23 millions d’euros : c’est le budget prévu pour la construction du nouveau Centre de rétention administratif de Bordeaux (Cra). Il pourra enfermer 140 personnes simultanément « le temps d’organiser leur départ de la France ». En clair, leur expulsion. Ce projet est une conséquence directe des 20 mesures sur l’immigration instiguées par le gouvernement en 2019 qui promettait de déployer un « nouvel effort capacitaire de rétention administrative ». Bordeaux, qui a pour le moment le plus petit Cra de France, arrive tout en haut de la liste des nouveaux projets. Le ministère de l’Intérieur prévoit d’y construire un des plus grands centres de rétention de France métropolitaine. Les travaux sont censés débuter le plus rapidement possible pour une ouverture initialement prévue en 2023.
Sauf que ce Cra, personne n’en veut, en tout cas pas chez lui. Les collectifs de riverains s’organisent pour s’opposer à la construction du centre de rétention sur des terrains trop proches d’habitations. Les écologistes reprochent au projet le risque d’artificialisation des sols de l’Ouest de la petite couronne de Bordeaux. Et les associations humanitaires dénoncent les conditions de rétention et l’enfermement indigne. Les mobilisations successives ont permis d’immobiliser le projet. La préfecture a répondu à StreetPress que la décision du terrain était en attente d’un arbitrage du ministère de l’Intérieur. Bref : le projet est dans l’impasse.
Un Cra au bout du jardin
En mars 2020, un premier emplacement a été désigné par la préfecture à Pessac, commune située à l’Ouest de Bordeaux. Le Cra doit voir le jour, aux abords de la sortie 13 de la rocade, sur un terrain appartenant à l’État français.
« Sur ce terrain, le Cra aurait été construit dans le jardin des gens ! On aurait eu les barbelés devant les fenêtres des maisons », affirme Bernie, militante anti-Cra. « Et pas fréquentées des [habitants les] plus riches de Pessac », avouera plus tard Alain Anziani, président de la métropole lors d’un conseil.
Le premier terrain accueillerait le CRA et une annexe du tribunal judiciaire de Bordeaux. Le deuxième terrain, un parking de 120 places. / Crédits : Facebook - Crapasla
En février 2022, CraPasLà – un collectif de riverains – se constitue pour s’opposer au projet. Ils voient d’un mauvais œil la bétonnisation d’un espace vert « où nous aimons faire du vélo ». D’autant plus que Pessac subit déjà les nuisances sonores de l’aéroport et de la rocade.
Remontés, les riverains reprochent également aux élus de la métropole d’avoir organisé l’affaire sans les prévenir. Franck Raynal, le maire de Pessac, connaissait l’emplacement du projet depuis mars 2020. Il n’en aurait fait part aux Pessacais qu’au début de l’année 2022. La mairie justifie :
« C’est l’État qui est propriétaire du terrain et qui à la main sur le calendrier du projet »
CraPasLà déploie des banderoles aux abords de la sortie 13 et organise des marches et des manifestations qui réunissent plusieurs centaines de personnes. Franck Raynal se joint au collectif et élus et riverains finissent par faire remonter l’information auprès du ministère de l’Intérieur. En réponse, Alain Anziani, qui est aussi le maire de Mérignac – la commune voisine – propose un terrain au cœur du Bioparc. « Ce nouveau terrain, situé à Mérignac, est approprié et répond au cahier des charges du projet », assure la mairie de Pessac.
CraPasLà déploie des banderoles aux abords de la sortie 13 et organise des marches et des manifestations qui réunissent plusieurs centaines de personnes. / Crédits : Crapasla.fr
Lettre du collectif Crapaslà adressée au ministère de l'Intérieur. / Crédits : craspaslà.fr
Couper des arbres pour enfermer des exilés
Nouveaux terrains, nouveaux opposants. Tristan Lemmi, Mérignacais et membre fondateur du collectif NonCraBioParc, rapporte :
« Le Bioparc n’est pas du tout approprié à la construction d’un Cra ! »
Le terrain se situe en zone humide, un espace protégé et au cœur de la coulée verte. Un projet urbanistique en partie boisé destiné à préserver les espaces naturels de l’Ouest girondin. « Un véritable poumon juste à côté de la rocade », affirme Agnès Dohorty d’Aux arbres citoyens, association engagée dans l’opposition du projet. Cette dernière organise alors des marches avec le collectif NonBioParc pour sensibiliser le grand public à la biodiversité du Bioparc.
Le terrain du BioParc se situe en zone humide, à l'angle de la rocade et de l'avenue François Mitterand, selon la cartographie de l'Observatoire français de la biodiversité. / Crédits : Capture d'écran TVB Nouvelle Aquitaine
En effet, selon le Conseil national de la protection de la nature (CNCP) le Bioparc « constitue l’une des dernières grandes pénétrantes vertes de l’Ouest de l’agglomération », alors « que Bordeaux Métropole souffre déjà de l’ampleur des zones de chaleur ». L’instance gouvernementale avait déjà émis un avis défavorable à un autre projet, baptisé Innocampus qui aurait occasionné la bétonisation du même espace en 2019.
Tristan Lemmi continue :
« Le terrain du Bioparc ne répond pas non plus au cahier des charges de la construction du Cra. Pour des raisons de sécurité, un Cra nécessite au moins une entrée et une sortie. Ce qui n’est pas possible vu que le Bioparc est situé dans une impasse. »
Le riverain militant s’inquiète : « Quand on connaît le nombre de départs de feu dans un Cra, il y a de quoi s’inquiéter pour la forêt du Bourgailh qui se trouve à côté ». Une sensibilité partagée par Agnès Dohorty :
« Dès qu’il y a de fortes chaleurs, il y a des incendies [dans la région]. On l’a bien vu cet été. On veut que la métropole arrête de détruire des habitats naturels »
Lettre ouverte du collectif NonCraBioparc à destination de la préfète et des élus de Nouvelle-Aquitaine. / Crédits : NonCraBioparc
Pas de Cra du tout
Ce projet « va à contre-courant des besoins écologiques et sociétaux que nous avons », déclare Pauline Racato, accompagnatrice juridique au Cra de Bordeaux pour la Cimade, avant d’ajouter :
« La rétention est traumatisante quel que soit le lieu. Il y a beaucoup d’indignation et de souffrance dans ces lieux. »
« Cra pas là, mais surtout Cra pas du tout ! », lance Bernie, membre fondatrice du collectif Anti-Cra – ni ici, ni ailleurs. Ce dernier réunit des associations comme la Cimade et des partis politiques de gauche d’EELV au NPA en passant par le PS ainsi que des syndicats. Ensemble, les membres mènent des opérations de sensibilisation en tractant et en manifestant. Mais aussi des temps d’information : « tout le monde ne sait pas ce qu’est un Cra », relève Bernie. « Avant ce projet, je n’en connaissais pas l’existence », reconnaît Fabien Leroy, le directeur du cabinet du maire de Pessac.
Le collectif Anti-Cra - Ni ici, ni ailleurs, se mobilise devant le Conseil métropolitain le 8 juillet 2022. / Crédits : Collectif Bienvenue
Le président de la métropole, Alain Anziani, se veut rassurant sur ce projet : « Ce n’est pas une prison indigne. » Affirmation risquée. En 2021, deux hommes se sont donnés la mort rien que dans le Cra de Bordeaux, le plus petit de France avec ses 20 places. Le maire-président de renvoyer la balle :
« Ce nouveau Cra, c’est une décision d’État. La mairie ne fait qu’appliquer les décisions du ministère de l’Intérieur et de la préfecture. »
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