Cela fait sept ans qu’Erwan « déteste l’été ». « Parce que je ne peux pas mettre ma capuche », indique ce vingtenaire au bord de l’Erdre. Dans la nuit du 7 au 8 mai 2017 à Nantes (44), il a été violemment agressé par des sympathisants du Groupe union défense (Gud) en marge de l’élection présidentielle. Ce soir-là, il a 18 ans. Alors qu’il rentre à vélo après une manifestation avec son ami Steven D., une voiture les suit sur la route qui longe le tram. Près de l’arrêt Du Chaffault, cinq hommes en sortent pour tabasser les deux jeunes, qu’ils prennent à tort pour des « antifas ». Bombes lacrymogènes, barre de fer et tesson de bouteilles, Erwan a de multiples fractures au visage et aux cervicales. Il est laissé pour mort, son corps baigné de sang volontairement caché derrière une voiture. Après cinq jours dans le coma, il endure trois mois de corset et pas loin de trois mois de rééducation. Alors, désormais, quand il sort, Erwan D. tient à mettre sa capuche et procède aussi à d’autres précautions :
« Je prends toujours un sac à dos, parfois vide, comme ça si on me chope par derrière, je me dégage et je me casse. J’ai déjà pris aussi une petite bombe au poivre, au cas où. »
S’il est ressorti avec des séquelles neurologiques à vie de ce lynchage aveugle et ultra-violent, Erwan souffre aussi depuis des années de coups de pression sur les réseaux sociaux, dans la rue et chez lui. Le Nantais dit avoir fait l’objet de nombreuses menaces de la part des soutiens des gudards condamnés définitivement en 2023. Sa mère et lui ont déposé en tout cinq plaintes, dont une seule a conduit pour l’instant à un procès :
« On voulait me dissuader de venir au tribunal, me pousser à retirer ma plainte. »
Menaces et guets-apens
En septembre 2023, lors du procès en appel à la Cour d’assises de Vannes (56), deux des agresseurs, Joyce Burkart et François Mamès Cosseron de Villenoisy, ont été condamnés respectivement à dix ans de prison, dont trois avec sursis, et à six ans de prison. Deux autres agresseurs ont pris trois ans de prison avec sursis probatoire. Le cinquième est décédé au cours de l’instruction en 2020. La bande de néofascistes, officiant entre Nantes et Angers, était déjà connue de la justice pour des violences racistes répétées.
Les pressions ont commencé alors qu’il était encore sur son lit d’hôpital, à Saint-Jacques. Le 25 juin 2017, le jeune Breton reçoit un appel d’un numéro inconnu. Dans l’enregistrement, on entend Constance (1), étudiante en droit, se présenter comme la compagne d’un des inculpés, Tanguy Martin, alors en détention provisoire. Pendant plus d’une heure, elle aurait tenté de convaincre la victime de « pardonner » son conjoint. Une plainte, déposée ce jour-là par Erwan, a conduit à un jugement, rendu le 20 novembre 2017. La jeune femme a été reconnue coupable, mais a été dispensée de peine. Le pic des pressions est atteint en 2019, quand le juge d’instruction a décidé de saisir la Cour d’Assises. Erwan reçoit alors sur les réseaux sociaux une rafale de messages haineux, que StreetPress a pu consulter : « Tu rigoleras moins quand on te tombera dessus », « T’as déjà eu affaire à certaines personnes et tu as vu comment ça s’est fini pour toi »… Sa famille n’est pas exempte des intimidations. « J’ai reçu plein de messages de menaces après avoir lancé un appel à témoins sur les réseaux sociaux, le lendemain de l’agression », raconte Laetitia, la sœur d’Erwan D.
« Erwan s’est fait pirater son compte Snapchat une bonne vingtaine de fois », rappelle Samuel, un de ses amis qui a aussi été la cible de tentatives de guets-apens. « Ils ont créé des (faux comptes) Facebook avec des photos de moi, avec mon nom, pour inviter des potes à moi, notamment Steven », raconte Erwan.
« Ces messages disaient : “Désolé, c’est Erwan, je n’ai plus mon téléphone, est-ce que tu peux me rejoindre à tel endroit.” Ils voulaient taper mes potes. »
Visites au domicile
Les représailles n’ont pas été que virtuelles : « Ils sonnaient souvent à l’interphone la nuit », se souvient Erwan D. Le 7 août 2019, ils sont même devant la porte de son appartement :
« J’ai regardé à travers l’œilleton, il y avait deux hommes. Je les ai entendus dire mon nom et qu’un antifa habitait ici. »
Ce soir-là, sa porte et sa boîte aux lettres ont été barbouillées de mastic, selon une photo que StreetPress a pu consulter. Erwan D. a déposé une plainte le lendemain. Le procureur du tribunal judiciaire de Nantes n’a pas répondu à StreetPress sur les suites de la plainte.
Même mode opératoire le dernier jour du procès à la Cour d’appel du Morbihan, le 22 septembre 2023. Depuis la terrasse de leur hébergement, Erwan, son ami Samuel et Steven D. (2), l’autre victime en 2017, aperçoivent des individus en bas de chez eux, assis dans la même salle d’audience quelques heures plus tôt. « On a été suivis dans la semaine », affirme Erwan, qui poursuit :
« Trois mecs sont venus derrière la porte et nous ont insulté et menacé. »
« J’ai été témoin d’une tension extrêmement forte ce jour-là », confirme l’avocat des victimes, maître Benoît Poquet, qui a été appelé au moment des faits. Erwan a porté plainte, avec photos à l’appui. Il ne sait toujours pas, à l’heure actuelle, si le procureur de la République a engagé des poursuites.
Harcèlement de la Bac
Outre les intimidations du groupe d’extrême droite violent, Erwan et Steven D. ont fait l’objet, à la même période, de coups de pression répétés de la part d’une équipe de police de Nantes. Dans une plainte qu’il a déposée le 30 mars 2019 et qui est elle aussi restée encore sans réponse, le Breton explique avoir subi par exemple « quatre ou cinq contrôles en une semaine », parfois musclés, souvent en bas de chez lui. Il y mentionne « un policier, toujours le même », de la brigade anti-criminalité de Nantes, qui le « traite de petit con » et l’« insulte ». Selon lui, ces pressions ont commencé après l’agression :
« Pour eux, on était les deux gauchistes super dangereux. Parce qu’on s’est fait agresser par l’extrême droite, forcément on avait quelque chose à se reprocher. »
Le 1er mai 2021, à Nantes, en marge d’une manifestation, l’attitude d’un agent l’interpelle particulièrement :
« Un policier a voulu me mettre une gifle et m’a dit : “Alors c’est toi qui mets les copains en prison ?” »
Plusieurs vidéos ont circulé de cette scène, StreetPress a d’ailleurs eu accès à l’une d’entre-elles. Tom (1), un ami qui a vécu le même contrôle de police ce jour-là, confirme les propos d’Erwan. « Ils nous ont traité de “sales gauchistes” et nous ont demandé si on allait encore porter plainte », ajoute-il. Pour la victime, c’est une référence à une plainte de sa mère, le 9 mai 2017, pour « non-assistance à personne en danger » car aucune patrouille de police ne s’était déplacée sur le lieu de l’agression, malgré l’alerte d’un témoin et la relance des pompiers. L’enquête à l’époque avait été très sommaire et c’est la mère d’Erwan qui avait dû aller sur place récupérer les bouts de verre qui ont permis d’identifier les cinq agresseurs grâce aux empreintes collées dessus. Quant à sa sœur, c’est son appel à témoins qui a permis d’identifier la voiture de Joyce Burkart. Le 28 avril 2018, la famille a reçu un courrier du procureur de la République de l’époque, Pierre Sennès, indiquant un classement sans suite pour cette plainte contre la police. Ce dernier avait reconnu toutefois l’existence d’un « dysfonctionnement ayant entraîné un retard dans la prise en compte judiciaire des faits », lié selon lui à un « défaut de communication » et un contexte « difficile » de manifestation.
« Aujourd’hui, quand ils me voient dans le centre-ville, ils me montrent du doigt ou se foutent de ma gueule, même quand ils ne sont pas en service », explique Erwan. Si les contrôles sont « moins fréquents », tout ça l’empêche tout de même de « tourner la page ». Et de laisser le 7 mai 2017 loin derrière lui.
(1) Le prénom a été changé.
(2) Contacté, l’autre victime de l’agression, Steven D., n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
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