Dans la nuit tiède de ce jeudi 20 juin à Meyzieu, commune de la banlieue Est de Lyon, une poignée de militants identitaires collent des affiches du Rassemblement national (RN). « Le pays va plonger dans une guerre raciale, la victoire du RN, c’est le seul moyen pour la France d’aller mieux », explique l’un d’eux à Nassim (1), un jeune du quartier qu’ils croisent. À StreetPress, ce dernier décrit l’équipe de gros bras équipée de « sortes de bâtons de ski », en plus des habituels sceaux de colle et balais-brosses. À l’écart, sous un lampadaire, une femme âgée d’une trentaine d’année semble « mal à l’aise ». Elle se tient « éloignée du débat » et des téléphones portables des jeunes du quartier qui filment les colleurs. Rapidement, elle enjoint ses camarades à « se retirer ». Nassim en est persuadé, il s’agit de la candidate du RN, dont le visage est placardé sur les affiches de campagne que les identitaires s’apprêtent à coller : Tiffany Joncour.
Si ce soir-là la future députée aurait souhaité rester discrète, c’est que le CV de ses soutiens ne colle pas vraiment avec la stratégie de dédiabolisation portée par la présidente du RN Marine Le Pen. Parmi les colleurs, se trouvait par exemple Victor Guy, le porte-parole du groupuscule identitaire les Remparts, qui sera dissout moins d’une semaine plus tard pour, entre autres, « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l’origine, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de l’appartenance à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion ». Si Tiffany Joncour est si bien insérée dans le milieu identitaire lyonnais, c’est notamment parce que son mari est un cadre de la mouvance.
L'époux de Tiffany Joncour, Maxime Gaucher, est un cadre de la mouvance identitaire lyonnaise. / Crédits : DR
Députée-mère
Pour ces législatives anticipées, Tiffany Joncour a été investie dans une circonscription de l’est de Lyon plutôt aisée et habituée à voter à droite. « C’était la circo à gagner pour le RN dans le Rhône », analyse un journaliste lyonnais qui a suivi la campagne. « Ils ont mis les moyens pour l’obtenir, alors qu’ils n’ont pas beaucoup de militants dans ces villes. D’ailleurs, ils ont surtout fait campagne dans les villes riches, qui bénéficient de leur proximité avec l’aéroport. On les a peu vus dans le reste de la circonscription. »
Aux dernières législatives, la députée a mis en avant son statut de mère de famille nombreuse. / Crédits : DR
La future députée a mis en avant son statut de mère de famille nombreuse. « C’était vraiment son argument prioritaire, ses trois enfants », se souvient Martin (1), un journaliste politique lyonnais qui a couvert la campagne. « Je n’avais pas percuté qu’elle ne parlait jamais de son mari. En rétrospective, je comprends mieux pourquoi elle préférait le laisser dans l’ombre. » Fin octobre, nos confrères de Mediacités Lyon ont en effet confirmé une rumeur persistante : depuis 2015, la néodéputée RN partage sa vie avec Maxime Gaucher, aussi connu sous le pseudonyme de « Merc », un candidat Front national aux cantonales en Haute-Loire en 2009, mais aussi et surtout militant identitaire lyonnais et hooligan de l’Olympique lyonnais. L’homme a été condamné à plusieurs reprises pour des faits de violence. Entre 2008 et 2016, il a été impliqué dans une dizaine d’affaires, alternant entre violences en réunion, menaces de mort, destructions de biens publics ou d’autrui, ou encore violences sur personne dépositaire de l’autorité publique.
Un mariage gâché
Le 5 septembre 2015, les deux époux convolent en justes noces. Mais des supporters de l’AS Saint-Etienne, que le futur mari de Tiffany Joncour s’est mis à dos, décident de saboter l’événement. Ils veulent frapper fort. Vêtus de combinaisons, gantés, masqués et armés de barres de fer, une douzaine d’ultras des Magic Fans débarquent dans le château d’une petite commune du Rhône. Les tables sont renversées, les bouteilles et les miroirs explosés, les convives allongés de force. Le commando saccage tout. L’opération dure moins de dix minutes, et lorsque l’utilitaire des Magic Fans repart à toute berzingue, laissant derrière lui un fumigène vert en guise de signature, la noce est pétrifiée de terreur mais aussi d’incompréhension. La salle a été louée par un couple qui n’est ni lyonnais, ni stéphanois, mais dont le marié a eu la malchance d’être un homonyme de Maxime Gaucher et de se marier le même jour. L’intéressé est bel est bien en train d’épouser Tiffany Joncour, mais à quelques kilomètres de là, dans l’Ain.
Si Maxime Gaucher déchaîne autant les passions des supporters de l’ASSE, c’est qu’il est plus qu’un simple ultra du club rival. Les Magic Fans lui ont même donné un surnom, « le traître ». En 2010, le Lyonnais a trahi les Magic Fans, dont il était membre, pour rejoindre l’ennemi ultime de tout supporter stéphanois, les ultras de Lyon 1950 et la Mezza, groupe hooligans d’extrême droite qui y est lié. Trois ans plus tard, sa nouvelle équipe a réussi à dérober une bâche appartenant aux Magic Fans, qui sont persuadés que ce sont les indications de Maxime Gaucher qui ont permis ce rapt.
Maxime Gaucher a été un membre éminent du groupe hooligan néonazi Mezza Lyon, connu pour son implication dans les chants et saluts nazis lors du match OM-OL le 29 octobre 2023. / Crédits : DR
Au procès qui a suivi l’attaque du mariage, le leader du groupe – condamné à trois ans de prison, dont six mois avec sursis – l’affirme : c’est Maxime Gaucher « qui a fait en sorte d’attiser la haine, qui a politisé le groupe lyonnais avec ses idées d’extrême droite ». Une affirmation peut-être légèrement excessive : le virage sud, où sont installés les ultras de Lyon 1950, a toujours hébergé quelques militants aux idées d’extrême droite. Mais le militantisme de Maxime Gaucher était connu dans les tribunes, et certains affirment même que son départ des Magic Fans était en réalité une exclusion due à « son prosélytisme politique au stade ».
Lors de l'enquête pour OM-OL, les policiers se penchent sur le profil du mari de Tiffany Joncour, au regard de son pedigree et de son passif au sein de la Mezza. Il n'a finalement pas été concerné par l'affaire. / Crédits : DR
À la Mezza, le groupe hooligan néonazi lyonnais, il est comme un poisson dans l’eau. Il multiplie les actions avec ses copains adeptes du bras tendu. Début 2012, ils attaquent un local et des véhicules de supporters stéphanois. Aux côtés de Maxime Gaucher ce jour-là, Pierre Robesson, aka Robloch’, le secrétaire à l’époque de la Traboule, le bar identitaire de la ville. Au cours de cette balade, la bande dessine une croix gammée sur un bâtiment voisin et se photographie effectuant des saluts nazis.
En 2012, des hooligans lyonnais, dont Maxime Gaucher, volent du matériel appartenant aux Magic Fans, l'ancien groupe d'ultra du mari de Tiffany Joncour. En plus du larcin, un tag de croix gammée aurait été retrouvé. Une photo après le « casse », retrouvée par StreetPress, montre la petite équipée. Au moins quatre Mezza y font un salut nazi. Les saluts nazis ont été masqués partiellement par le groupe pour échapper à la modération sur les réseaux sociaux. / Crédits : DR
Les copains identitaires
En plus de son parcours en tribune, l’époux de Tiffany Joncour est un militant violent et un cadre identitaire. Connu dans la mouvance sous le pseudonyme de « Merc », c’est l’un des piliers de Rebeyne, la section lyonnaise de Génération identitaire (GI). En 2012, il accompagne Damien Rieu et une poignée d’autres militants pour occuper la mosquée de Poitiers (86). La fine équipe grimpe sur le toit et déploie une bannière sur laquelle il est écrit : « Souviens-toi de Charles Martel. » Une référence à celui qui, selon le roman national, aurait bouté les armées omeyyades hors de France en 732. Très impliqué au sein de GI, Maxime Gaucher faisait même partie du « Clan », le noyau dur de l’organisation identitaire, et représentait Rebeyne lors du séminaire national de l’organisation à Orange (84) quelques mois auparavant.
L’année suivante, il fait le coup de poing dans les rangs de la Manif’ pour tous. Il est condamné à 18 mois de prison avec sursis, trois ans de suspension de ses droits civiques et cinq ans d’interdiction de manifestation pour des coups portés à une photojournaliste et deux policiers pendant l’un des défilés de mai 2013. Pendant la Coupe du monde de 2014, il mène avec Damien Rieu des « missions infiltration » dans des quartiers multiculturels de Lyon les soirs de matchs de l’Algérie.
Maxime Gaucher était un membre éminent de Génération identitaire. Sur cette ancienne photo, il pose (en 6) avec Philippe Vardon (en 1), Damien Rieu (en 3) et Romain Espino (en 4), des cadres de GI dans les années 2010. / Crédits : DR
Maxime Gaucher est aujourd’hui moins actif, mais il n’a pas pour autant coupé les ponts avec l’extrême droite locale la plus radicale, et son épouse non plus. Le couple Joncour fréquente tout le gratin identitaire lyonnais. Clément Gandelin, l’ex-président de GI, organisation là aussi dissoute, décrit Tiffany Joncour comme « une bonne amie ». La députée compte aussi parmi ses proches l’ancien porte-parole de GI Lyon Eyquem Pons, Adrien Ragot – militant identitaire lyonnais condamné pour des agressions racistes, dont certaines au couteau –, l’ancien porte-parole des Remparts, Sinisha Milinov – condamné à de la prison ferme pour une agression raciste en février 2024 –, ou encore le militant parisien exilé à Lyon Marc Barrault, condamné pour une agression raciste en sortie de boite de nuit quelques mois à peine après son arrivée dans la capitale des Gaules. Peu surprenant donc, que le milieu identitaire ait soutenu sa campagne. Au point de mener des actions illégales ?
Des collages sauvages
Juste avant la trêve électorale du second tour, Tiffany Joncour et son directeur de campagne, Tim Bouzon, partagent un visuel sur les réseaux sociaux pour s’en prendre à leur adversaire, le candidat Nouveau Front populaire (NFP) Victor Prandt. Ils lui attribuent une citation tronquée au sujet d’un fait divers arrivé à Meyzieu quelques semaines auparavant : l’incendie volontaire d’une école. Ce fait divers a été largement instrumentalisé par Tiffany Joncour au cours de sa campagne, qui évoquait un « ensauvagement » de la circonscription. Sauf que cette même citation tronquée, « qui provient d’ailleurs du débat du premier tour que nous avons eu sur BFM Lyon », note Victor Prandt, a aussi été utilisée sur des affiches.
Dans la nuit du 5 au 6 juillet, lors de la trêve électorale précédant le second tour durant laquelle toute campagne est interdite, des centaines d’affiches ont fleuri sur la circonscription, reprenant les codes graphiques du NFP et attribuant la même citation tronquée au candidat Révolution écologique pour le vivant (REV). Des militants NFP ont pu filmer trois individus en train d’effectuer ce collage. Une enquête a été ouverte pour « diffamation, usurpation d’identité d’un tiers ou usage de données permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité, de porter atteinte à son honneur ou à sa considération ». Ces colleurs n’ont, à ce jour, pas encore été identifiés et rien ne les lie pour l’instant officiellement à Tiffany Joncour. Mais Victor Prandt insiste sur les coïncidences troublantes entre les deux visuels et raconte une campagne plutôt houleuse entre les deux camps.
Une communication verrouillée
Pendant l’entre-deux tours, Tiffany Joncour a annulé à la dernière minute un débat télévisé prévu avec Victor Prandt sur BFM Lyon, prétextant devoir s’occuper de ses enfants. « Bizarrement, le débat devait avoir lieu le lendemain de la parution de l’enquête de StreetPress sur ses proximités avec les Remparts », note son adversaire avec amertume. Et plusieurs journalistes se sont vus interdire de suivre les résultats dans son QG de campagne. C’est Tim Bouzon, son directeur de campagne, qui est même venu virer deux d’entre eux de la soirée qui avait lieu chez un militant rhodanien, une fois identifiés. « Il estimait que notre couverture du RN était trop orientée », explique l’un d’eux. « Pourtant, on travaille pour deux journaux très différents, un média indépendant d’investigation pour l’un, et un média local réputé plutôt à droite pour l’autre. »
Après la campagne, Tim Bouzon a suivi Tiffany Joncour à l’Assemblée en qualité d’assistant parlementaire. Également directeur national adjoint du Rassemblement national de la jeunesse et délégué départemental adjoint du RN dans le Rhône, il est décrit par plusieurs journalistes lyonnais comme la « tête pensante » de sa députée. Il gère ses réseaux sociaux, mais aussi sa ligne politique : « Il est assez méprisant avec les journalistes, il en stalke même certains sur les réseaux sociaux », raconte un confrère. « Au RN Rhône, Bouzon pense et réfléchit, Joncour récite, avec une sorte d’insincérité robotique », juge un autre :
« Tiffany Joncour, on sent qu’elle fait de la com’, qu’elle ne croit pas à ce qu’elle raconte, et qu’elle aimerait pouvoir être beaucoup plus radicale. »
À l’Assemblée nationale, la députée rhodanienne a rejoint une commission en cohérence avec la campagne qu’elle a effectuée, en s’appuyant sur son statut de mère de famille : celle aux affaires culturelles et à l’éducation. Discrète en commission comme dans l’hémicycle – elle n’est intervenue que quatre fois en séance depuis son élection –, elle a toutefois marqué l’esprit de certains parlementaires. « Ses interventions sont très “classiques” jusqu’à ce qu’on parle d’antiracisme ou de lutte contre les discriminations », constate un député NFP qui siège dans la même commission. « À ce moment, elle part au quart de tour, elle s’emballe. »
Contactée à plusieurs reprises, Tiffany Joncour n’a jamais répondu à nos demandes d’entretien ou à nos questions. Pas plus que son mari Maxime Gaucher, qui a lu nos messages, ou son attaché Tim Bouzon.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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