C’est une plongée dans les entrailles de la petite boutique de l’antisémite Alain Bonnet, dit Soral. StreetPress a pu consulter des documents comptables couvrant les années 2018 à 2020 de la nébuleuse d’entreprises et d’associations liées à l’ancien comparse de Dieudonné. Plusieurs centaines de pages d’extraits de comptes et des tableaux de synthèse rédigés par les comparses de Soral. Une mine d’or qui permet de reconstituer les chiffres d’un business sur lequel l’homme, désormais caché en Suisse pour fuir la justice française, reste particulièrement discret.
Une nébuleuse de structures
Il y a bien sûr le navire amiral soralien : l’association Egalité & Réconciliation (E&R). Créée en 2007, elle est même devenue la marque du sexagénaire. La structure qui lui sert à se lier à tout ce que l’Hexagone compte d’antisémites maladifs, au gré des rapprochements et des fâcheries d’un homme dont l’ego n’a d’égal que la longueur du casier judiciaire. Une belle machine à sous, aussi…
Mais la nébuleuse – gérée par Julien Limes, le bras droit d’Alain Soral – a bien d’autres branches. Ainsi sa société Culture pour Tous exploite trois marques. Kontre Kulture, la sulfureuse maison d’édition de Soral où le pire de l’antisémitisme côtoie le pire du complotisme, et qui gère la commercialisation de ses vidéos à la demande. Au Bon Sens, son site de vente de produits « sains et enracinés » (une marotte à l’extrême droite…). Et enfin, Prenons le maquis, une boîte spécialisée dans les stages de survivalisme « au contact du réel » tenue par Marco, un de ses proches.
Outre son association, vendre des livres, des vidéos ainsi que de la vitamine C et des week-ends de « retour à la terre », ces Soral Leaks confirment son contrôle sur deux autres sociétés plus discrètes. « Instinct de survie », qui est censée vendre des cours de bricolage semi-survivalistes, mais n’a plus d’activité réelle évidente. Et Édition et Documentation parisienne. Cette autre société dont StreetPress a déjà parlé dans un précédent article édite la lettre confidentielle d’extrême droite Faits & Documents. Celle-là même à qui l’on doit par exemple l’invention de la rumeur sur la pseudo-transidentité de Brigitte Macron que reprennent en boucle les complotistes. Une feuille de chou par ailleurs maquettée par Riwal, la société de communication de l’ex-leader du GUD et ami de Marine Le Pen : Frédéric Chatillon.
La (pas si) petite entreprise de Soral a même été un temps une multinationale. Le groupe bâti par l’antisémite a ainsi compté une société basée en Hongrie, Danube Communication, qui visiblement servait surtout à détenir un compte en banque dans le pays de Viktor Orban. Elle a été fondée par Alain Soral et son bras droit Julien Limes avant d’être fermée en 2020. Elle était immatriculée dans ce qui n’est ni plus ni moins qu’une simple masure à proximité de la frontière avec la Slovaquie. L’entreprise facturait des prestations à Culture pour Tous, Instinct de Survie ainsi qu’E&R et payait très régulièrement un imprimeur bulgare.
E&R, la vitrine
L’association politique antisémite la plus connue de France a des comptes bien surprenants et plutôt prospères. Chaque mois, des centaines de quidams lui versent leur obole, cotisation ou don. Certains affichent même leur soutien « contre l’oligarchie » ou « pour la cause » jusque dans l’intitulé de leur virement. Des versements qui, le plus souvent, ne dépassent pas quelques dizaines d’euros. Il y a tout de même une poignée de fidèles généreux qui régulièrement font des virements qui dépassent le millier d’euros.
Au total, en octobre 2018 par exemple, l’association a encaissé un total de 18.945,22 euros par ce biais. Pas mal pour une structure qui n’a quasiment aucun frais réels fixes, si ce n’est environ 1.500 euros par mois pour payer OVH, l’hébergeur du site à la gloire de Soral. Celui-ci reste l’un des blogs politiques les plus lus de France avec ses 2,5 millions de visiteurs mensuels en moyenne à ce jour.
Pourtant, les comptes finissent tous les mois très près de zéro. L’argent ressort. Par exemple, toujours en octobre 2018, cinq virements d’un total de 16.700 euros repartent vers la société « Instinct de survie » – le nom commercial de l’entreprise IndéSur – qui propose des stages de bricolage et jardinage à tendance survivaliste. L’entreprise, contrôlée par un proche d’Alain Soral donc, lui pompe ainsi la quasi-intégralité de ses revenus et ceci tous les mois ou presque… Un prestataire ? Curieux, la société qui utilise aussi depuis 2014 la marque Prenons le maquis (officiellement propriété de Culture pour tous), n’a plus d’activité sur les réseaux sociaux depuis l’été 2021 et ne semble avoir que très peu d’activité tout court.
« Instinct de survie », la tirelire ?
Outre d’être généreusement rétribué par E&R pour des prestations qui n’apparaissent pas évidentes, « Instinct de survie » rémunère visiblement une partie des historiques de l’asso. Du moins ceux qui ne sont pas encore fâchés avec le chef. Cette entreprise verse aussi des sommes substantielles via des droits d’auteur notamment. Curieux, une fois de plus, pour une boite de formation en survivalisme… Toujours dans cet exemple du mois d’octobre 2018, ce sont plus de 15.000 euros qui sont ainsi dépensés. Dont une bonne part en virements vers des tiers aux intitulés pour le moins brumeux.
Du côté des bénéficiaires, on trouve Julien Limes, qui gère donc les entreprises : logique. Mais aussi Erdogan Okan, l’ancien garde du corps de Soral. Et l’antisémite lui-même.
D’autres noms reviennent sans cesse : Maylis B., l’ex-femme de Soral. Mais aussi Pierre Berdague, plus connu sous le pseudonyme Pierre de Brague. Ils reçoivent mensuellement, respectivement, environ 500 euros et 2.600 euros. Damien Viguier, l’avocat de la « dissidence », reçoit des virements moins réguliers, mais est tout de même destinataire en 2018 de plus de 8.500 euros.
Culture pour Tous, machine à cash
Culture pour Tous est propriétaire de trois marques : Kontre Kulture, la maison d’édition, Au Bon Sens, la boutique en ligne healthy, et Prenons le maquis, l’organisateur de stages de survie (exploité par l’entreprise IndéSur). Là aussi, l’argent rentre. Kontre Kulture enregistre plusieurs milliers de commandes par mois sur ces exercices 2018 et 2019 que nous avons pu éplucher. Le chiffre d’affaires mensuel flirte régulièrement avec les 100.000 euros. Les résultats sont plus modestes pour les deux autres boîtes, qui permettent tout de même à Soral de faire régulièrement rentrer quelques milliers d’euros dans les caisses.
Pourquoi cette entreprise, qui apparaît donc faire un chiffre d’affaires substantiel, devrait faire supporter par Instinct de survie le paiement de droits d’auteurs ? Et au nom de quel contrat de partenariat ou de prestation ? Curieux. Pas ou peu d’auteurs des livres édités par Kontre Kulture dans la liste des bénéficiaires de virements sortant des comptes de Culture pour tous. Mais d’autres noms reviennent sans cesse : Alain Bonnet (Soral, donc), son lieutenant Julien Limes, Erdogan Okan, Maylis B… toujours les mêmes.
Faits & Documents, le renvoi d’ascenseur ?
Éditée par l’entreprise Edition et documentation parisienne (EDP), la lettre d’extrême droite Faits & Documents (F&D) apparaît très intriquée à la galaxie Soral. La présence de sa comptabilité dans les Soral Leaks, qui viennent tous d’une même source interne à l’organisation, le démontre. Selon une de nos sources, le bras droit de Soral, Julien Limes, gère en partie les comptes. Mais ce n’est pas tout : entre 2018 et 2019, EDP fait de nombreux virements vers des sociétés tenues par l’antisémite, Culture pour tous ou Indesur. Au total : près de 20.000 euros en 2018, puis encore 43.000 euros en 2019… Ici encore, le motif semble flou.
Quoi qu’il en soit, la pareille semble avoir été rendue. En février 2021, EDP a racheté le fonds de commerce de Culture pour tous pour un montant inconnu, selon un document du greffe du tribunal commercial de Dijon que StreetPress a consulté. Ce fonds inclut, dans le détail : l’enseigne et le nom commercial Kontre Kulture, la clientèle, du mobilier commercial, la marque déposée Kontre Kulture ainsi que celle non déposée Au Bon Sens, les droits de propriété intellectuelle – et notamment les droits d’auteurs attachés à Kontre Kulture –, les marchandises (livres, produits culturels et de consommation alimentaire) et enfin… un utilitaire Lada 4×4.
Une prise de contrôle amicale, au nom de la cause commune ? Après le rachat du fonds Culture pour tous par EDP, un contrat est signé pour en confier la gérance à… Julien Limes. Soit le même gérant qu’avant le rachat. Celui-ci se voit au passage accorder un salaire de 5.000 euros par mois et une commission de 3,5% du chiffre d’affaires. Concrètement: plus de 8.000 euros les bons mois.
Faits & Documents est par ailleurs maquettée depuis des années par Riwal communications, la société qu’ont fondée les ex-gudards, et amis d’enfance de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon et Axel Loustau. Deux hommes qui étaient encore impliqués dans la dernière campagne présidentielle de la fille Le Pen, selon Le Monde. Contacté par nos soins à l’occasion du précédent épisode des Soral Leaks, Frédéric Chatillon a reconnu – par l’intermédiaire de son avocat, maître Alexandre Varaut – que « Riwal a fait durant une longue période la maquette de F&D pour un prix de 400 euros ». Mais que « cette relation est désormais terminée ». Le nom de l’entreprise apparaissait pourtant encore dans le dernier numéro de Faits & Documents. Et, en février 2019, EDP versait encore 2.800 euros à Riwal. Le monde (de l’extrême droite) est décidément petit.
Les petits comptes d’Alain Soral
Alain Bonnet, de son vrai nom, a perçu via les différents comptes de l’entreprise Instinct de survie un peu plus de 30.000 euros en salaire, factures et droits d’auteur en 2018. Ce qui inclut également quelques virements ponctuels, comme ces deux lignes de 2.000 euros chacune, en juillet et octobre 2018, ayant pour objet « avance emprunt » et « avance prêt »…
Via Culture pour Tous, en 2018, il bénéficie en outre d’une demi-douzaine de virements pour un peu plus de 6.600 euros sur un compte. En 2019, ce sont 15.000 euros qui lui ont été versés à partir d’un autre compte de la société, via des virements mystérieusement intitulés « Bonnet Alain PF Suisse ». La même année, il partait justement s’installer au pays des horlogers. Ces versements ne constituent pas ses seuls revenus. L’auteur antisémite a en effet fait éditer son brûlot à succès Comprendre l’empire par Blanche, une maison d’édition plus mainstream qui lui a ouvert les portes des librairies généralistes et autres Fnac, encaissant au passage un joli pactole.
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