Stade Delaune, Reims (51) – Théo V. a la casquette beige vissée sur le crâne et la veste noire Stone Island bien zippée. Il est comme chez lui dans la tribune Jonquet lors de ce match entre le Stade de Reims et l’AS Monaco. Le gaillard n’est pourtant pas tout à fait un supporter comme les autres. Il est membre des MesOs Reims, un petit groupe de hooligans locaux plus accros à la castagne qu’au foot créé en 2012. Son noyau dur : une quinzaine de néonazis adeptes des fights en forêt et auteurs de multiples agressions de rues. Ce dimanche 18 septembre, StreetPress dénombre au moins huit MesOs en tribune. Ils saluent ultras et stadiers avec le sourire. L’un se pose aux côtés du capo, ce supporter chargé de lancer les chants. « Ils donnent l’impression d’avoir la main sur une partie de la tribune », soupire-t-on localement. Du côté du club, on assure prendre le problème au sérieux :
« L’objectif, c’est de mener un travail de fond et de les sortir du stade dès que possible. »
Sur les six derniers mois, six MesOs ont été ciblés par des interdictions judiciaires de stade. Théo V. est le dernier en date. À la fin de la rencontre, ce planificateur d’une grande marque de cosmétiques est embarqué avec un autre MesOs par la police pour être placé en garde à vue pour « dégradations volontaires », « violences avec armes par destination » et projectiles. « Il s’amusait à casser un siège avec les pieds avant de le lancer vers le bas de la tribune, au niveau des stadiers, ainsi que des gobelets. Ça a été constaté sur place par la police », raconte une source. Il a écopé d’un rappel à la loi et de six mois d’interdiction de stade.
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« Joyeux naziversaire » et croix gammées
Deux heures avant la rencontre, sur le parvis de l’enceinte, tout est pourtant fait pour passer un bon moment en famille : la mascotte du club, Auguste, prend la pose avec les enfants pour les photos, tandis qu’un groupe de musique reprend des classiques de jazz et de rock à côté de la statue de Raymond Kopa. Une image qui tranche avec celles publiées par les MesOs sur les réseaux. Sur de nombreux clichés où ils posent ensemble, ces hools effectuent des saluts nazis. Comme en mai dernier, lors d’un déplacement à Lorient où ils ont tendu le bras sur une plage.
Lors de leur déplacement à Lorient en mai 2021, les MesOs se sont arrêtés sur une plage voisine pour faire des saluts fascistes. En caleçon de bain et faisant un salut nazi, il s'agit d'Edwin Dailly, multicondamné pour ses violences aux abords des stades. / Crédits : Via Donatien Huet
Lors de leurs fights, les MesOs posent en affichant des symboles d'extrême droite. Ici, à gauche, un membre a des croix gammées sur son t-shirt. / Crédits : DR
Ils font aussi le salut de Kühnen, une variante à trois doigts du salut nazi. Certains vont même jusqu’à le reproduire dans des boîtes de nuit, au milieu des fêtards. Et quand ils se prennent en photo pour leurs fights, ils s’affichent avec des croix celtiques ou des croix gammées sur leurs t-shirts. Mais chez les MesOs, la palme revient probablement à Yann D. Comme l’a révélé Mediapart, ce commercial rémois propre sur lui s’est filmé en juin 2020, après l’attaque du bar antifasciste le Saint-Sauveur, en chantant « Joyeux naziversaire ». Autour de Yann, une petite assemblée composée de Zouaves Paris – dont Marc de Cacqueray-Valménier – a repris en choeur avant de conclure par un « Sieg Heil », le cri nazi.
Sur cette photo révélée par le site antifasciste suisse Renversé, le MesOs Yann D. (au fond, avec le pull bleu) est allé voir les fights des combattants d'extrême droite Yanek et Tomasz Skatulsky (au fond au centre et à droite) en Suède en 2020. Ce dernier est aussi un membre de la Losc Army. / Crédits : DR-Renversé
Pourtant, dans les tribunes des stades, surtout à domicile, les MesOs se limitent. Un membre du club commente :
« Ils ne sont pas fous. Ils savent qu’ils sont exposés. »
Des bagarreurs pas téméraires
En marge de leurs présences au stade, les MesOs participent évidemment à des « fights », des combats entre groupes d’hooligans qui souhaitent confronter leurs forces. Depuis 2021, les MesOs en ont organisé au moins dix, pour la moitié de défaites, contre des équipes françaises ou étrangères.
Les MesOs font de nombreux fights, comme ici en septembre 2021 face aux Belges de Molenbeek. Un hooligan des Jeunesse Boulogne, un faux-nez des Zouaves Paris, les accompagne. / Crédits : DR
Lors de leurs fights, ils arborent aussi le symbole de la croix celtique, symbole de l’extrême droite nationaliste. / Crédits : DR
L’un des derniers était en mars 2022, dans une zone industrielle de la banlieue rémoise. Un contingent de 80 MesOs renforcés par des Zouaves Paris et des indeps de l’ancienne tribune Boulogne ainsi que la Camside Tolosa a affronté 45 hools des Strasbourg Offender, des Brizak Nancy et de Rouen. Le combat a été violent et certains Rémois et Parisiens ont ramené des armes. En conséquence, plusieurs des crânes rasés ont terminé à l’hôpital. Une vengance des indeps rémois envers les Alsaciens, qui les avaient battus à 25 contre dix en novembre dans une banlieue de Strasbourg.
Jamais rassasiés question bagarre, les MesOs n’hésitent pas à tenter des fights avec de simples fans. Le 4 septembre dernier, avant Reims-Lens, ils sont par exemple venus brancher plusieurs petits groupes de supporters nordistes non-ultras dans le parc Léo Lagrange, qui jouxte le stade Delaune pour des combats individuels ou à 15 contre 15. Par contre, ils ne se sont pas attaqués aux ultras des Red Tigers, également présents en ville pour ce match.
Des actions politiques
Ils se font parfois condamner pour ces violences. Edwin Dailly a déjà été présenté par StreetPress en 2020. Lors du match contre Monaco, ce trentenaire a déambulé avec sa fille, habillé d’un t-shirt de la Camside, un groupe de hools toulousain ami. Il a auparavant été condamné à au moins trois reprises dans les années 2010. Deux fois pour des violences aux abords du stade Delaune contre des Bastiais ou des Lensois et une fois pour une attaque à la ceinture en métal dans la rue contre des « sales rouges ».
Sur la photo de gauche, le membre des MesOs excentré à droite qui fait un salut nazi est Edwin Dailly. Sur l’autre photo, c’est un salut de Kühnen. / Crédits : DR
Après un fight qui n'a pas eu lieu contre des Belges d'Anderlecht, les MesOs se sont rattrapés en faisant une flopée de saluts nazis. / Crédits : DR
En plus de leurs actions dans le stade, les MesOs s’engagent également dans les mouvements politiques. Plusieurs de leurs membres ont défilé dans des manifestations contre le pass sanitaire l’année dernière, derrière des banderoles de l’Action française, comme l’a révélé le site antifasciste La Horde. Pour l’occasion, ils ont fait des stickers : « Porter un masque ne protège pas », avec une photo du militant antifasciste Clément Méric, tué en 2013 par l’extrême droite. Certains se sont également pris en photo avec Marine Le Pen ou ont appelé à se mobiliser pour sa venue à Reims en février dernier. Les MesOs avaient déjà participé aux premières manifestations de Gilets jaunes. Lors de l’acte XI du mouvement, en janvier 2019, ils avaient attaqué le cortège du NPA avec un contingent de Zouaves et de Strasbourg Offender – avec qui ils étaient encore amis. Les militants anticapitalistes avaient subi des jets de pavés et d’une barrière de chantier.
Plusieurs de leurs membres ont défilé dans des manifestations contre le pass sanitaire l’année dernière. Pour l’occasion, les MesOs ont fait des stickers avec une photo du militant antifasciste Clément Méric, tué en 2013 par l’extrême droite. / Crédits : DR
Les MesOs en 2018. Au centre, avec la casquette et les lunettes de soleil relevées, on reconnaît Hadrien M., hooligan du groupuscule politique dissous Zouaves Paris – et de leur faux-nez sportif, Jeunesse Boulogne. / Crédits : DR
Comme StreetPress le racontait en 2020, les MesOs ont attaqué huit fois un local associatif de Reims, proche de la gauche radicale, entre 2015 et 2018. Des habitués avaient raconté comment ils avaient saccagé le local et agressé les personnes présentes, avant de les menacer de les « buter » et de « cramer [leur] baraque ». Le tout en criant : « MesOs ! MesOs ! Hooligans ! ». Une militante avait soufflé :
« Ils sont violents et je pense qu’il est possible qu’ils finissent par tuer quelqu’un. »
Les patrons de la tribune
T-shirt noir, sweatshirt enroulé autour de la taille, Alex T. débarque dans la tribune Jonquet quinze minutes avant le début du match entre le Stade de Reims et l’AS Monaco. Passé l’entrée, il vient se marrer avec un stadier. L’homme à la carrure imposante est comme chez lui ici, à l’image de la plupart des MesOs. Ils vont surtout se placer avec les Ultrem, le groupe ultra local, dont ils sont pour beaucoup issus.
Lorsque l’arbitre décide d’expulser un joueur rémois, Alex T. se met même sur le perchoir et galvanise les troupes qui reprennent les insultes lancées par le capo des Ultrem, réputé proche des MesOs. Les liens entre les deux entités interrogent. Lors des 25 ans du groupe ultra il y a moins d’un an, les MesOs et Alex T. étaient en tête de cortège avec leur drapeau. Théoriquement, les Ultrem se revendiquent apolitiques – comme presque la totalité des groupes ultras français. Pourtant, leur ancien président a grenouillé avec l’Action français et été le candidat zemmouriste local aux dernières législatives. Ils n’ont rien fait lorsque les MesOs ont affiché une croix celtique en secteur visiteur lors d’un match à Lorient en mai dernier.
Lors des 25 ans du groupe ultra il y a moins d’un an, les MesOs et Alex T. étaient en tête de cortège avec leur drapeau (à gauche). / Crédits : Capture d'écran lequipe.fr
Les hooligans MesOs Reims ont affiché un drapeau à croix celtique dans le parcage du stade de Lorient, lors d'un match le 1er mai dernier. / Crédits : DR
« Je pense que Reims est un des pires cas de connivences entre les ultras et les hooligans », soutient un référent supporter d’un club français. « C’est un club où les ultras ne sont pas si nombreux et puissants. Un petit groupe d’indeps bien organisé allié à une dizaine de Parisiens qui ne peuvent plus aller au Parc, tout de suite ça fait un petit noyau avec un potentiel de nuisance fort. Ailleurs, ils pourraient avoir moins de poids mais à Reims, cela donne une visibilité importante », analyse le sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste des supporters.
Contactés, le groupe ainsi que plusieurs Ultrem ont refusé de répondre aux questions de StreetPress et de L’Équipe. En privé, on rappelle qu’il y a eu un changement de bureau cet été chez les ultras. Une prise de pouvoir aurait eu lieu de la part d’une partie « moins radicale », plus dans le dialogue avec le club. Mais les Ultrem, dont la majorité sont assez jeunes – entre 20 et 25 ans –, auraient « peur » des plus vieux MesOs. Un observateur local détaille :
« Les échanges sont à l’initiative des MesOs. En face, il y a peu de répondant. La frontière est mince mais ces Ultrem ne sont pas tout à fait d’accord avec tout ce que font les MesOs. Mais ils n’ont pas le courage de prendre la main sur la tribune et de les foutre dehors. »
Un groupe que le Stade de Reims veut combattre
« J’ai du mal à comprendre qu’on laisse ces mecs agir en quasi impunité et foutre la merde », répond un supporter actif de Reims, qui ne souhaite pas que son nom apparaisse par peur de ces indeps violents. Face à ce profil, le Stade de Reims affirme avoir une position claire. « C’est un groupe qu’on ne reconnaît pas et pour lequel on cherche toutes les billes et les éléments qui peuvent nous permettre de les écarter de nos tribunes », indique-t-on.
Les MesOs sont présents en tribune, à côté du perchoir des ultras. Sur cette photo qui date de quelques saisons, deux d'entre eux sont présents. L'un était à nouveau dans les travées pour le match face à Monaco. / Crédits : DR
Le club rappelle les propos du président du club Jean-Pierre Caillot en mai dans l’Union, après la croix celtique à Lorient : « Qu’ils ne viennent pas au stade Auguste-Delaune, ils ne sont vraiment pas les bienvenus. » Pour l’instant, ils semblent s’y sentir encore très bien.
StreetPress a contacté plusieurs MesOs. Un seul a répondu avec une photo scabreuse avant d’écrire qu’il n’avait « rien à dire ».
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