Un néon violet dessine une tête de loup sur le mur à l’arrière-plan. Barbe de trois jours grisonnante et lunettes sur le nez, Kroc blanc apparaît à l’écran. « La chaîne sur laquelle vous êtes en ce moment va se transformer en Fdenews », annonce-t-il le 3 août 2022 sur YouTube. Jusque-là, le quadragénaire était surtout connu pour être un représentant du rap d’extrême droite, courant très minoritaire du genre musical et peu écouté – Kroc blanc cumule un peu moins de 4.000 auditeurs mensuels sur Spotify. Après s’être fait un nom au milieu des années 2010 avec ses textes anti-islam à la gloire de Jean-Marie Le Pen, affublé d’un masque pour cacher son identité, Kroc blanc montre désormais son visage à longueur de journée. Celui qui se surnommait « l’Eminem blanc » produit, depuis deux ans, deux à trois vidéos quotidiennes, parfois longues d’une trentaine de minutes. La formule est simple, comme l’analyse Romain Fargier, doctorant au Centre d’études politiques et sociales (Cepel) de l’université de Montpellier (34) :
« Il prend un fait divers ou une actualité, il la traite en quelques minutes et ça fait du contenu. C’est quelque chose de rapide à faire et lui permet de publier plusieurs vidéos par jour. Ce qui multiplie les gains. »
Sur le fond, il agite les marottes traditionnelles de la fachosphère : peur de l’immigration, de l’insécurité et de la prétendue déchéance d’une France qui « se libanise » et critique systématique « des gauchistes qui nient la réalité ». Aujourd’hui, sa chaîne YouTube compte un peu moins de 80.000 abonnés. Ses vidéos tournent généralement entre 30.000 et 50.000 vues. Dans la famille des influenceurs d’extrême droite, l’ex-rappeur est encore loin des 200.000 followers de Thaïs d’Escufon, des 165.000 de Julien Rochedy ou des 276.000 de Baptiste Marchais. Mais Kroc blanc a une régularité que n’ont pas ses comparses. Avec plus de 1.000 vidéos au total (contre 174 pour Thaïs, ou 177 pour Baptiste Marchais), ses vues cumulées dépassent les leurs : plus de 46 millions.
Kroc blanc a une régularité que n’ont pas ses comparses. Avec plus de 1.000 vidéos au total (contre 174 pour Thaïs, ou 177 pour Baptiste Marchais), ses vues cumulées dépassent les leurs : plus de 46 millions. / Crédits : Capture d'écran
De l’usine à 3.000 euros par mois
Dès la fin des années 2010, Kroc blanc gravite dans le milieu des youtubeurs fafs et racistes : Il est invité par le suprémaciste blanc Daniel Conversano, fréquente Papacito et Le Raptor, ex-dissident, ou tient la caméra pour El Rayhan. Il apparaît aussi beaucoup dans les lives de TeddyBoy RSA. Peu avant le premier confinement, ce dernier arrête momentanément ses streams. C’est le moment que choisit le rappeur pour se lancer et séduire une partie de son public actuel. « C’est quelqu’un qui a envie d’être visible, de jouer un rôle dans la recomposition politique et dans le combat culturel de l’extrême droite », analyse Paul Conge, qui l’a rencontré et interviewé à plusieurs occasions pour son livre Les Grands Remplacés (Ed. Arkhê). Le chercheur Romain Fargier, qui a travaillé sur les youtubeurs d’extrême droite et a suivi Kroc blanc à partir de 2018, pointe également des raisons pécuniaires :
« Ce sont des personnes qui vivent de la politique et ont été tellement exposées que c’est difficile de revenir à la vie civile. Ils sont face à la nécessité de toujours trouver des revenus et se pérenniser sur les réseaux. »
Le doctorant montpelliérain se souvient que le désormais influenceur a évoqué en live « gagner 3.000 euros par mois avec Fdenews. Le ratio travail/rémunération est intéressant ». Il a également lâché dans un autre : « Je ne me vois pas retourner à l’usine. » L’homme vient en effet d’un milieu populaire : Gaël Toullic, de son vrai nom, est né en 1979 à Paris, dans un 11e arrondissement pas encore gentrifié. Ses parents ont bossé dans le textile et été victimes des délocalisations. « Il se sent remplacé autant par les musulmans que par la mondialisation qui uniformise tout », écrit à son sujet Paul Conge dans son livre.
« Il prend un fait divers ou une actualité, il la traite en quelques minutes et ça fait du contenu. C’est quelque chose de rapide à faire et lui permet de publier plusieurs vidéos par jour. Ce qui multiplie les gains. » / Crédits : Capture d'écran
Le buzz et l’argent du buzz
En plus d’être sur-productif sur YouTube, Kroc blanc est omniprésent sur Twitter-X avec plus de 20.000 followers. Il a tenté l’aventure sur Twitch mais s’en est fait bannir pour « discours de haine ». Son omniprésence en énerve certains, comme Daniel Conversano. En octobre 2023, l’influenceur suprémaciste fan de Zemmour publie sur Telegram :
« Le débile léger Kroc blanc m’a clashé aujourd’hui, en m’insultant ouvertement, alors qu’on se parle cordialement en MP depuis toujours, et que notre relation était actuellement pacifique. »
L’ancien rappeur n’aurait rien compris à une embrouille avec Julien Rochedy – l’ancien boss du Front national de la jeunesse, maintenant influenceur politique et formateur mascu’ – et aurait commenté « pour buzzer ». Une culture du clash héritée de ses années rap mais pas seulement, explique le journaliste Paul Conge : « Kroc blanc s’est forgé sur Internet, au début des années 2000. Il était à fond dans le trashtalk de l’époque. » Sur Avenoel, un forum dissident du « Bla-bla 18-25 » de jeuxvideo.com, il n’était pas rare de voir Kroc blanc débarquer dans les discussions qui portent son nom pour se fritter avec les internautes. Contacté par StreetPress, Daniel Conversano a refusé de commenter : « Même si on s’est embrouillé récemment, parler en bien ou en mal d’un autre créateur de contenu nationaliste à des journalistes plutôt de gauche serait interprété comme de la trahison. »
En plus d’être sur-productif sur YouTube, Kroc blanc est omniprésent sur Twitter-X avec plus de 20.000 followers. Il a tenté l’aventure sur Twitch mais s’en est fait bannir pour « discours de haine ». / Crédits : X-Twitter
Kroc blanc s’est clashé avec d’autres influenceurs d’extrême droite. Un l’a par exemple accusé de « salir le camp nationaliste » car il ne prend « pas la peine de préparer un minimum » les sujets. « Tu veux juste le buzz et l’argent qui suit », lui lance-t-il par vidéo interposé. Aujourd’hui, ce streamer ne veut plus en entendre parler : « Cette histoire avec lui m’a attiré beaucoup de pépins. » Le doctorant Romain Fargier contextualise ces guerres de clocher numériques :
« Ces influenceurs d’extrême droite se battent un peu le marché. Il y a une logique de garder sa position, défendre son pré carré. »
Fake news
« J’ai relayé une fake news. J’en ai fait une vidéo, ça a marché du feu de dieu. C’est mon record. La fake news, l’approximation peut devenir une valeur ajoutée », reconnaît-il en live sur Twitch fin 2022. Comme cette fois, en septembre 2022, où sur la base d’un tweet il déclare que de la drogue aurait été saisie aux universités d’été de Reconquête. Trois vidéos et 60.000 vues plus tard, il concède :
« Je me suis fait “fakenewsé”. Est-ce que les gens de Reconquête vont me pardonner un jour ? De toute façon j’étais déjà cramé, qu’est-ce que je m’en bats les couilles. Si vous voulez qu’on se recalibre sur les news de qualité. Allez vous faire foutre car c’est pas le but ici. »
Mais depuis octobre dernier, le quadragénaire essaye de lisser son image. En conversation privée, il explique à Daniel Conversano vouloir s’éloigner « de toute radicalité » : « Je me “mainstreamise”. C’est ma strat’. » À la même date, il assure au site identitaire Breizh info : « J’ai un peu exclu de ma vie les radicaux et les marginaux qui pullulent à l’extrême droite. » Une tendance en vogue chez certains influenceurs de la mouvance, analysée par Romain Fargier : « Le but, c’est de réorienter leur business. En étant moins radicaux, ils peuvent viser une audience plus large. Ils agrandissent l’assiette en gros. »
Depuis octobre 2023, Kroc blanc essaye de lisser son image. En conversation privée, il explique à Daniel Conversano vouloir s’éloigner « de toute radicalité ». À la même date, il assure au site identitaire Breizh info avoir « exclu » les « radicaux et les marginaux qui pullulent à l’extrême droite ». / Crédits : DR
Amalek, un autre rappeur d’extrême droite multi-condamné pour antisémitisme ou racisme, assure que Kroc blanc lui aurait confié sa volonté de « devenir complètement mainstream sous un autre pseudo », quand les deux hommes étaient dans la musique. « C’est probablement pour ça qu’il cachait son visage. L’autre raison était aussi qu’il craignait de se faire agresser par des gens qui le reconnaîtraient », continue Amalek. En avril dernier, sur Twitter-X, Kroc blanc s’est dit pour sa part irréprochable auprès de StreetPress et s’est vanté de n’avoir « aucun dossier bizarre de violence sur personne » et serait « libre de toute appartenance à un groupuscule idéologisé ».
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Des liens avec les suprémacistes et des dossiers
Pourtant, Kroc blanc aimait bien, il y a quelques années, aller « boxer avec les copains de l’ECP » comme il l’affiche sur Instagram. L’Équipe Communautaire Paris, dont il a été membre. Ce groupuscule de suprémacistes blancs, section parisienne des Braves de Conversano, déjà évoqué par StreetPress, est l’un des plus nombreux en Île-de-France et organise parfois des « Olympiades » aux côtés du Gud.
Kroc blanc serait « libre de toute appartenance à un groupuscule idéologisé ». Il aimait pourtant, il y a quelques années, aller « boxer avec les copains de l’ECP ». Un groupuscule de suprémacistes blancs, section parisienne des Braves du très raciste Daniel Conversano. / Crédits : DR
Avec l’ECP, l’ancien rappeur a aussi organisé et commenté l’été dernier un fight club de jeunes nationalistes, rediffusé sur YouTube via la chaîne nommée Les Fils de Clovis. Anonymat garanti, si souhaité. On y trouve, encore, le meilleur du pire : des militants du Gud où des néofascistes Luminis Paris. Autant de situations auxquelles Kroc blanc n’a pas souhaité répondre. Plus surprenant, quand StreetPress l’a contacté, le nouvel influenceur s’est empressé de déballer tous ses « dossiers » directement sur Twitter-X.
Le seul qu’il aurait serait « le Wambo et je suis victime dans l’affaire ». Une sombre histoire d’investissement dans la cryptomonnaie où les fonds récoltés auraient disparu. « Il y a aussi le magazine Géopolitique profonde dont j’ai fait la promotion, qui est un vrai magazine avec de vrais professionnels, les gens critiquent son prix », poursuit-il à propos d’un site conspirationniste de réinformation sans que StreetPress ne le lui demande. À part ces deux polémiques qui seraient « montées de toutes pièces par des haters et des influenceurs de gauche », le youtubeur n’aurait « absolument rien à [se] reprocher ». « Je suis le mec le plus sincère et franc à droite, et l’ardoise de ma liberté de parole est suffisamment salée pour que personne ne la nie », continue-t-il de se justifier. Même s’il revendique, trois lignes plus loin, « des avis modérés loin des clichés ».
(1) Méthode non-officielle des plateformes pour réduire la visibilité d’un contenu ou d’un utilisateur qui ne respecte pas les règles.
En dehors de son fil Twitter-X en réaction à nos sollicitations, Kroc blanc n’a pas souhaité répondre à StreetPress.
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