« En passant devant leur kop, je vois qu’il y a une quinzaine de gars en train de nous suivre. Qu’ils commencent à mettre des cache-cou, des gants… Là je capte que c’est pour nous. » Romain (1) n’imaginait pas qu’il ne verrait jamais la deuxième mi-temps du match entre le FC Villefranche Beaujolais (FCVB) et Nîmes, le 27 septembre dernier. Il tilte une première fois lorsqu’il remarque de nombreux stickers « Columna » ou « Zone nationaliste » dans la tribune. Puis, en passant devant le groupe d’ultras, « vingt mecs [le] reconnaissent et [le] pointent du doigt ». « À partir de ce moment-là, j’ai compris que ça n’allait pas en rester là », se remémore-t-il. Lorsqu’il traverse une seconde fois devant les gradins avec ses deux amis, il voit les nervis descendre vers lui. Le premier l’attrape par le bras et demande : « Toi t’es un gauche ? » Romain lui répond que oui. Conséquence : « Il déclenche direct. »
L’échauffourée dure une dizaine de secondes avant que la sécurité n’intervienne. Plus de peur que de mal pour Romain et ses amis qui en sortent indemnes. « Quand ils sont arrivés à quinze, on en a reconnu entre huit et dix qui sont des membres de Columna. Villefranche-sur-Saône (69), c’est petit. Il y en a qu’on connaît, avec qui on était au collège… Je ne m’attendais pas à ce que ça soit aussi assumé », explique-t-il. Il poursuit :
« Au début, quand Columna se monte, ça ne fait pas très peur. C’était surtout des jeunes qui se retrouvaient pour manger du saucisson. Mais très vite, ça a grossi, et le stade leur a permis de s’étoffer. »
Un bébé Lyon populaire
Columna apparaît en janvier 2024. Les services municipaux font alors état de « cinq ou six individus ». Le groupe est créé par des membres d’un autre groupuscule néofasciste, Lyon populaire, dont certains vivent dans le Beaujolais. Ils ont été aperçus au stade parmi le nouveau groupe de supporters du FCVB, les Ca’lads. Contactés, ces derniers contestent. « Nous ne connaissons pas ce groupuscule […] Nous refusons toute tentative de récupération ou d’infiltration politique dans nos tribunes », écrivent-ils. Ils nient également « toute implication dans l’agression » de Romain et promettent : « Aucun de nos adhérents n’a pris part à ce terrible incident. » À son tour interrogé sur sa participation à l’attaque, Columna assure « ne pas voir le lien qu’il y aurait avec nous, étant donné que nous n’avons aucun lien avec le FCVB ».
Le kop des Ca’lads a été fondé il y a un peu plus d’un an, à peu près à la même période que Columna, par des supporters ultras des Bad gones et de Lyon 1950. Dans un arrêté début février 2025, la préfecture confirme « la présence d’ultras lyonnais dans la tribune des supporters locaux […], qui peuvent saisir la moindre opportunité pour marquer et défendre leur territoire de manière belliqueuse ». En 2024, deux débordements ont éclaté contre Dijon en décembre et Sochaux en mars, sans que cela ne se traduise par des sanctions du club. Un connaisseur des tribunes pointe : « Des types qui ne débarquent d’on ne sait où en un an et qui ne chargent que des groupes qu’ils peuvent considérer “de gauche”… Ça ressemble à une couverture pour des Lyonnais qui veulent se faire plaisir. »
« Pour Columna et Lyon populaire, c’est plus facile de venir s’implanter politiquement dans un petit club », analyse de son côté Alexandre Bonnet, journaliste spécialisé sur l’extrême droite locale et le foot politique :
« C’est le début des ultras et la direction du club n’est pas très regardante sur la qualité de son groupe de supporters. »
À une quarantaine de minutes au nord de Lyon, la région est un territoire prisé de l’extrême droite. Éric Zemmour et Marion Maréchal y sont fréquemment venus lors des dernières campagnes. « Le Beaujolais est très ancré à droite, plutôt LR mais avec un racisme décomplexé », poursuit Alexandre Bonnet. « Ça va exactement avec la stratégie d’implantation locale de Lyon populaire. Et le foot est un super vecteur. » Jusqu’à la fin des années 1990, le président du FCVB était d’ailleurs la figure locale du Front national. « À Villefranche-sur-Saône, je pense que c’est compliqué de s’imbriquer si tu ne rentres pas dans les trucs traditionnels caladois, comme le foot. C’est un milieu très fermé et c’est très difficile de recruter autrement. »
Le manager accusé d’être membre du groupe
Interrogé sur la présence de néofascistes dans ses gradins, le manager général du club répond : « Chaque français est libre d’avoir ses idées. On n’empêchera pas des gens d’entrer dans notre stade pour une appartenance politique. » Il trace tout de même une ligne rouge : « On ne veut voir aucun signe politique. » Arrivé au FCVB en 2011, manager général depuis 2019, Gaëtan Mazzola est aussi un bon connaisseur des tribunes des stades. L’homme est un ancien Bad gones, le groupe d’ultras de l’OL, à qui il est arrivé d’accueillir des supporters d’extrême droite au virage nord.
Preuve du climat de tension autour du club provoqué par la situation, Gaëtan Mazzola a déclaré à StreetPress avoir porté plainte pour diffamation contre un collectif antifasciste local qui l’accusait d’être proche des néofascistes. En cause, une photo de Columna sur laquelle un des membres, au visage flouté, pose avec une veste C.P. Company kaki – marque prisée dans les milieux d’extrême droite ou antifasciste, des ultras ou du rap, qui coûtent des centaines d’euros. La même liquette que celle du manager général. « Je n’ai rien à voir avec ces gens-là », nie le responsable du club qui se défend abruptement :
« Je suis marié avec une femme d’origine marocaine. »
À la suite d’une simple question envoyée par StreetPress sur la fin de son supportérisme aux Bad gones, le manager général s’énerve par écrit : « Est-ce que je dois me rabaisser à vous envoyer des éléments pour prouver que je ne fais pas partie de l’extrême droite également ? Je vous propose d’interroger ma femme d’origine marocaine, mon témoin de mariage turc ou tous les licenciés du club d’origine étrangère. » Gaëtan Mazzola a annoncé qu’il déposerait plainte « contre toute personne ou toute entité qui associera publiquement [son] nom à ce groupuscule [qu’il] ne connaissait pas avant la publication de ce post et qui est à l’opposé de [ses] valeurs personnelles ».
Insulte raciste et intimidation
Le club a pourtant connu quelques remous peu en accord avec ces positions. Le 6 décembre, la réception de Dijon tourne court : un homme dans le kop des ultras, qui tenait un drapeau français, a proféré une insulte raciste envers un défenseur adverse. Les faits sont racontés dans le Progrès. Un mois plus tard, lors du match contre Bourg-Péronnas, les Ca’lads déploient une banderole visant le journaliste sportif, présent dans les gradins : « Le Progrès : ramassis de conneries ! Clément : torche-toi avec ! » Les ultras nient que l’auteur de la saillie raciste soit un de leur membre. En revanche, ils assument l’intimidation du journaliste : « Suite à l’article diffamatoire, nous avons tenu à lui apporter une réponse publique. »
Le club, de son côté, ne s’est pas excusé immédiatement après les faits, seulement après que le Progrès a annoncé porter plainte pour injures publiques. Aucune condamnation n’a été émise de la part du FCVB, ni pour l’injure raciste, ni pour l’intimidation du journaliste. « On a eu un dialogue avec eux. Mais on n’a pas pris de sanctions sur cette banderole », confirme Gaëtan Mazzola. Selon nos informations, la Fédération française de football a été moins conciliante : elle a infligé une amende de 2.400 euros au FCVB après le « comportement de ses supporters » ce soir-là. Les responsables des Ca’lads ont également été convoqués par la mairie avec le président du club le 17 janvier, pour leur faire savoir que la ville ne tolérerait pas de nouveaux débordements ou d’insultes racistes au stade.
(1) Le prénom a été modifié.
Illustration de Une de Caroline Varon.
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