« Une présidente femme, j’aimerais bien. Une maman des Français, quelqu’un qui rassemble. Quelqu’un qui protège avec une sensibilité de femme. » Sur le plateau de Cyril Hanouna, le 13 avril, l’ancienne Miss France et chroniqueuse télé, Delphine Wespiser dévoile son intention de vote. Ce sera Marine Le Pen. « Elle a changé » jusqu’au nom de son parti, insiste-t-elle. Le lendemain, plusieurs dizaines d’articles dans la presse people, féministe mais aussi généraliste relaient sa prise de parole.
Une séquence qui parachève le projet de dédiabolisation théorisé par le Rassemblement national depuis plusieurs années. Plusieurs cadres importants du parti, comme Florian Philippot en son temps ou Philippe Olivier ont défini les lignes de force de cette stratégie, aidés par d’autres artisans plus discrets. StreetPress s’est procuré deux fiches, rédigées entre février et avril 2021. Elles sont signées par Clarisse Mérigeot-Cassaignau, une ancienne journaliste people, passée par Entrevue notamment, reconvertie dans la communication. Elle a longtemps travaillé pour Jeremstar.
Dans ses fiches, elle conseille à Marine Le Pen de « s’humaniser » en insistant sur son statut de « femme », de « mère » et de fendre l’armure afin de créer de la proximité avec les Français et in fine les convaincre de voter pour elle. L’autrice de ces notes suggère aussi de créer le buzz autour de personnalités révélant voter pour Marine Le Pen. Le passage de Delphine Wespiser sur le plateau de TPMP est un parfait condensé de sa stratégie.
Gauthier Bouchet joue les intermédiaires
« Comment avez-vous eu ces documents ? » Au téléphone, Gauthier Bouchet, conseiller régional RN des Pays de la Loire et fils du théoricien Nationaliste Révolutionnaire Christian Bouchet, ne semble pas très à l’aise. C’est pourtant lui qui, selon nos informations, a joué les entremetteurs entre Clarisse Mérigeot-Cassaignau et la candidate. « J’ai juste transmis des notes assez banales aux équipes de Marine Le Pen », assure-t-il, évasif.
Contactée par StreetPress, Clarisse Mérigeot-Cassaignau confirme « avoir proposé ses services via LinkedIn auprès de monsieur Bouchet » et avoir réalisé « deux fiches ». « Mais ça n’a pas été plus loin, je n’ai jamais travaillé avec le Rassemblement national. J’ai proposé mes services, il n’y a pas eu de suite », assure la communicante. Elle estime toutefois que « certains conseils ont sûrement été suivis ».
Clarisse Mérigot-Cassaignau a fait des fiches pour Marine Le Pen. Elle lui conseille de « s’humaniser » en insistant sur son statut de « femme », de « mère » et de fendre l’armure. / Crédits : DR
Le patron de la fédération RN de Loire-Atlantique a une version légèrement différente. « Elle a tenté une première prise de contact avec l’équipe de Marine Le Pen en février 2021, je ne sais pas par quel intermédiaire, je ne m’en souviens plus. Puis elle est passée par moi pour relancer, en juin-juillet. Je ne la connaissais pas avant qu’elle me contacte, je n’ai pas gardé contact », explique Gauthier Bouchet. Pourquoi l’a-t-elle contacté lui ? « Je lui ai dit que je n’étais pas la personne idoine… », répond celui qui a pourtant été l’artisan du passage aux réseaux sociaux du RN au début des années 2010.
Gauthier Bouchet, recommandé par David Rachline, était chargé de l’animation des réseaux sociaux pour le FN. C’est lui qui a ouvert, et administré un temps, les premiers comptes Twitter officiels de Marine Le Pen et du parti, alors le premier à se lancer sur ce réseau. Il a également géré la page Facebook de celle qui allait devenir présidente du FN et a créé celles de Marion Maréchal et Florian Philippot. Plutôt un connaisseur, donc.
Des conseils suivis
Qu’a-t-il pensé des conseils de Clarisse Mérigot-Cassaignau ? « C’étaient des banalités : incarner, être femme, la transmission… Il n’y a pas besoin d’être grand clerc », balaye-t-il. Et pourtant, il a quand même fait remonter, même s’il assure ne plus se souvenir à qui :
« Ce n’étaient pas des insanités donc j’ai transmis. »
Ces documents, StreetPress a pu les consulter. Ce sont donc deux fiches d’analyse à destination de la présidente du RN produites entre février et avril 2021. La première concernait des remarques sur « l’image générale de Marine Le Pen et de son parti » ainsi que des axes de réflexion. La proposition est « d’humaniser » Marine Le Pen, d’insister effectivement sur son statut de « femme », de « mère » et de fendre l’armure afin de créer de la proximité avec les Français et in fine les convaincre de voter pour elle.
La seconde est une analyse du grand entretien que Marine Le Pen a donné sur la chaîne YouTube de Valeurs actuelles en avril 2021 dans laquelle l’auteure se félicite que ses premiers conseils aient été entendus. Clarisse Mérigeot-Cassaignau insiste encore sur la nécessité de mettre en scène les réseaux sociaux de Marine Le Pen. De poster des photos plus personnelles, aussi, des clichés où elle est plus jeune ou vaquant à des activités de la vie quotidienne, dit-elle, en prenant l’exemple d’Emmanuel Macron.
Lors de son meeting à Reims en février dernier, Marine Le Pen a mis en place les conseils de Clarisse Mérigeot-Cassaignau, en racontant à son public dans une ambiance intimiste ses « épreuves de vie ». / Crédits : DR
Certaines de ces recommandations semblent avoir été suivies. Le 14 avril 2021, sur Instagram, une photo de Marine Le Pen jeune et en robe d’avocate est publiée. Un peu moins d’un mois plus tard, celle qui est pourtant si discrète sur sa vie personnelle se livre à des confidences sur sa séparation avec Louis Aliot survenue deux ans plus tôt. Elle y insiste notamment sur son rôle de mère désormais célibataire de trois grands enfants. Des déclarations sur sa vie sentimentale qu’elle va rééditer en octobre de la même année.
Clarisse Mérigeot-Cassaignau conseillait aussi de créer le buzz autour de personnalités révélant voter pour Marine Le Pen. Une formalité selon elle, mais en réalité pas une mince affaire tant le RN sent encore le soufre pour les milieux de la culture et du sport de haut niveau. Hasard ou coïncidence, l’humoriste Philippe Chevalier annonce à Valeurs actuelles son « coming-out » (dixit VA) lepéniste trois mois plus tard.
Clarisse Mérigeot-Cassaignau conseille de créer le buzz autour de personnalités révélant voter pour Marine Le Pen. Hasard ou coïncidence, l’humoriste Philippe Chevalier annonce plus tard son soutien lepéniste. / Crédits : DR
Acmé de cette mue intimiste de Marine Le Pen, son meeting à Reims en février dernier. Une fois son discours bouclé, elle se livre à un exercice pour le moins inédit. Elle fait baisser les lumières de la salle et s’approche au plus près de ses militants. L’atmosphère est à la confidence. « Maintenant, mes amis, je vais prendre quelques minutes pour vous parler de moi, parce que je crois que l’élection à la présidence de la République, c’est d’abord une rencontre entre le peuple et un homme ou une femme, et en l’occurrence une femme », lance-t-elle avant de consacrer une dizaine de minutes à raconter ses « épreuves de la vie », de parler de sa famille, de s’épancher devant les caméras sur sa maternité et de fustiger les trahisons dont elle a été victime. Un portrait qui résonne avec la Marine Le Pen brossée par Clarisse Mérigeot-Cassaignau.
La pro de la com' dans la téléréalité conseille à la candidate à l'élection présidentielle d'accentuer sa féminité. / Crédits : DR
Parler à l’électorat de Le Pen
Au premier abord, Clarisse Mérigeot-Cassaignau n’a pas tout à fait le profil de la conseillère en communication politique. S’il n’est pas rare de voir des ex-journalistes endosser cette casquette, ils ont en général fait leurs armes au Figaro ou sur France Télévision, pas à Entrevue. Après plusieurs années dans la presse people, Clarisse Mérigeot-Cassaignau a été la conseillère com’ de Jeremstar, un vidéaste spécialisé dans la téléréalité. De 2014 à 2020, elle est la proche collaboratrice de cette personnalité médiatique qui s’était notamment fait connaître grâce à des interviews de peoples dans son bain.
Clarisse Mérigeot-Cassaignau est à la fois celle qui gérait ses réseaux sociaux et celle qui l’aidait à écrire ses chroniques lorsqu’il participait à l’émission Salut Les Terriens de Thierry Ardisson. Elle a également coécrit plusieurs de ses livres et l’un de ses spectacles. A priori, tout ça n’a pas grand-chose à voir avec Marine Le Pen, sauf peut-être… la cible. La candidate d’extrême droite fait le plein auprès des jeunes ruraux ou périurbains, issus de milieux populaires. Ce qui correspond à une bonne partie de l’audience de Jéremstar.
Jeremstar n’a rien à voir avec tout ça
« Je ne travaille plus avec elle depuis deux ans et on n’a plus aucun contact », soupire Jeremstar, pas vraiment ravi d’être lié malgré lui à cette affaire :
« Je n’ai aucune légitimité pour m’exprimer sur la politique et je ne voudrais vraiment pas que les gens pensent que j’ai quelque chose à voir avec Marine Le Pen et tout ça. »
Le trentenaire craint pour son image mais aussi et surtout d’être victime d’une vague de cyberharcèlement, comme Delphine Wespiser. L’ex-miss France a déclaré, sur le plateau de Cyril Hanouna toujours, avoir reçu « des milliers d’insultes, des milliers de menaces » après son soutien à Marine Le Pen. Au téléphone Jeremstar explique avoir été à plusieurs reprises victime de cyberharcèlement massif :
« J’ai monté une plateforme pour venir en aide aux victimes et j’ai à plusieurs reprises été soutenu par le gouvernement actuel. J’ai rencontré Laetitia Avia [députée LREM (1)] et Cedric O [secrétaire d’État]. Pour les aider à avancer sur le problème. Et Brigitte Macron m’avait envoyé un courrier. »
Pas vraiment des soutiens de Le Pen, effectivement.
Contactée, l’attachée de presse de Marine Le Pen n’a pas répondu à nos sollicitations.
(1) La députée est à l’origine d’une loi de lutte contre la haine sur Internet, alors que Mediapart a révélé en 2020 que cinq de ses ex-assistants parlementaires l’accusaient d’humiliations au travail.
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