Bien seul sur le banc des accusés de la cité judiciaire de Rennes (35), Paul C. a le visage fermé, tendu. Le militant de 24 ans est plus connu sous son pseudo Marc Visada. Il est jugé ce lundi 11 septembre 2023 pour avoir, le 13 mai dernier, interrompu avec une quinzaine d’autres militants de l’Oriflamme, cagoulés et à grand renfort de pyrotechnie, un atelier créatif de lecture destiné aux enfants et organisé par la mairie de Saint-Senoux (35), petite bourgade située à une trentaine de kilomètres de Rennes. Un atelier proposé par des artistes drag, ce qui a fortement déplu à ce groupuscule réactionnaire, qui a décrit « un moment de propagande orchestré par le lobby LGBT afin de modeler les consciences des jeunes générations encore dépourvues de tout esprit critique ». Paul C., au mégaphone, avait enchaîné les insultes homophobes et transphobes. L’émotion des victimes à la barre le fait souffler d’irritation.
Le 13 mai 2023, une quinzaine de membres de l'Oriflamme, menés par Paul C. ont interrompu un atelier créatif de lecture destiné aux enfants et organisé par la mairie de Saint-Senoux (35). / Crédits : Instagram – DR
Ce jeune homme vêtu d’un polo blanc, à la coupe militaire, est le leader de l’Oriflamme, groupuscule royaliste rennais né de la rupture en janvier 2023 avec la section locale de l’Action française (AF) avec le mouvement national, que StreetPress vous racontait il y a quelques mois. Un récit qui a d’ailleurs été versé au dossier de l’audience de ce 11 septembre 2023, au grand dam de l’accusé, qui tempête contre cette enquête lorsque le procureur le mentionne :
« Non mais vous savez qui c’est StreetPress ? Je vais vous dire moi qui c’est StreetPress. »
Le reste de la salle n’aura pas la réponse, le président enchaînant sur une autre question.
La rupture entre l’AF et sa section rennaise a été notamment actée par cette photo de groupe qui pose derrière un drapeau noir frappé d’une demi-fleur de lys jointe à une demi-croix celtique, le symbole des néofascistes français. / Crédits : DR
L’Oriflamme, scission de l’Action française
Face au tribunal, cet ancien étudiant de l’Institut d’études politiques (IEP) de Rennes qui préparait l’Ecole nationale d’administration, et déclare aujourd’hui être « intérimaire dans le tertiaire », tente de se dédouaner et réfute être le « chef » de l’Oriflamme. À chaque question du tribunal sur son groupe, sa composition, son fonctionnement interne, Paul C. reste vague, évasif. Durant les trois heures d’audience, il protège l’organisation coûte que coûte, et refuse de mentionner le moindre nom.
Le vingtenaire est un peu plus bavard sur la scission de son mouvement avec l’Action française. Selon lui, tous les membres de l’AF Rennes ont quitté le groupe d’extrême droite pour rejoindre l’Oriflamme à sa création. Ce serait même un groupe « qui se développe rapidement », selon l’avocat de Paul C. Comme StreetPress l’avait indiqué lors de notre première enquête, l’Oriflamme a repris une grande partie des structures montées par l’Action française Rennes. Comme l’association du « Cercle Chateaubriand », un club de lecture dont le compte Instagram a été recyclé à la naissance de l’Oriflamme. Dans ses membres, on y retrouve le trésorier François-Xavier C., le secrétaire Maël C. et le président de l’asso depuis 2020 Josselin de C.T. Interrogé à leur sujet à la sortie de l’audience, Paul C. s’est une nouvelle fois agacé :
« StreetPress ? Non mais vous vous foutez de ma gueule ? Je n’ai rien à vous dire vous n’êtes pas journaliste. »
Le premier drapeau de l’Oriflamme arboré sur Instagram en dit plus sur leur état d’esprit politique. L’étendard mêle une fleur de lys royaliste et une croix celtique néofasciste, une alliance qui fait grincer des dents à l’Action française, et qui marque une radicalité supplémentaire. Depuis, le nouveau drapeau de l’Oriflamme est la création d’un graphiste qui collabore avec certaines sections de l’AF. Mais aussi avec Active Club, nouveau groupuscule d’extrême droite radicale, et Ouest Casual, chaîne Telegram qui répertorie toutes les frasques des néonazis français. Ou encore des groupuscules issus de la galaxie des « néo-Bastion Social » telle que la bande albigeoise Patria Albiges. Après tout, les membres de l’Oriflamme sont des radicaux qui n’ont pas peur de la violence.
François-Xavier C., ancien scout d’Europe et membre de l'Action française Rennes et de l'Oriflamme, a affiché en mai 2022 sur Facebook son soutien à Loïk le Priol, ancien du GUD incarcéré quelques semaines auparavant pour l’assassinat en plein Paris de l'ancien joueur international de rugby Federico Martín Aramburú. / Crédits : Facebook de François-Xavier C.
Dans une publication d'un militant néofasciste, ce dernier identifie François-Xavier C. qui tient le drapeau de l'Oriflamme, lors d'une manifestation d'extrême droite contre les migrants à Saint-Brévin (44). Une centaine de néofascistes s'étaient rassemblés. / Crédits : Instagram – DR
Actions « coup de poing » et agressions
Paul C. s’est déjà fait épingler par la justice. En novembre 2020, il a été condamné à six mois de prison avec sursis, 210 heures de travail d’intérêt général et des dommages et intérêts pour le saccage de la permanence du député LREM Damien Pichereau au Mans (72) durant le mouvement des Gilets jaunes. Une dizaine de personnes cagoulées s’en étaient pris à la vitrine de la permanence à coups de… Canapé, après un début de soirée alcoolisé. Paul C. et deux autres étudiants avaient été interpellés par la Bac du Mans.
Depuis sa création, l’Oriflamme ne fait pas beaucoup d’actions médiatiques comme celle de Saint-Senoux contre les artistes drag. Le groupuscule s’illustre surtout par des coups de poing bien physiques. En mars 2023, trois étudiants rennais rentrent dans leur résidence universitaire, sur le campus de Beaulieu, à l’Est de la ville. Il est environ 23h45, la station de métro est fermée. Il fait sombre mais les étudiants aperçoivent tout de même des affiches qui n’étaient pas là en début de journée. Ils s’approchent pour les décoller car leur logo ne leur est pas inconnu : il s’agit d’affiches de l’Oriflamme. Quelques heures plus tôt, un étudiant filmait une vingtaine de personnes cagoulées collant les affiches en question. À peine ont-ils commencé à les enlever que « 6 ou 7 » individus foncent sur les trois étudiants en hurlant. Une s’enfuit chercher du secours. L’un des deux autres, au sol, reçoit de nombreux coups de pied, avant de se faire dépouiller de son sac à dos et son ordinateur. Un homme lui lance :
« Sinon on sort un couteau. »
Quand la première revient, accompagnée de vigiles de la résidence étudiante, il a le visage en sang. Une vingtaine de minutes plus tard, la Bac de Rennes débarque sur place, interroge rapidement les deux garçons, puis repartent. « Ils nous ont dit qu’on avait l’air d’aller bien, et de rentrer chez nous », racontent les victimes. Pourtant, aux urgences, l’étudiant roué de coups au sol apprend qu’il a un bras cassé, un os de la jambe fracturé, et que son orbite est aussi fracturée sous l’œil. Opéré sous anesthésie générale, il obtient 45 jours d’ITT. À sa sortie d’hôpital, quelques jours plus tard, les trois étudiants vont porter plainte. La procédure est aujourd’hui toujours en cours, mais « comme le métro était fermé, les vidéosurveillances sont trop sombres pour identifier les agresseurs ».
Le lendemain de l’agression, des stickers de l’Oriflamme fleurissent autour de la résidence universitaire, et de nouvelles affiches sont collées quelques semaines après. En parallèle, le groupuscule, qui semble vouloir s’imposer durablement sur les campus de l’université Rennes 1, distribue des tracts appelant à la manifestation néofasciste du C9M dans les boîtes aux lettres, et, selon plusieurs témoins, « ils se baladent parfois cagoulés la nuit sur le campus ». Au mois de juin, les vigiles de la résidence Crous de Beaulieu auraient vu une dizaine de silhouettes autour du métro, cagoulées et armées de battes de base-ball. À l’arrivée de la police, ils avaient disparu.
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Une forte porosité avec d’autres groupuscules rennais
Un mois après l’agression du métro Beaulieu, quelques étudiants sont sur le campus universitaire. Voyant un groupe de personnes coller des affiches, que certains identifient comme celles de l’Oriflamme, ils décident de partir. Selon des témoins de la scène, les militants d’extrême droite percutent alors en voiture l’un des étudiants qui s’éloignait à vélo, puis sortent et le frappent pendant qu’il est au sol. Traumatisé, celui-ci va voir un médecin, mais ne portera pas plainte. Ses agresseurs auraient déclaré « être Korrigans squad » et être venus « pour s’entraîner à cogner ». Le groupe a défilé aux côtés de l’Oriflamme à Saint-Brévin-les-Pins (44) avec une centaine de néofascistes pour manifester contre le déménagement d’un centre de migrants. Le même Korrigans squad revendique quelques mois plus tard le déploiement d’une immense banderole « Fuck LGBT » durant la Marche des Fiertés de Rennes, ou encore l’attaque d’un concert antifasciste à Saint-Brieuc (22) au début de l’été.
[ EXTRÊME DROITE] Ce week-end à Saint-Brévin (44), une centaine de néofascistes se sont rassemblés pour manifester contre l’installation d’un centre pour migrants.
— StreetPress (@streetpress) May 3, 2023
Ils ont posé avec une banderole portant le slogan « Europe, Jeunesse, Révolution » pic.twitter.com/Mfs8vfHs0k
En plus de l’Oriflamme et du Korrigans Squad, plusieurs témoignages rapportent une proximité avec les hooligans du Stade Rennais. Celle-ci passerait notamment par François-Xavier C., qui revendique un amour du Stade Rennais qui se traduit surtout par la violence. Un amour qu’il partage avec Maxime Bellamy, freefighter néonazi, militaire français, hooligan et ancien de l’Action française Rennes, dont StreetPress vous parlait il y a tout juste un an. Un militant syndicaliste résume :
« Un problème fréquent avec les agressions d’extrême droite à Rennes, c’est l’identification du groupuscule qui attaque, parce qu’ils se mélangent beaucoup. »
Cette proximité n’a pourtant pas été évoquée au tribunal. Pour les événements de Saint-Senoux, Paul C. est poursuivi pour l’organisation d’une manifestation publique sans autorisation, dissimulation volontaire du visage lors d’une manifestation accompagnée de troubles ou risques de troubles à l’ordre public. Mais également injure publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique – le maire de la ville –, et provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Pour la pluralité de ces faits, le procureur a requis une peine de six mois de prison ferme, accompagnée d’une interdiction de port d’armes et de manifestation de trois ans, et d’une amende de 1.500 euros. Et a rappelé durant son réquisitoire, que Paul C. n’était, selon lui, « ni un martyr ni un sacrificié, mais simplement quelqu’un qui professe des propos que la loi punit, et qui a menti tout au long de la procédure ». Le tribunal se prononcera dans un mois.
Paul C. a catégoriquement refusé de répondre à nos questions suite à l’audience du 11 septembre 2023.
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