C’est une vidéo de 22 secondes. On y voit des policiers avec leurs motos sous un immeuble. Deux d’entre-eux emmènent un homme à l’écart, Kerim (1). Quelques secondes plus tard, un des pandores lui met un violent coup de tête avec son casque. Pourtant, le 7 janvier dernier, au tribunal de Nanterre, c’est bien Kerim qui est jugé pour « outrage à agents », « rébellion » et « menace de commettre un crime ». StreetPress rembobine l’histoire.
Des policiers du 93 chez les voisins
L’affaire remonte au 8 juillet 2018. La France vibre au rythme de la Coupe du Monde, à l’approche de la demi-finale avec la Belgique. Dans la cité La Caravelle à Villeneuve-la-Garenne (92), des policiers en moto sont passés contrôler la veille un dénommé « Sirou ». Ces derniers ne sont pas des Hauts-de-Seine (92) mais de Seine-Saint-Denis (93). « C’est très bizarre qu’ils soient venus là. On n’arrive pas à comprendre. Ils n’ont aucune connaissance du quartier », s’interroge maître Steeve Ruben, qui défend Kerim. D’après lui – 26 ans à l’époque – les motards ont annoncé « qu’ils allaient revenir chaque jour pour taper des gens ». « Ils ont joué les cow-boys », a-t-il déclaré à l’IGPN, selon un PV que StreetPress a pu consulter.
Le 8, il est environ 19h quand ils débarquent à nouveau. D’après les pandores, ils sont là après avoir poursuivi des individus en scooter sur L’Île-Saint-Denis, à la frontière avec le 92 et Villeneuve-la-Garenne. Ils viennent prêter main-forte à une équipe de la BAC, qui souhaite cette fois interpeller le fameux « Sirou ». L’homme leur glisse entre les doigts. Kerim, qui a assisté à toute la scène, est alors ciblé par les policiers :
« [Ils] m’ont dit : “Hier, tu disais qu’on allait taper personne, tu seras le premier, on va commencer par toi”. »
Coup de boule et coups de poings
Les bleus l’emportent sous le porche du square en lui faisant une clé de bras. Selon Kerim, ils lui auraient donné « des coups-de-poings au bas-ventre et des coups de genoux dans le bas du dos ». Lui se serait débattu « vigoureusement et de manière violente », selon les policiers. Dans leur PV, ils invoquent un « balayage » pour l’amener au sol. Un des agents aurait ensuite été « contraint de le repousser vigoureusement en portant sa main droite au niveau de la mâchoire de l’individu ». « J’ai pris peur et j’ai résisté aux policiers », concède de son côté Kerim à l’IGPN.
C’est alors qu’un des motards du 93 lui met un coup de tête avec son casque. Un coup violent, comme le montre la vidéo qu’a pu se procurer StreetPress. Mais dans le PV, les fonctionnaires plaident l’accident : le casque se serait « refermé lors de l’échauffourée et a heurté le front de l’individu ». La faute à pas de chance…
« On va remettre de l’ordre dans le 92 »
Malgré le coup de casque, l’interpellation continue et Kerim chute « lourdement au sol ». Sa tête « heurte la portière » de la voiture de la BAC, selon le récit des policiers. « L’un d’eux me parlait à l’oreille en me disant : “On va te niquer ta mère, sale fils de pute. On va te montrer c’est quoi la cité chaude. On opère dans le 93, on va remettre de l’ordre dans le 92” », confie le jeune Villenogarennois à l’IGPN. Les policiers, eux, parlent dans leur rapport d’une grande hostilité de la part des habitants présents. Lorsqu’ils embarquent Kerim pour le commissariat de Villeneuve-la-Garenne, ils auraient reçu « une pluie de projectiles en verre ». Toutefois, aucun fonctionnaire n’a été blessé et aucune voiture n’a été endommagée, comme le notent les policiers dans le compte-rendu d’interpellation.
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Au commissariat, là-encore, les versions divergent entre Kerim et les policiers. Les seconds expliquent que le jeune homme a tenté de s’enfuir à deux reprises et qu’ils l’ont arrêté avec « un étranglement arrière » puis « un balayage » qui le fait chuter. Les policiers précisent qu’il « s’est cogné la tête sur [un] banc » en tombant. De son côté, Kerim concède qu’il a bien tenté de s’échapper mais pour « [fuir] les coups ». Il raconte qu’un des trois motards aurait demandé à leurs collègues du 92 « s’il y avait des caméras ». Suite à la réponse négative, l’un d’eux aurait frappé le jeune homme avec « une série de coups de poings au visage pendant 60 secondes ». Un autre l’aurait ensuite fait tomber au sol et il aurait reçu « des coups de poings et de pieds au visage et au corps, partout sans raison » :
« Je me suis débattu, je ne me suis pas laissé menotter car ils voulaient me taper. J’ai pris peur car c’est l’instinct humain. »
Après 22h de garde-à-vue, le jeune homme sort avec « un nez fracturé, des hématomes aux bras [et] une plaie au genou gauche ». Mais il est surtout poursuivi par les policiers pour rébellion, outrage à agents et menace de commettre un crime.
Une enquête de l’IGPN à ajouter au dossier
S’il est visé par ces chefs d’accusation, c’est parce Kerim aurait menacé les motards lors de l’interpellation à La Caravelle. Selon eux, le vingtenaire aurait encouragé les autres jeunes à « [les] caillasser et [les] baiser » puis les auraient menacé : « Je vais vous tuer un par un. Niquez vos mères, bande de fils de putes ». Pourtant, dans le même PV, les policiers écrivent que Kerim « est encore calme et qu’aucune résistance n’est à constater » lors de son interpellation. De son côté, le Villenogarennois conteste avoir insulté les policiers et a déposé plainte pour violences auprès de l’IGPN le 30 juillet 2018.
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L’affaire est ensuite passée deux fois devant le tribunal, le 28 mai 2019 et le 7 janvier 2020. « J’ai fait une demande de renvoi à chaque reprise car l’enquête de l’IGPN n’a toujours pas été versée au dossier et j’aimerais bien savoir ce qu’il s’est passé selon eux », explique maître Ruben, qui est également connu comme étant l’avocat du rappeur Fianso. La prochaine échéance du procès aura lieu le 2 juin 2020. Contacté, le parquet de Nanterre, qui gère le dossier, a expliqué que l’enquête de l’IGPN ne leur était pas encore parvenue. Elle aurait pourtant été transmise par l’IGPN depuis un mois, d’après nos informations. La préfecture des Hauts-de-Seine a, elle, refusé de commenter en raison de la judiciarisation de l’affaire.
L’avocat concède que l’interpellation n’était « pas facile, ça semblait houleux ». Mais il rappelle que son client « n’a pas de casier, il n’a rien demandé à personne, ce n’est pas un délinquant. Il n’était pas recherché ». Il poursuit :
« Ce n’est pas nouveau les violences policières. Si on n’a pas la vidéo, on en conclut que le casque se referme et c’est vraiment pas de chance, car les policiers le disent. »
(1) Le prénom a été changé
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