    Une batterie alimente des spots lumineux encastrés dans le plafond. Il a même des toilettes sèches qui sortent d’un tiroir posé au sol.

    Les camions des travailleurs ambulants sont un peu plus spartiates. Ce sont des petits fourgons avec un matelas à l’intérieur et une plaque chauffante sur le côté.

    Le quotidien entre entraide et débrouille

    Mika est le doyen du petit groupe de roots. Il connaît les bons tuyaux et n’hésite pas à les partager avec ses potes de vadrouille. Si l’été, accéder à l’eau n’est pas un problème, l’hiver ça se complique :

    « Les mecs de la mairie de Paris ferment les fontaines pour que les tuyaux ne gèlent pas. »

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    Mika pose les bidons sur le skate et se fait tirer par le chien jusqu’au point d’eau. / Crédits : Yann Castanier

    Mika pose les bidons sur le skate et se fait tirer par le chien jusqu’au point d’eau des sportifs, à 800 mètres de là. Quand il a la flemme ou qu’il fait trop froid, il se débrouille pour arriver à faire fonctionner les fontaines fermées. C’est l’option choisie ce jeudi. David se faufile sous une plaque d’égout et bidouille la machinerie. Un geyser d’eau s’échappe du gros tuyau d’arrosage branché à la fontaine. La petite bande remplit ses bidons sous le regard amusé des employés de JC Decaux en pause dej’. Un salarié de la mairie de Paris en charge des jardins passe en voiture. Il ne dit rien. « Ils sont cools si on remet tout en place », commente Mika. David explique sa consommation en eau :

    « Je passe un bidon de 20 litres tous les 2 ou 3 jours. Ça dépend si je fais chauffer de l’eau dans le camion pour me laver ou si je vais aux bains douches porte de Charenton. »

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    David se faufile sous une plaque d’égout et bidouille la machinerie. / Crédits : Yann Castanier

    L’autre incontournable de la vie en cametar, c’est l’électricité. Shakara, ancien SDF de 56 ans, bonnet style afghan sur la tête et un gros manteau boit son café du matin sur un banc en face de son camping-car. Il y vit depuis 3 ans. Avant, il a été en pick-up pendant 15 ans. C’est comme ça qu’il s’est sorti de la rue. Pour l’électricité, il utilise une batterie à déchargement – « elles coûtent plus cher mais tiennent mieux » – et des panneaux solaires.

    « Chargé à bloc et avec l’apport des panneaux, tu tiens 10 jours en été. Moins l’hiver. »

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    Shakara, ancien SDF de 56 ans. / Crédits : Yann Castanier

    D’autres se branchent sur les poteaux. Un fil sort discrètement d’un des camions et passe ensuite sous terre. David explique :

    « Il faut débrancher avant que la police passe, à 5 heures du matin. Un des gars s’est fait choper récemment. »

    On le croise un peu plus tard au marché. Il doit passer en jugement dans quelques semaines pour avoir refusé le prélèvement ADN à l’occasion de son interpellation. « Il a été con », jugent David et Mika :

    « Les policiers sont plutôt conciliants tant qu’on ne fout pas le bordel. »

    Le groupe de potes fait la fin des marchés. Mika connait les horaires des marchés du sur le bout des doigts. « Le dis pas trop ça, on est déjà beaucoup à chaque fois ». Aujourd’hui, c’est les vacances et le glanage est maigre. La bouchère donne de la viande de bon cœur. Le maraîcher râle :

    « Vous avez pas fini de foutre le bordel dans les cagettes ! Jetez pas tout par terre. »

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    Mika connait les horaires où passer pour chacun des marchés du quartier. / Crédits : Yann Castanier

    Ils repartent avec quelques carottes et des abats pour les chiens. Shakara, lui, fait ses courses au Lidl :

    « C’est le meilleur rapport qualité – prix. Et surtout, il n’y a pas grand chose. Tu ne ressors pas avec 10 trucs auxquels tu n’avais pas pensé. »

    La vie, les emmerdes

    Tous revendiquent la liberté de ce mode de vie. Il y a bien quelques moments difficiles. « Un mec s’est fait casser son camion un jour. On n’a pas su pourquoi », rembobine Mika. Et puis « il faut passer le cap de l’hiver. C’est pas le moment le plus facile. », reconnait David. Puis vient l’été :

    « L’ambiance est bonne, on fait des barbecues ! »

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    Le chien aussi habite en camion. / Crédits : Yann Castanier

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