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    26/09/2024

    Tout en noir, armés, ils s’en sont pris à un festival solidaire

    Six jeunes militants d’extrême droite jugés pour violences en réunion en Bretagne

    Par Manon Boquen

    À l’été 2023, une vingtaine d’hommes a attaqué les participants du festival pour une Bretagne ouverte et solidaire, à Saint-Brieuc. L’épisode s’inscrit dans un contexte de montée des violences de l’extrême droite dans la région.

    Le soleil brille sur Saint-Brieuc en ce samedi 1er juillet 2023 et le public du festival pour une Bretagne ouverte et solidaire – événement imaginé par le collectif de Vigilance antifasciste (CVA22) – s’ambiance sur les envolées punk du groupe Chaos Ideas. L’atmosphère est bon enfant, entre stand de crêpes et aire de jeux pour les plus petits. Une bande fait soudain irruption dans le parc des Promenades, à deux pas du tribunal judiciaire costarmoricain. Ils sont une vingtaine, tous habillés de noir. Malgré l’été, une grande partie porte des cagoules, lunettes de soleil et casquettes. Les jeunes hommes se dirigent vers le public, armés de matraques télescopiques, d’un poing américain et de bombes lacrymogènes. Ils s’en prennent aux différents stands et aux personnes qui se sont réunies pour leur faire face. Des chaises ainsi que d’autres projectiles volent. Trois festivaliers – au moins – sont blessés avant que la police n’intervienne.

    Ces trois victimes (deux étaient bénévoles) se sont constituées partie civile dans le procès qui les oppose à leurs assaillants ce mercredi 25 septembre. Leurs blessures ont entraîné entre trois et huit jours d’Incapacité temporaire totale de travail (ITT) et leur choc est encore tenace à la barre du tribunal correctionnel briochin. De la vingtaine de garçons en noir comptabilisés le jour de l’attaque, six ont été identifiés, dont deux sont passés en garde à vue le soir des événements. Les voilà alignés dans une minuscule salle d’audience. Tous les cheveux ras façon dégradé américain. Une coiffure à la mode selon le plus loquace et provocateur d’entre eux, Jérémy L..

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    Le canal Telegram néonazi Ouest casual avait posté une vidéo de l'attaque du festival le lendemain. Il attribuait l'attaque au Korrigans squad, une bande informelle qui rassemble en général hooligans et militants d'extrême droite rennais. / Crédits : Capture d'écran

    Des inconnus qui se connaissent

    Les six gaillards se ressemblent en effet. Presque la même tranche d’âge – une vingtaine d’années – quasiment tous originaires du Trégor, à l’Ouest des Côtes-d’Armor, beaucoup d’ultras de l’En Avant Guingamp et pas mal d’anciens du lycée agricole Pommerit de La Roche-Jaudy (22). À les écouter, ces jeunes « de droite » se trouvaient tout à fait par hasard à Saint-Brieuc quand bien même les 18 hommes en noir se sont tous donné rendez-vous dans un même bar juste avant l’attaque. Trois d’entre eux expliquent avoir bu un verre le jour précédent à Lannion et avoir rencontré un inconnu qui leur aurait proposé de venir pour une manifestation. « Je ne savais même pas ce que c’était », proteste Simon Allain, électricien de 25 ans. Quant à leur tenue sombre similaire et leur port de cache-cou ou de cagoules un 1er juillet, les excuses fusent. « Je ne voulais pas être malade pour mon retour de saison », justifie par exemple Théo G., ouvrier dans une ferme légumière. Leur version, identique, va jusqu’à les faire passer pour des victimes des festivaliers contre lesquels ils auraient agi en « légitime défense », mais aussi des victimes de violences policières. « Vous avez eu peur pour votre vie ? », raille la présidente. « Bah ouais », répond Romain M., salarié agricole de 21 ans.

    Mais au fil des débats et dans une ambiance tendue, les motivations de leur irruption au festival pour une Bretagne ouverte et solidaire se dessinent bien plus clairement. Il y a déjà, la présence de l’avocat de l’extrême droite venu exprès de Toulouse, maître Pierre-Marie Bonneau, pour défendre cinq d’entre eux. Certains ont aussi manifesté à Callac comme Dylan P., marin-pêcheur, qui précise qu’il était « contre » le projet de lieu d’accueil pour les réfugiés voulu par la municipalité. Son camarade chaudronnier-soudeur, Kévin B. fustige quant à lui les antifas « qui n’aiment pas trop leur pays ». Et d’ajouter :

    « Il y a une situation désastreuse en France et ce n’est sûrement pas les Français de souche qui la créent. »

    Le plus bavard et virulent étant le plus âgé, Jérémy L., surnommé Blanche-Neige et connu des milieux militants de gauche. « Je ne me laisse pas traiter de nazi et de facho dans la vie », tonne-t-il de son physique imposant avant d’expliciter son agression par le fait qu’il ne soit « qu’un homme, qui a eu une réaction d’homme ».

    « Police de la pensée »

    Des violences politiques qui s’inscrivent dans un contexte plus large de montée de l’extrême droite en Bretagne. À la barre, François Le Sayec, l’une des parties civiles, s’en émeut : « J’ai peur pour ma fille. » L’attaque rappelle en effet celle du lieu associatif La Serre par d’autres nationalistes à Saint-Brieuc ou les manifestations contre les lectures drag, toutes survenues ces deux dernières années dans la région. Ce qui fait dire à la procureure que les prévenus sont « une bande de brutes qui tentent de jouer à la police de la pensée ». Elle requiert pour chacun d’entre eux une peine de dix mois d’emprisonnement et un sursis probatoire de deux ans. La défense, quant à elle, campe deux lignes distinctes. Maître Ropars, l’avocat de Théo G., plaide « l’erreur de jeunesse » ainsi que les anciennes mauvaises fréquentations et demande pour son client un sursis simple. Maître Bonneau va bien plus loin et soutient la version de la légitime défense : il estime qu’« on est tous le facho de quelqu’un », et réclame la relaxe de ses clients.

    Il faudra maintenant attendre la décision du tribunal, qui sera donnée le 4 décembre prochain, pour connaître le sort qui sera réservé aux six hommes aux cheveux coupés ras.

    Selon nos confrères de Ouest France., une des personnes qui était partie civile au procès a agressé ce jeudi 26 septembre le maire de Saint-Brieuc. Il aurait des « troubles psychiatriques » et avait demandé à être « hospitalisé » à l’audience.

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