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    03/12/2010

    150 femmes dont 2 en jupe, un service d'ordre 100% féminin, mecs s'abstenir … Reportage minute par minute

    A la marche féministe et non-mixte du collectif Rage de Nuit

    Par Elsa Kissel

    2 jours après la Journée contre les violences faites aux femmes, l'asso Rage de Nuit organisait une marche féministe et non-mixte. Les journalistes mâles se sont fait botter les fesses: StreetPress a envoyé 2 filles pour vous raconter de l'intérieur

    16h30 : Arrivée rue de Chine, dans le 20e. Face à l’entrée de l’hôpital Tenon, où le collectif Rage de Nuit a prévu le départ de sa marche de nuit non-mixte (comprendre: présence masculine non tolérée), pas l’ombre d’une féministe. Pourtant, des revendications à moins d’un kilomètre à la ronde, il y en a. Rue de Chine précisément, puisque les oncologues et radiothérapeutes de l’hôpital Tenon accueillent les visiteurs avec une banderole mal fixée : « En grève. Non à la diminution des effectifs. Pas de fermeture de lits ». Mais d’ici peu, ce sont des banderoles d’un tout autre genre qui seront suspendues par les organisatrices de la Marche de Nuit.

    16h44 : Les premières filles commencent finalement à arriver. « C’est une manif de warrior » lâche l’une d’elles, en référence au froid qui engourdit les membres. Une Renault Clio bleue augmentée d’un mégaphone et d’un ampli dans le coffre, se gare. Au rythme de « Ain’t got no – I’ve got Life » de Nina Simone, commence l’affichage de banderoles sur lesquelles ont peut lire entre autres: « Filles, Femmes, Lesbiennes, Féministes en lutte ». Pendant que la marche s’organise, Anita, qui participe à l’organisation du cortège, explique la raison d’être de cette Marche de Nuit.

    Marche de Nuit, le debrief

    Le collectif « Rage de Nuit » organise des Marches de Nuit. La dernière a eu lieu en juin 2008. Des actions de collage d’affiches porteuses de revendications contre le patriarcat sont également organisées. Les participantes sont essentiellement des jeunes (25-35 ans), mais on rencontre aussi des femmes plus âgées. Sur un maximum de 200 participantes, 2 étaient en jupe. La marche dure 4h, de la rue de Chine, dans le 20e, à l’Hôtel de Ville. Ambiance plutôt sympa, mais mieux vaut ne pas être un homme et ne pas trop sortir d’appareils photos.

    Ce samedi 4 décembre, elles organisent une réunion de discussions autour de la marche, suivie d’une soirée de soutien (financier) à l’organisation.

    Lutter contre le patriarcat

    « Rage de Nuit, ce n’est pas une association, c’est un collectif, mais qui fonctionne comme une assemblée ouverte » explique Anita qui insiste sur le côté très informel et ouvert de Rage de Nuit. Le collectif a été formé presque uniquement pour l’organisation de marches. La précédente avait eu lieu en juin 2008. Rage de Nuit réalise également des opérations collage. Il s’agit de placarder sur des sites-clés des affiches dénonçant le patriarcat qui est imposé à tous, femmes comme hommes. Pour Anita, cette marche est « non-mixte pour lutter contre le patriarcat, pour apprendre, partager et construire ensemble ».

    Le but est aussi « de sortir sans les mecs » pour lutter contre l’idée qu’une femme qui marche seule la nuit est un cœur (ou un morceau de viande) disponible. Le collectif dénonce en effet dans son manifeste les violences, verbales et physiques, dont peuvent être victimes des femmes se baladant sans être accompagnées d’un représentant de la gent masculine, particulièrement une fois la nuit tombée. Toutes ces raisons et revendications justifient pour Rage de Nuit la non-mixité de la marche de ce samedi soir. Les paroles de Nina Simone « I’vo got my own life anyway, no body can take away » résument bien le besoin d’autonomie ambiant.

    « Il faut rappeler les choses, montrer que l’on ne veut pas que les hommes viennent nous casser les pieds »

    Le cliché de la féministe castratrice

    17h00 : Début du micro-trottoir. Mais qu’est-ce qu’être féministe pour les femmes et jeunes femmes participant à la Marche de Nuit ? Chacune le définit selon son vécu, ses études, son expérience professionnelle. Parmi les femmes présentes, des 25-35 ans mais pas uniquement, il y a en effet tant des chercheuses que des sans-emploi ou des cadres. Mais toutes sont convaincues que le combat pour l’égalité de traitement est loin d’être fini. Une femme, la petite cinquantaine a entendu parler de la manif sur le blog d’une amie féministe: Elisabeth Lebovici . Elle martèle qu‘« il faut en finir avec les clichés de la féministe frustrée, castratrice ». « Dans les années 1970, c’était nécessaire d’être aussi radicale, aujourd’hui ce n’est plus le cas mais il faut rappeler les choses, montrer que l’on ne veut pas que les hommes viennent nous casser les pieds », conclut-elle.

    Son amie est venue car « aujourd’hui encore nous sommes enfermés dans le schéma du mâle qui perçoit la femme comme un objet », et de citer pour étayer son propos l’exemple de sa fille âgée de 8 ans, victime de gestes obscènes de la part d’un camarade d’école: « il mime des gestes obscènes à ma fille. Si ça se trouve, il ne sait même pas vraiment à quoi correspondent ces gestes mais en tout cas, il sait que c’est censé faire réagir la fille à qui on s’adresse ». Elle termine par les jeunes garçons élevés avec la pornographie et qui croient que «la sexualité, c’est que ça».

    La Féministe? C’est « quelqu’un qui lutte pour les femmes en tant que classe et pour la disparition de cette classe »

    « Je me prends des insultes liées à mon sexe »

    Anita définit les féministes selon une formule qu’elle a retenue de sa lecture de Monique Wittig dans « La Pensée Straight » : c’est « quelqu’un qui lutte pour les femmes en tant que classe et pour la disparition de cette classe » (selon Monique Wittig (1935-2003), théoricienne féministe, il s’agirait de reconnaître le cliché d’une catégorie « femme » créée par et pour la domination hétérosexuelle-masculine, et de le dénoncer en refusant d’être enfermées dans cette classe « femmes », ndlr). « Le féminisme est un des derniers combats révolutionnaires » pour Anita. « Gira over », dont la mère a avorté clandestinement dans la cuisine d’un médecin du XVIe à l’époque où cet acte était illégal, affirme que: « le féminisme, c’est un humanisme, un engagement que devraient avoir toutes les femmes ».

    Brigitte, la quarantaine, cadre à La Poste, est venue seule. Son expérience à La Poste lui fait dire que les revendications féministes sont aujourd’hui encore fondées. Elle explique en effet que quand un client homme demande à parler à un responsable et qu’elle arrive, il est circonspect, et n’hésite pas à être odieux. « Je me prends des insultes liées à mon sexe », témoigne-t-elle. Plus directement dans la ligne de Rage de Nuit, Chléo, qui porte la banderole de tête expliquera que pour elle, être féministe c’est « rester vigilante au quotidien ».

    « La jupe, c’est de la merde ! »

    « Faut pas parler des poufiasses en jupe »

    17h30. Jupe, voile: pour ou contre ? A l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, l’association « Ni putes, ni soumises » avait déclaré ce jeudi 25 novembre « journée de la jupe ». Les participantes de la Marche de Nuit sont sceptiques, voire carrément remontées. « Faut pas parler des poufiasses en jupe, c’est de la peoplisation ! », s’exclame « Gira over », qui renchérit : « la jupe, c’est de la merde ». Elle explique qu’elle est révoltée que « Ni putes, ni soumises » ait éclipsé les actions et débats de fond, comme les 6e Rencontres des Femmes du monde en Seine-Saint-Denis (dédiées cette année à une meilleure protection des femmes victimes de violences) ou l’importance de la loi du 9 juillet 2010 pour la protection des femmes victimes de violences.

    A la question « pour ou contre la jupe », Chléo fait preuve de tolérance: « je suis pour que chacun porte ce qu’il veut ». « Ce que j’aime, c’est leur position sur le voile ! » lance une manifestante. Une femme proche du groupe « Les Tumultueuses » explique d’ailleurs que sa présence est motivée par le fait qu’ « il n’y a pas d’ambiguïté vis à vis des filles voilées », à l’inverse d’autres groupes féministes. « La fille voilée, mais aussi celle qui ne veut pas du voile, a toute sa place dans cette Marche de Nuit » conclut-elle.


    « Pendant la marche, quand vous entendez le leitmotiv ‘la place pour nous’, vous vous arrêtez, et vous écartez les intrus ».

    « La fille voilée, mais aussi celle qui ne veut pas du voile, a toute sa place dans cette Marche de Nuit »

    17h37 : Alors que retentit « Chick Habit » d’April March, un regard masculin extérieur se pose sur l’important groupe 100% féminin amassé en face de l’hôpital Tenon. L’incompréhension semble régner. Trois mecs, la vingtaine, s’approchent: « c’est quoi ? C’est des gouines, des lesbiennes, des poufs quoi ! ». Ils s’éloignent en se ricanant. Trop en retrait pour qu’une des manifestantes les entende, ils ne sont sûrement pas passés loin de l’altercation.

    17h43 : Lecture du manifeste de Rage de Nuit. Une des organisatrice, haut-parleur à la main, fédère les troupes. « La rue est un espace où on est disponible sexuellement », s’indigne-t-elle. Elle conclut en expliquant: « pendant la marche, quand vous entendez le leitmotiv ‘la place pour nous’, vous vous arrêtez, et vous écartez les intrus (comprendre: les hommes, ndlr) ».

    Un photographe « Je suis venu prendre des photos d’une manif féministe »… « Il y a des flics hommes, vous allez les virer? »

    Les hommes dégagés du cortège

    18h00 : Le cortège se met en branle. Les corps paralysés par le froid vont pouvoir se réchauffer. La Clio et son ampli sont en tête, devancés par une voiture de police qui ouvre la route. Suivent une banderole, des écriteaux et bien sûr, les manifestantes. La confrontation avec les journalistes mâles venus couvrir l’événement et avec les passants va révéler l’incompréhension quant à la non-mixité de la Marche de Nuit. La présence d’hommes n’est pas souhaitée – interdite pour le dire franchement. Un homme venu faire son travail (il est journaliste pour une agence de presse) est tout simplement éjecté de la manifestation. S’en suit une discussion polie mais ferme entre le recalé et une jeune femme du groupe. Le journaliste argumente: « Je suis venu prendre des photos d’une manif féministe ». La raison de sa présence est secondaire, le nœud du problème se trouve ailleurs : c’est un homme. « Il y a des flics hommes, vous allez les virer? », interroge-t-il d’un ton rageur. « On ne veut pas d’hommes ! Si la manif est non-mixte, c’est pas pour avoir un cordon de mec autour », rétorque la fille, fluette, du service d’ordre. Ambiance. « Si on a décidé d’être non-mixte c’est aussi pour se définir en tant que femmes, sans hommes autour », renchérit-elle. Tandis qu’une passante se prononce en faveur de cette manifestation car elle estime qu’il y a encore du chemin à parcourir vers l’égalité, elle ne comprend pas le pourquoi de la non-mixité.

    « Debout femmes esclaves »

    Un peu plus loin, un passant s’exclame: « c’est comme si parce que je suis pas homo, je pouvais pas participer à la Gay Pride ! Ça n’a pas de sens ». Pour justifier cette non mixité, des manifestantes avanceront qu’elles veulent « montrer que l’on peut se battre nous même » et que «quand les hommes sont là, on ne peut pas parler à cœur ouvert ». Un tract distribué pendant la manifestation se veut plus précis : le soir les femmes sont des victimes, des proies faciles, le fait de manifester de nuit, sans hommes, met la lumière sur ce constat.

    Le cortège va marcher jusqu’à Hôtel de ville, où l’arrivée est prévue pour 22h. Résonnent des chansons comme « Maneater » de Nelly Furtado, « Think » d’Aretha Franklin, ou encore l’hymne du MLF (Mouvement de libération des femmes) dont le refrain donne le ton : «Debout femmes esclaves, Et brisons nos entraves, Debout, debout, debout ».

    Sur le chemin, des militantes, armées de pochoirs et de bombes de peinture, sont chargées de tagger sur les murs et les trottoirs les slogans récités pendant la manif : « de l’air, de l’air, féministes solidaires, ouvrez les frontières ! », pour soutenir les femmes sans-papiers. « Ne me libère pas, je m’en charge ! » reflète la lutte contre le patriarcat. « Comment séduire un homme, on s’en fout ! », pour dénoncer les codes de conduites attribués à chacun des sexes, en l’occurrence au sexe féminin. Ou encore: « les filles sages vont au paradis, les autres vont là ou elles veulent ».

    « Debout femmes esclaves, Et brisons nos entraves, Debout, debout, debout »

    « Si on a décidé d’être non-mixte c’est aussi pour se définir en tant que femmes, sans hommes autour »

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