Mercredi 3 août – Le compte Twitter de Tatiana Egorova, membre du service de presse du gouvernement de l’autoproclamée République Populaire de Donetsk (DNR), publie un étrange message, taguant au passage les services de sécurité ukrainiens (SBU) :
« Moi, Egorova Tatiana S., employée du MGB [ministère de la Sécurité nationale, ndlr.] de la DNR, je ne peux plus mentir et je ne veux plus permettre à d’autres de le faire. »
Le tweet comporte un lien Dropbox qui sera désactivé quelques heures plus tard. Il renvoie vers 1.449 mails et 2.773 pièces jointes issus de la boîte mail de Tatiana Egorova, soit la plus importante fuite de documents émanant du « gouvernement » de ce territoire de l’Est de l’Ukraine où des séparatistes prorusses ont pris le pouvoir au printemps 2014, déclenchant une guerre toujours en cours. StreetPress a pu consulter ces documents et les a consciencieusement épluchés.
Une correspondance qui permet de comprendre en détail l’implication de Français pour la plupart liés aux différentes chapelles de l’extrême droite dans le conflit. Combattants « volontaires » passés par Troisième Voie ou le Bloc Identitaire, propagandistes en charge du fichage des journalistes qui couvrent le conflit, humanitaires très politisés, proches de Marine Le Pen, chercheur ou barbouzes, grâce à ces docs nous découvrons qu’ils sont plusieurs dizaines de Français à venir dans le Donbass, servir la cause de ce petit état auto-proclamé soutenu par le Kremlin.
Vive la France ! / Crédits : DR.
Rien ne permet cependant de confirmer que cette collaboratrice du service de presse de la république séparatiste est à l’origine de la fuite. Christelle Néant, une Française qui collabore à ce service depuis Donetsk, affirme à StreetPress que Tatiana Egorova a conservé ses fonctions. Elle ne conteste pas la véracité des documents, mais défend la thèse d’un piratage. Une hypothèse crédible, d’autant que le groupe de nationalistes ukrainiens Mirotvorets a déjà par le passé mis en ligne plusieurs documents volés, dans le but de s’attaquer aux journalistes ayant mis les pieds à Donetsk.
Au fil des mails, StreetPress a recensé 23 noms de Français partis prendre les armes aux côtés des séparatistes. Une liste non-exhaustive, car selon Christelle Néant, ils seraient entre 35 et 40 à s’être engagés depuis 2014. Ex-militants de Troisième voie, du Bloc Identitaire ou du Parti de la France, adeptes de la quenelle… Sur le front, presque toutes les chapelles de l’extrême droite française sont représentées. À leur arrivée à Donetsk – souvent via la Russie – ils sont interrogés par les services du « ministère de la Sécurité nationale » (MGB) avant de rejoindre un bataillon. Aucun document n’évoque de rémunération, mais plusieurs Français, joints par StreetPress, confirment toucher une paye de 15.000 roubles (200 euros) par mois.
Des « volontaires » au passé chargé
L’Unité Continentale, qui se voulait franco-serbe, regroupe les premiers combattants français arrivés sur place. Sept ou huit « volontaires » débarqués pour les premiers en juin 2014 et passés par différents groupuscules d’extrême droite radicale en France. « L’Unité Continentale est l’organisation de nos jeunes volontaires. Ils appartenaient à Troisième voie, ils sont de vrais anti-impérialistes et ne sont pas des néonazis», expliquait très sérieusement le président du Réseau Voltaire France, Alain Benajam dans une interview donnée à Sputnik en juillet 2014. Pourtant Troisième voie, groupuscule skninhead « national révolutionnaire » dirigé par Serge Ayoub, a été dissout en 2013, suite à l’assassinat de Clément Meric.
Photo de classe. / Crédits : DR.
A l’origine d’Unité Continentale, deux ex-militaires : le franco-serbe Nicolas Perovic et Victor Alfonso Lenta, passé par le Bloc Identitaire et les Jeunesses Nationalistes (un groupuscule néo-fasciste, également interdit en 2013). Ce dernier a été radié de l’armée après avoir pris part à une soirée à la gloire d’Hitler. Le 19 avril 2008 avec ses potes adeptes du bras tendu ils fabriquent des croix gammées en bois qu’ils enflamment avant de saccager la mosquée de Colomiers, rapporte la Dépêche du Midi.
L’unité a aussi ses « infirmiers » : Guillaume Lestradet – dit « Little doc » – et Yannick Lozach, surnommé « Big doc ». Le second était, selon la Dépêche toujours, déjà surveillé par les services renseignements, accusé « de ne pas être en règle avec la législation sur les armes ». Il affirme dans un reportage de TV5 Monde – réalisé par une proche de ces combattants – avoir perdu son oreille gauche et 50% de son oreille droite lors d’un bombardement à Marioupol en janvier 2015.
Il n’est pas le seul à entretenir, avant son départ, une passion pour les armes. Le Parisien Mickael Takahashi s’est, d’après ses publications Facebook, entraîné au sein de l’Association Nationale de Tir de la Police. Un club également fréquenté par Samy Amimour, terroriste du Bataclan. Il s’affiche en soutien de Bachar El Assad, comme la majorité de ses camarades, dont son ami normand Guillaume Cuvelier. Des photos présentes dans les mails montrent que ce Rouennais, ancien militant du Parti de la France de Carl Lang puis de Troisième Voie, a gravé un Kolovrat (3) (symbole à la mode dans les mouvements néo-nazis) sur sa kalachnikov et un « S » sur sa hache. Interrogé par StreetPress, il récuse toute sympathie pour le nazisme et ne concède qu’une « proximité avec l’extrême droite, si vous voulez faire du sensationnalisme ».
Les armes décorées par Guillaume Cuvelier. / Crédits : DR.
Les membres d’Unité Continentale seraient « des erreurs de castings », nous affirment plusieurs Français toujours présents dans le Donbass. Si cet engagement gène, c’est que côté russe on présente le combat des séparatistes comme « antifasciste ». La plupart des « volontaires » sont acceptés dans le Donbass. Mais les recruteurs serrent parfois un temps la vis. Dans un mail, Laurent Brayard*, l’un des premiers Français engagé aux côtés des séparatistes, décide de refuser l’accès à un compatriote qu’il trouve « bizarre » et « fasciste ». L’Unité Continentale a finalement été dissoute en janvier 2015. En juin de la même année, la DNR annonce « la suspension provisoire de l’accueil d’éventuels volontaires étrangers ».
Vendetta personnelle et accusations de crimes de guerre
Erwan Castel, le plus âgé des combattants français du Donbass avec ses 53 ans, est à l’origine de plusieurs recrutements grâce à sa page Facebook. L’ancien officier gère la page intitulée Soutien à la rébellion du Donbass (plus de 11.500 fans). Petite star de la facho-sphère française, il a récemment décidé de quitter le terrain pour se consacrer à l’écriture d’articles pour son blog et donne régulièrement des interviews par skype aux médias francophones de « réinformation ».
La majorité des « volontaires » français venus combattre dans le Donbass – dont d’anciens membres d’Unité Continentale – a rejoint le bataillon des Cosaques du Don, stationné dans la région de Lougansk. Un groupe réputé pour son non-respect du cessez-le-feu et son indépendance gênante vis-à-vis du « gouvernement ».
Le comportement de certains Français a d’ailleurs été largement critiqué, jusque dans le camp séparatiste. Le Facebook de Ghislain Lagrega, un Français stationné dans la région de Lougansk depuis fin 2015, évoque des agissements en dehors des clous. Sa passion pour l’Ukraine et surtout ses habitantes ne date pas d’hier, comme le prouve ses profils sur de nombreux sites de rencontres. Il déclare d’ailleurs à StreetPress s’être rendu quatre fois à Kiev avant le début du conflit. Sauf que le joli cœur semble s’être fait soutirer de l’argent par l’une de ses conquêtes virtuelles (il pourrait d’ailleurs s’agir d’un faux profil).
Arrivé dans le Donbass, il s’est mis en tête de se faire rembourser… / Crédits : DR.
Arrivé dans le Donbass, il s’est mis en tête de se faire rembourser… kalach au poing. Le premier décembre 2015, il poste une photo en arme, accompagnée de la légende suivante (en anglais) :
« Je vais trouver la famille de [nom de la jeune femme] à Lougansk. Je ne suis pas idiot, je vais trouver rapidement. Une femme est payée pour trouver l’adresse de sa famille. (…) Rendez mon argent, ou vous allez travailler pour moi comme prostituée en France. »
Et de terminer sur une menace :
« Cette histoire va très mal se terminer, pour moi ou votre famille. »
L’ancien pâtissier, originaire de la côte d’Azur, explique à StreetPress être venu dans le Donbass pour se venger de la jeune femme et « pour le fun ». Il ne va pas être déçu. Un autre « volontaire » français l’aurait dénoncé comme « espion » en raison de son idéologie « nationaliste à penchant national socialiste » :
« Ça m’a couté 35 jours de prison dans le noir, et trois mois sans passeport. »
Si lui n’a pas subi de maltraitances, il affirme avoir « entendu des soldats ukrainiens se faire torturer pendant plus de 1h30 », par le troisième bataillon de la garde républicaine. « Ils font disparaitre les personnes après. »
À StreetPress, il explique rentrer en France « dans dix jours ». Il ne lâche pas pour autant l’affaire :
« Je dois revenir ici pour la fille et pour Philippe [le Français, qui l’aurait dénoncé, ndlr.]. Je ne pardonne pas, jamais. »
Les pieds nickelés quittent le Donbass pour la France… ou l’Irak
Ghislain Lagrega n’est pas le seul à prendre ses cliques et ses claques pour rentrer au bercail. « Il reste moins d’une dizaine de combattants français dans le Donbass », assure Christelle Néant, qui collabore au service presse de la DNR. Un mail daté de janvier 2016 recense d’ailleurs les noms de quelques « Français qui veulent rentrer à la maison ».
Tous les retours ne se font pas sans encombre. Erwan Castel est toujours coincé sur place. L’ancien officier se serait fait voler son passeport alors qu’il tentait de faire renouveler son visa en Russie. L’ambassade de France en Russie, qu’il contacte pour s’en procurer un nouveau explique un brin taquine ne pas pouvoir l’aider : le Donbass étant en territoire ukrainien, c’est à l’ambassade de Kiev que la chancellerie lui a proposé d’aller régler son problème. Oups ! Le combattant ne peut sérieusement pas traverser le front, risquant d’être capturé par les Ukrainiens. Comme le montre la lettre présente dans les leaks, il décide alors d’écrire à Vladimir Poutine, himself. Sans que l’on sache si l’homme fort de la Russie ait daigné lui répondre. A StreetPress, Jacques Clostermann explique avoir intercédé en sa faveur auprès de l’ambassadeur de Russie en France. Ce qui, selon ce soutien de Marine Le Pen, devrait permettre de débloquer la situation. En attendant Erwan Castel, continue de ré-informer via son blog et s’est mis à la lecture des œuvres du chantre de l’eurasime, l’intellectuel rouge brun, Alexandre Douguine. qu’il trouve « intéressant », explique Castel (2) à StreetPress.
(img) Cuvelier s’est fait un copain en Irak
D’autres semblent ne pas vouloir rentrer en France. C’est le cas de Guillaume Cuvelier qui après être tombé amoureux d’une journaliste américaine dans le Donbass, a décidé de partir se battre en Irak avec sa copine, accompagnés de Mickael Takahashi. Le trio a pris les armes contre l’Etat Islamique, avec les peshmergas pendant quelques mois, jusqu’en mars 2016 avant de disparaitre. Le couple franco-américain s’est désormais installé aux Etats-Unis. Et Cuvelier tente activement d’effacer de la toile toute trace de son passage dans les différentes zones de conflit.
Il n’est pas le seul à avoir trouvé l’amour à l’Est. L’ancien de Troisième voie, Renault Regeard a lancé une cagnotte sur le site « pot commun », pour faire financer son mariage.
vous auriez une petite pièce ? / Crédits : CC.
Politiques, chercheurs et « humanitaires » en balade dans le Donbass
Les « volontaires » ne sont pas les seuls Français à venir se dégourdir les gambettes dans le Donbass. A intervalles réguliers, Laurent Brayard membre du service de presse, très souvent cité dans ces mails, fait remonter des demandes d’invitation officielles. Le document permet de séjourner dans la nouvelle république auto-proclamée. C’est encore à l’extrême droite, qu’on trouve le plus important contingent de visiteurs. Début janvier 2016, c’est un soutien de Marine Le Pen qui débarque : l’ancien pilote de chasse, Jacques Clostermann, candidat aux prochaines législatives dans les Bouches-du-Rhône sous l’étiquette Mon Pays la France. Un micro parti, membre du Rassemblement Bleu Marine, qu’il a fondé avec son pote le député Gilbert Collard. Ce dernier « voulait venir, malheureusement il n’a pas pu se libérer », confie à StreetPress l’ancien pilote de chasse. Finalement il amène avec un lui un autre copain de Collard, l’ancien bâtonnier de Béziers, l’avocat Josy-Jean Bousquet. « Un homme de gauche », assure Clostermann, lui-même se définissant comme Gaulliste.
Clostermann dans le Donbass
Clostermann avait programmé un second voyage dans le Donbass. À l’occasion des deux ans de « l’indépendance » de la DNR, une importante délégation de Français devait se rendre à Donetsk. Les mails (avec passeports en copie) nous apprennent qu’aux côtés de Clostermann, étaient conviés le pape du conspirationnisme Thierry Meyssan, Samy M., candidat UPR aux européennes, Alexandre Latsa chroniqueur pour les versions francophones de plusieurs médias russes, Alexis Troude chercheur, chargé de cours à l’université de Versailles-Saint Quentin et auteur notamment de Balkans : un éclatement programmé (livre préfacé par l’ancien proche de Marine Le Pen, Paul-Marie Coûteaux).
Du beau monde… qui ne viendra pas. Finalement, ils ne seront qu’une poignée à faire le voyage. Philippe Migault, ancien journaliste au Figaro, aujourd’hui directeur de Recherche à l’IRIS explique à StreetPress, être venu – sur ses congés et à ses frais – « en compagnie de [ses] amis » Xavier Moreau et Nikola Mirkovic (1) Le premier, ancien officier parachutiste, reconverti dans l’intelligence économique en Russie, est au cœur – selon Mediapart – des réseaux russes de Marine Le Pen. Le second est membre de Solidarité Kosovo, une association satellite du Bloc Identitaire dans laquelle on trouve le patron du mouvement Philippe Vardon et son candidat putatif à la présidentielle de 2012, Arnaud Gouillon.
Sur place le trio rencontre Emmanuel Leroy, l’ex-megretiste fut aussi un temps un très proche conseiller de Marine Le Pen. Aujourd’hui il préside l’association Urgence Enfants du Donbass. Il n’est pas le seul représentant très politisé d’assos humanitaires : Nikola Mirkovic est membre de Vostok France Solidarité Donbass. Début Juin, un autre adhérent de cette structure fait le voyage en compagnie de Gilles Emmanuel Jacquet, représentant de l’association suisse Don paisible et contributeur du site du proche de Marine Le Pen, Xavier Moreau.
Les petits cadeaux entretiennent l'amitié. / Crédits : FB.
Politiques, chercheurs ou humanitaires sont autant de relais dans les médias. Sur place, le service de presse de Donetsk les suit à la trace et met en ligne des vidéos de leurs séjours. A leurs retours, la version francophone de Sputnik, média d’Etat russe, ne manque pas de relayer leurs témoignages. Comme de nombreux médias d’extrême droite : TV Libertés, Boulevard Voltaire… Et même pour Philippe Migault, le Figaro ou Valeurs actuelles.
Des responsables des Républicains rêvent de venir
Le service presse de Donetsk n’a cependant pour le moment pas réussi à attirer de gros poissons. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, comme nous l’explique Christelle Néant. La Française qui collabore au service presse a envoyé des invitations à des politiques de gauche comme de droite. Seul le député des Républicains Thierry Mariani se serait fendu d’une réponse. Selon elle, le boss de la Droite Populaire aurait promis de venir sur place. On trouve également un courrier de Pascal Ellul, président des jeunes de ce courant et membre du conseil national des Républicains, faisant du gringue aux séparatistes. Extrait :
« La Droite Populaire et Thierry Mariani en tête ont toujours eu un positionnement différent sur la crise ukrainienne en ayant compris les véritables enjeux et les luttes d’influences en jeux (sic) entre l’impérialisme Etasunien et la Fédération de Russie, fidèle à défendre notre civilisation et la chrétienté. »
Joint par StreetPress, Ellul assume son soutien au « combat qui se mène là-bas contre une certaine forme d’impérialisme ». Mais faute de moyens, le projet est tombé à l’eau.
En attendant de ramener de plus gros poissons dans ses filets, le service presse de Donetsk se met au tourisme de guerre. Mais « sans voyeurisme », assure Christelle Néant. Après la venue d’un groupe de Finlandais, il organise un séjour réservé aux francophones « amis du Donbass ». Pour quelques centaines d’euros vous pourrez du 16 au 22 octobre découvrir les « villes bombardées, villages en ruines », « rencontrer la population locale » mais aussi les « soldats, les autorités ». Sans oublier tout de même quelques musées. Des volontaires ?
Le fichage des journalistes
Les leaks révèlent aussi un gigantesque système de fichage des journalistes qui couvrent le conflit. On trouve en pièce jointe de plusieurs mails, une liste regroupant les noms de plus de 6.000 journalistes, traducteurs ou fixeurs ayant travaillé en DNR, régulièrement mises à jour. Les noms sont agrémentés d’un code couleur : Rouge pour les journalistes jugés hostiles. « Suggestion: ne pas délivrer l’accréditation », est-il précisé dans un autre mail. Jaune pour les journalistes « medium ». Vert pour les gentils, les « positifs » et enfin blanc pour les « neutres ». Les évaluations des journalistes sont parfois assorties de commentaires. « Elle est très agressive envers la Russie », « Il appartient au cercle de Porochenko (ndlr : le président ukrainien) »,« Il a fait des reportages sur des bataillons néo-nazis »…
(img) DONI, agence de réinformation
Jusqu’en juin 2015, la décision de délivrer ces accréditations était prise par le « ministère de l’Information » en coopération avec le « ministère de la Sécurité nationale ». Mais par la suite, les autorités rebelles ont décidé de déléguer une partie du travail à DONI, « une agence de presse internationale » financée par le businessman russe Andreï Stepanenko et dirigée par l’ancien militant du parti nationaliste finlandais IPU, Janus Putkonen. Dans une lettre issue des leaks, ce dernier détaille le rôle du « système de protection de l’information » de DONI :
« Repérer et empêcher l’arrivée d’agents de l’étranger et de propagandistes ennemis cachés derrière le journalisme international, et freiner leurs activités dans le contexte de la guerre de l’information. »
Des informations qu’ils font remonter au « ministère de la Sécurité nationale » qui décide ensuite de délivrer ou non une accréditation.
Des français au cœur de la propagande
Deux français le secondent dans la surveillance des journalistes francophones. Dans un premier temps, c’est Laurent Brayard, dont le nom apparaît souvent dans ces leaks, qui se charge de cette tâche. Cet historien autoproclamé est membre de l’UPR, petit parti conspirationniste, dont StreetPress vous a déjà parlé. Il est recruté à Moscou par Svetlana Kissileva, qui l’invite à un congrès organisé à Donetsk où il intègre Novorossia Today, puis DONI. Cette francophone est l’un des principaux maillons qui lie l’extrême droite française et les séparatistes. Juste après les événements du Maïdan, elle participe à la création du site de « réinformation » Novorossia Vision et préside l’associaton parisienne Novopole, fondée par André Chanclu, ancien du Gud (syndicat étudiant d’extrême droite) et Alain Benajam, compagnon de route de Thierry Meyssan et président du Réseau Voltaire France.
Brayard est ensuite rejoint en mars 2016, par Christelle Néant qui débarque à Donetsk en voiture après un trip de « plus de 4.000 km », accompagnée de son chien. À StreetPress, l’ancienne militante de l’Unef-id (syndicat étudiant de centre gauche, aujourd’hui intégré à l’Unef), explique avoir « choisi le camp des opprimés ». Comme Brayard, elle publie des articles et des vidéos de « réinformation » pour le site de DONI et collabore au « système de protection de l’information » de l’agence.
Des rapports envoyés à Moscou
L’agence de presse ne prend pas son rôle à la légère. Elle liste les publications des journalistes souhaitant se rendre en DNR, examine leurs comptes sur les réseaux sociaux… Aucune information jugée déplaisante ne doit leur échapper. Elle rédige un rapport chaque semaine, classé « confidentiel » et envoyé au service de presse de la DNR, regroupant toutes ces informations et reprenant le code couleur Rouge-Jaune-Vert-Blanc des listings. Un mail datant du 5 mai 2016, évoque même « un officier de Moscou » auquel les membres de DONI doivent faire des rapports. Un job de surveillance des journalistes que Christelle Néant assume :
« Dans les médias on trouve une propagande digne de Goebbels. Certains journalistes ont fait du travail de merde. Ils déforment la réalité pour qu’elle colle à leur scénario. C’est normal qu’on leur interdise l’accès. »
La carte de voeux de DONI, côté pile. / Crédits : DONI
Les mails nous montrent que certains médias passent parfois entre les mailles du filet, à l’instar de la BBC :
« La BBC n’est pas sympa avec la Russie et la DNR. Mais il vaut mieux lui donner une accréditation car ils sont très influents. »
En cas de doute, une rencontre avec Janus Putkonen ou Laurent Brayard, est éventuellement envisagée. C’est ce qui fut par exemple proposé à un journaliste travaillant pour des médias français. Le travail du correspondant ne les convainc pas à 100%. L’idée d’un rendez-vous à Donetsk est lancée. « Je vais le rencontrer dès qu’il arrivera en DNR. Ensuite nous surveillerons son travail de très près », écrit Putkonen à ses collègues. Pas de bol, le journaliste ne viendra pas.
Malgré toutes ces difficultés, l’obtention d’une accréditation n’est pas synonyme de fins des ennuis pour les journalistes. Une fois sur place, les autorités poursuivent leur contrôle. « J’avais quatre paires d’yeux qui me surveillaient », raconte à StreetPress une journaliste qui s’est rendue récemment en DNR. Sur la ligne de front par exemple, « il y avait des accompagnants » du « ministère de la Défense » qui vérifiaient en fin de journée le travail réalisé, précise-t-elle.
Et côté face ! / Crédits : DONI
Janus Putkonen, lui, ne tarit pas d’éloges sur son service de « protection de l’information », dont le travail est jugé « très fiable ». Pourtant, environ un an après sa création, il annonce sa fermeture (à compter du 1er juillet 2016) dans une lettre en pièce jointe adressée au « ministère de la Sécurité nationale » et à « l’administration » de la DNR. Il dénonce un manque de « soutien officiel » des autorités rebelles vis-à-vis de DONI, qui a donc dû réduire drastiquement son budget. À StreetPress, Christelle Néant explique d’ailleurs vivre grâce à des dons de particuliers.
Laurent Brayard, lui, a quitté le Donbass pour des vacances. Il faut dire que ces derniers mois n’ont pas été simple pour lui: Il semble mal vu par beaucoup de Français engagés à Donetsk, au point d’avoir été dénoncé par ses camarades au FSB comme ennemi de la Russie. Il serait sorti blanchi d’un interrogatoire avec les services secrets russes. Une affaire qui l’a poussé à partir : un e-mail laisse apparaître qu’il aurait demandé des renseignements au ministère russe des Affaires étrangères concernant une éventuelle demande d’asile politique. À moins que la question ne se règle avec un mariage, ce qu’il serait en train de préparer en Russie.
(1) Contactés par StreetPress, ils n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview.(2) Erwan Castel tient à préciser qu’il se définit comme « anti-mondialiste » et qu’il a par ailleurs été adhérant du parti de gauche indépendantiste Breton Emgann et des Verts Tamanoirs en Guyane (également classé à gauche). Il revendique par ailleurs avoir « dénoncé la présence de fachos même minoritaires dans le premier groupe des volontaires français ».
(3) Contrairement à ce que nous avions écrit au départ, il ne s’agit pas d’un Soleil Noir, mais d’un Kolovrat.
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