Tribunal de Paris, salle 2.03 – « Je vous rappelle que vous êtes jugé pour association de malfaiteurs terroristes. » Dérouté, le président du tribunal tente de raisonner Julien C. face à son excuse originale de ne pas être présent tous les jours du procès des Barjols. Son chat serait diabétique et il serait le seul en mesure de lui faire son injection quotidienne d’insuline. La salle en reste pantoise. La diplomatie du président n’aura aucun effet : Julien C. ne se présente quasiment plus au tribunal de Paris, à l’exception du jour de son audition.
Depuis le 17 janvier et jusqu’au 3 février, la justice française juge les Barjols. Si quatre des prévenus sont poursuivis pour une tentative d’assassinat présumé contre Emmanuel Macron en 2018, les neuf autres comparaissent pour des projets plus flous mais tout aussi radicaux : des attaques contre des exilés dans des camps, contre des fidèles dans des mosquées ou encore contre des élus. Vaste programme que tous les accusés nient toutefois fermement depuis le début du procès. Selon eux, ces projets n’étaient que des paroles en l’air de gens en colère et surtout très alcoolisés. Tous jurent sur leurs grands dieux ne pas être racistes et ne vouloir des armes que pour « se défendre ». Des éléments que les enquêteurs ont battus en brèche. Notamment chez l’ami des chats Julien C. et un autre Barjol, Jérôme T.
Si le premier gaillard en jean-baskets, à la barbe drue et aux cheveux plaqués en arrière, roule des mécaniques, le second est beaucoup moins détendu. Jérôme T. est une grande tige visiblement mal à l’aise qui tente de se donner une constance avec son costume un peu élimé caché sous un long manteau de trop grand pour lui. Les deux ont pour traits communs d’être néonazi et d’avoir voulu rencarder les Barjols sur les armes. Des éléments de la procédure, que StreetPress a pu consulter, montrent que Julien C. a fourni au leader des Barjols, Denis C. – ancienne figure du RN en Moselle –, des plans pour réaliser des explosifs avec différents niveaux de complexité. Des indications que les experts interrogés par le tribunal ont considérées « de très bonnes factures ». Le même Julien C. est également soupçonné, avec un autre prévenu, d’avoir été le potentiel fournisseur d’armes des Barjols. Les écoutes des deux hommes ont montré que Julien C. et son comparse se plaignaient que leurs co-accusés « ne se soient pas armé pour ce qu’ils préparaient », notent les enquêteurs.
Arsenal non autorisé et cosplay de la Gestapo
Quant à Jérôme T., celui-ci a été chargé de la formation aux armes lors de la réunion des Barjols à Salmagne (55), le 1er septembre 2018. Sauterie qui s’est conclue par une vidéo où les membres du groupuscule d’extrême droite posent cagoulés et armés, brûlant des drapeaux européens et sommant le gouvernement « d’arrêter l’immigration massive ». Rien de bien étonnant pour le quadragénaire. Lors de la perquisition chez Jérôme T., les enquêteurs ont trouvé un paquet d’armes. Deux de poing, deux fusils, des munitions en nombre conséquent, une quantité impressionnante d’obus et de grenades, des détonateurs… Un arsenal détenu sans autorisation. Et pour cause, il était sous le coup d’une interdiction de détenir des armes pendant dix ans à la suite d’une précédente condamnation.
Chez lui, les agents sont aussi tombés nez à nez avec un drapeau nazi dans la salle à manger. Dans un placard, ils ont également découvert un imperméable avec un brassard à la croix gammée. Un cosplay de la Gestapo en somme. Pas raciste, Jérôme T. ? Sur son compte Facebook, une nouvelle photo d’un drapeau du IIIe Reich, une autre du livre La vie fantastique d’Hitler et un cliché de lui revêtu du fameux imperméable au brassard nazi. Dans son téléphone se trouve aussi une photo d’un rassemblement néofasciste italien à Rome.
À la barre, flottant dans son costume, Jérôme T. se montre évasif sur la présence d’objets nazis chez lui. À l’entendre, il serait passionné d’histoire, notamment de la Seconde Guerre mondiale, et n’aurait aucune sympathie particulière pour le régime d’Adolf Hitler. Pour preuve : il possède des drapeaux français, belge, américain… Et bien sûr, il n’est « pas raciste ». Des explications qui ne semblent pas avoir particulièrement convaincu le président du tribunal.
Section Dachau
Le barbu Julien C. n’aurait lui aussi « aucune haine pour les étrangers ». Il ne serait « pas raciste » et aurait même « beaucoup d’amis musulmans ». À Vitry-le-François (51), où il est né en 1981, il explique à la barre avoir été traité de « petit bicot » et de « petit arabe » à cause de ses cheveux bouclés. Pourtant quand le président l’interroge sur le contenu de son ordinateur exploité par les enquêteurs lors de sa garde à vue, Julien C. ne mâche pas ses mots. Face à une image avec la mention « Stop the white genocide » (« Stop au génocide blanc »), il affirme :
« Oui, il y a un génocide blanc. On nous pousse au métissage et à la diversité. On ne voit que très rarement des couples normaux à la télé. »
« Est-ce que par normaux, vous entendez blanc ? » lui demande le président. « Oui, c’était le cas en France, il y a 60 ans », répond Julien C.
Il est beaucoup moins clair quand on lui présente une image d’Adolf Hitler présent à côté d’un Valknut (symbole nordique récupéré par les néonazis) barrée avec la mention « catholique anti-odiniste ». « Ça ne fait pas l’éloge de monsieur Adolf Hitler », explique Julien C. à la barre. « Il ne faut pas oublier que monsieur Adolf Hitler était très opposé aux catholiques », complète-t-il. Pas très clair non plus sur l’image « Section Dachau », représentant des officiers nazis, trouvée sur son ordinateur. Julien C. part dans une explication laborieuse :
« – C’est comme le groupe de rap Sexion d’assaut.
- Oui, ça je le vois bien mais qu’est-ce que ça veut dire pour vous ?
- Et bien, ça représente un peu le climat actuel. On va finir dans des camps. Vous n’avez pas entendu parler des camps Fema ? »
Il reprend ici à son compte une théorie du complot en vogue qui voudrait que l’agence américaine de gestion des situations d’urgence (Fema) crée des camps de concentration aux Etats-Unis. Quant au drapeau « de la Wehrmacht », il ne se rappelle plus « l’avoir téléchargé ». « Quand je télécharge, c’est que ça me semble pertinent », concède-t-il toutefois…
Nécessité de « miner son terrain »
Le quadra assure encore avoir quitté les Barjols à cause « des propos racistes » qu’il a entendus lors de certaines réunions et à cause de leur volonté de « faire des actions violentes » chargeant au passage certains de ses co-accusés. Concernant les recettes d’explosifs qu’il a fournies à Denis C., le chef des Barjols, l’ancien militaire explique « qu’en cas d’effondrement de la normalité », il était nécessaire de « miner son terrain ». « Ce n’est pas avec une arme, un fusil d’assaut, que vous allez repousser les assaillants. À l’armée, on nous apprend qu’il faut soit avoir une puissance de feu supérieure, soit avoir préparé le terrain à l’avance », explique Julien C. à un président du tribunal plutôt perplexe. Avant de lâcher :
« Moi, je voulais juste faire du survivalisme, les Barjols n’ont pas vraiment voulu s’armer et se préparer, ça m’a déçu. »
Il confie au tribunal qu’il envisageait toujours de le faire mais, rassurez-vous, « dans la légalité ». Il espère pouvoir bientôt tourner la page et reprendre sa passion, le tir sportif. « Ça me fait vraiment chier qu’on m’ait confisqué mes armes », détenues légalement, elles, conclut-il. Le résultat du procès devrait être annoncé à la mi-février.
Illustration de Une par Nayely Rémusat.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Faf, la Newsletter
Chaque semaine le pire de l'extrême droite vu par StreetPress. Au programme, des enquêtes, des reportages et des infos inédites réunis dans une newsletter. Abonnez-vous, c'est gratuit !
Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER