Quelle était la situation des chrétiens syriaques à Bagdad avant la prise d’otage ?
René Guitton: Ce sont des gens qui depuis plusieurs années – surtout depuis la chute de Saddam Hussein – soit vivent beaucoup de misères, soit sont persécutés réellement. Avant ils étaient protégés personnellement par Saddam Hussein qui donnait de l’argent pour construire des églises ou qui offrait des voitures aux autorités religieuses chrétiennes. Tarek Aziz (ancien Vice-Premier ministre du régime de Saddam Hussein, ndlr) était chrétien. Dans leur esprit c’était un moyen d’avoir un meilleur dialogue avec l’Occident, majoritairement chrétien à leurs yeux. (…)
Mais il ne faut pas se cristalliser sur les syriaques. Les peuples qui ne sont pas chrétiens, notamment en Orient ou en Extrême-Orient, ne font pas de différence entre protestants, catholiques, orthodoxes, chaldéens , nestoriens , syriaques et toutes les composantes de la communauté chrétienne. Pour eux, ce sont des chrétiens. Et comme il n’y a plus de juifs dans ces pays, les chrétiens représentent l’autre, celui qui n’est pas comme soi-même.
Savez-vous combien de chrétiens il y a en Irak ?
R.G.: Vous savez, ça c’est pire que dans nos manifestations, selon la police ou les organisateurs. On peut estimer qu’aujourd’hui ils doivent être autour de 500.000 ou 600.000. Ils étaient beaucoup plus, près de 800 000 ou 1 million mais ils fuient de plus en plus.
Les revendications contre l’Egypte des preneurs d’otage étaient-elles un prétexte pour s’en prendre aux chrétiens d’Irak ?
R.G.: Oui. Les revendications sont très fantaisistes comme la libération de ces femmes soit disant orthodoxes coptes qui ont été enfermées par leur mari parce qu’elles voulaient devenir musulmanes. Je ne dis pas que c’est juste, je ne dis pas que c’est faux, je ne sais pas. Mais ce n’est pas pour ça qu’on fait une prise d’otage, un massacre de ce type. Il y a une recrudescence des actes anti-chrétiens, bien sûr depuis la guerre d’Irak en 2003, mais aussi depuis d’autres événements comme quand le pasteur Terry Jones aux États-Unis voulait brûler le Coran . Très récemment, le synode des églises d’Orient était organisé du 10 au 24 octobre. Ce synode avait pour objet d’unir les chrétiens d’Orient pour s’opposer aux martyres, aux misères, aux persécutions dont ils sont victimes. Et ça c’est vécu comme une agression pour les islamistes.
Éditeur (directeur de collection aux Éditions Calmann-Lévy) et auteur, René Guitton étudie à travers ses voyages, les grands courants religieux monothéistes, la philosophie et les systèmes de pensée. Il œuvre pour un dialogue philosophique, spirituel et religieux entre les Hommes et est passionné par l’histoire de l’Église en terre d’Islam. Il est reconnu pour ses travaux sur la figure d’Abraham, unificatrice des juifs, des chrétiens et des musulmans.
René Guitton est aussi membre du réseau mondial d’experts de l’Alliance des Civilisations des Nations Unies. Il est membre du conseil d’administration de Abraham Path Initiative sponsorisé par The Global Negociation Project At Harvard Law School. En 2009, il a publié Ces Chrétiens qu’on assassine, aux Éditions Flammarion.
« Je pense que l’Occident est de plus en plus sensibilisé aux misères contre les chrétiens »
Comment interprétez-vous les multiples réactions en Occident, alors que d’autres crimes n’ont pas eu autant d’écho par le passé ?
R.G.: Je pense que l’Occident est de plus en plus sensibilisé aux misères contre les chrétiens. Je l’ai vu avec le livre que j’ai publié en mars 2009 intitulé Ces chrétiens qu’on assassine . L’accueil de la presse a été énorme. Et pas seulement en France mais en Italie, en Amérique du Nord, en Roumanie, etc. Je m’attendais à ce qu’il n’y ait pas un seul papier. Parce qu’en France, cette laïcité mal comprise confine au silence des chrétiens (…) Ça explique en partie le succès du film Des hommes et des dieux: on est chrétien, on se lâche, on peut parler enfin. Donc là, avec cette violence qui a été très spectaculaire, on s’est réveillé tout d’un coup. C’est en train de se retourner: les chrétiens en Occident commencent à ne pas avoir honte d’être chrétiens.
Cette attaque s’inscrit-elle dans la stratégie globale d’Al Qaeda d’opposer chrétienté et islam à échelle internationale ?
R.G.: On en a de plus en plus le sentiment. Pour les gens d’Al Qaeda ou les islamistes, il y a un amalgame qui est fait entre Occident et Chrétiens. Les anciens d’Occident qui avaient fait une croisade contre l’Orient il y a mille ans ou un peu moins, sont les mêmes chrétiens qui ont fait une croisade à partir de 2003 en Irak,. Les chrétiens de leur propre pays sont forcément des traîtres et sont forcément les alliés de ces chrétiens d’Occident, qui sont des croisés. C’est schématique, mais malheureusement, c’est ça.
Eric Besson ne fait-il pas le jeu de cette stratégie en proposant d’accueillir 150 chrétiens d’Irak ?
R.G.: Quand on donne des visas aux Irakiens pour venir en France, les autorités religieuses d’Irak disent: « aidez-nous, mais à rester, pas à partir » ! Sinon vous faites en effet le jeu des islamistes, et pas seulement en Irak, aussi en Égypte, en Palestine, à Gaza, dans tout le Moyen-Orient. Par exemple en Turquie, il y a un siècle, il y avait 20% de la population qui était chrétienne. Aujourd’hui, seulement 2%. Il y a 1,5 million de coptes orthodoxes et catholiques qui ont quitté l’Égypte dans les 10 dernières années pour se réfugier aux États-Unis, au Canada, parce qu’une grosse diaspora est installée là-bas. Il y a une sorte de phénomène d’aspiration. (…)
On a reproché à Bernard Kouchner de n’avoir donné que 500 visas (en 2008, ndlr) quand il y eu d’autres événements contre les chrétiens d’Irak, alors que l’Allemagne en avait donné 2000, et l’Italie environ 1000. Mais Kouchner connaît bien la situation là-bas: si on leur donne trop de visas, sans l’arrière pensée « oh la la, qu’ils restent chez eux », on fait le jeu des islamistes. Tous les responsables religieux dans tout le Moyen-Orient vous disent « arrêtez de donner des visas, aidez-nous autrement ».
L’attaque s’inscrit donc bien dans la stratégie internationale d’Al Qaeda ?
R.G.: La cible de l’attaque est la cathédrale la plus emblématique de Bagdad. Les terroristes ne se sont pas attaqués à un dispensaire caché dans un coin. C’est une cathédrale, située dans un quartier huppé, donc ils savaient en faisant cela qu’ils ne choisissaient pas n’importe quel lieu au hasard. C’était très visible. Pour eux c’est formidable parce que même s’ils meurent dans la bataille, ils vont au paradis, et assurent des retombées internationales à leurs actes. Ce n’est donc pas un événement local. Pour eux, viser les chrétiens atteint forcément l’Occident … parce que l’Occident est chrétien à leurs yeux.
Les chrétiens en Irak
Les chrétiens de Bagdad sont en proie à des actes de violence. Avec 46 fidèles tués, la prise d’otage par un groupe de la mouvance Al Qaeda dans l’église Notre-Dame du Perpétuel secours, le 31 octobre 2010, en est la plus sanglante illustration. Les chrétiens de la capitale irakienne sont également sujets à nombre de désagréments quotidiens comme des difficultés administratives ou des réglementations particulièrement tatillonnes sur la pratique religieuse et les lieux de culte.
En Irak – où a vécu Abraham, figure en qui se reconnaissent juifs, musulmans et chrétiens – le nombre de chrétiens a diminué d’environ un tiers depuis la chute du régime de Saddam Hussein, en 2003, pour atteindre aujourd’hui 600.000. Si beaucoup de chrétiens de Bagdad se réfugient au Canada, aux États-Unis ou en Europe, certains d’entre eux regagnent leurs familles restées dans le nord du pays. En effet, les chrétiens d’Irak sont majoritairement originaires des régions entourant les villes de Mossoul et de Kirkouk, situées au nord de l’Irak. Leur exode vers ces provinces ainsi que vers le Kurdistan risque d’accentuer le phénomène de segmentation du pays en enclaves ethnico-religieuses.
« Pour les gens d’Al Qaeda ou les islamistes, il y a un amalgame qui est fait entre Occident et Chrétiens »
Source: Elsa Kissel | StreetPress
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