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    03/01/2022

    Entretien avec le chercheur Nicolas Lebourg

    Zemmour a baptisé son parti « Reconquête ! » : un nom chargé de sens pour l’extrême droite

    Par Maxime Macé , Pierre Plottu

    Zemmour a baptisé son nouveau parti « Reconquête ! ». Un nom qui fait référence à la « Reconquista » espagnole mais aussi aux théories d’un penseur issu de la Nouvelle droite, le très radical Guillaume Faye. Explications du chercheur Nicolas Lebourg.

    Eric Zemmour a baptisé son nouveau parti « Reconquête ! ». Comme l’ont noté différents journaux (Libé notamment), ce nom fait référence à la « Reconquista ». En Espagne, cette période historique qui va du VIIIe au XVe siècle est marquée par l’expulsion de la péninsule ibérique des juifs et des musulmans. Pour le spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg, chercheur au Centre d’études politiques de l’Europe latine à l’université de Montpellier, ce nom fait aussi référence à une histoire bien française.

    L’idée de « reconquête » est-elle nouvelle à l’extrême droite ?

    Elle est mise à la mode il y a plus de vingt ans par Guillaume Faye, un théoricien issu de la Nouvelle droite et dont le livre posthume a été récemment publié par le nationaliste banc Daniel Conversano sous le titre de Guerre civile raciale. Alors que dans les années 1980 Faye appelait à l’union d’action des nationalistes européens avec les musulmans contre le « mondialisme » et le « sionisme », il publie en 2000 un ouvrage La Colonisation de l’Europe, où il appelle à la « Reconquista » contre l’Islam. On est dans le contexte de la guerre du Kosovo, où les nationalistes serbes prétendaient défendre leur peuple contre des musulmans qui chercheraient à le génocider pour établir un État islamique. On est aussi dans le contexte de la scission du Front national menée par Bruno Mégret qui, le premier, tente de faire une campagne électorale sur “l’islamophobie,” aux européennes de 1999 puis à la présidentielle de 2002. Faye a galvanisé et réorienté les jeunes radicaux en particulier : ceux qui allaient devenir les cadres des Identitaires, comme Philippe Vardon ou Fabrice Robert, ont alors un groupe de rock, d’ailleurs très récemment reformé, qui sort un album « Reconquista » avec un titre « Islam hors d’Europe ». C’est vraiment entre la guerre du Kosovo et le 11 septembre 2001 que l’islamophobie commence à s’étendre dans la radicalité de droite.

    Est-ce la seule référence d’Eric Zemmour à Guillaume Faye ?

    Éric Zemmour reprend à Faye l’idée que l’acte de délinquance commis en bas de chez soi par un Maghrébin c’est aussi une des attaques du djihad, il l’a encore déclaré fin septembre. Ça c’est du Faye. Mais le serpent se mord la queue : des militants d’extrême droite qui considéraient que Faye poussait dangereusement au terrorisme l’avaient enregistré avec un micro-caché. L’auteur expliquait qu’écrire son livre avait été simple, tant il avait pu puiser dans Le Figaro des faits-divers choisis pour l’ethnicité de leurs auteurs. Il y a une convergence de critiques de la société multi-ethnique qui travaille en sourdine. Détail amusant : Faye déclarait aussi « l’extrême droite n’a jamais voulu les chasser [les immigrés], c’est moi qui ai dit “ il faut les chasser ! “. Mais quand je le dis, j’y crois pas ! J’y crois pas mais il faut le dire ! » car les militants seraient, selon lui, « des mongoliens »… Anecdote moins plaisante : dans les arrestations depuis les attentats de 2015 d’apprentis-terroristes on trouve un ex-militaire, déclarant s’être formé intellectuellement par la lecture de Faye, qui avait incendié une mosquée et a été arrêté alors qu’il voulait en attaquer une autre à l’arme lourde.

    Sur ce la notion de djihad justement, Éric Zemmour en fait la continuité de la guerre d’Algérie. D’où vient cette idée ?

    Depuis les attentats de 2015, Éric Zemmour n’a cessé d’expliquer que ceux-ci étaient la suite de la guerre d’Algérie. C’est une idée qu’on avait de suite voulu déconstruire avec Jérôme Fourquet. Ça paraît saugrenu et sans importance à nombre de nos élites les représentations de la guerre d’Algérie. Mais l’argument, qui a été repris par Philippe de Villiers et par Robert Ménard, est au cœur de nombre de dérives terroristes de droite depuis, en particulier avec le groupe Action des Forces Opérationnelles. Zemmour donne du sens et du lien transgénérationnel aux traumatismes de 1962 et 2015 : tant qu’à gauche on se refusera à regarder ça en face on n’aura rien compris à ce qui se joue.

    La « reconquête » est-elle un thème porteur hors de France ?

    Là aussi on va des populistes se présentant aux élections à ceux tendant vers les radicalités violentes. En Espagne, le parti Vox multiplie les références fortes à la Reconquista, l’une de ses figures ayant même déclaré qu’elle n’était pas achevée. De l’autre côté, un réseau pan-européen « Reconquista » avait été lancée en 2017 en Ukraine, dans une ambiance assez nazifiante. Pour les Français, on y trouvait le GUD Lyon, juste avant qu’il ne lance le Bastion social.
    Afin de préserver la tranquillité des fêtes de chacun, cette interview a été menée par mail.

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